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Full text of "Le regret d'honneur féminin : poème français sur la mort de la comtesse de Chateaubriand \"

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SOCIÉTÉ 


BIBLIOPHILES  NORMANDS. 


N° 


M.  OURSEL. 


LE 


REGRET  D'HONNEUR  FÉMININ 

Poème  français 
SUR  LA  MORT  DE  LA  COMTESSE  DE  CHATEAUBRIAiXD, 


(^€^ 


François    SAGON^ 

rrêtre  rouennais  du  xvi*  siècle, 

Publié,  pour  la  première  fois,   d'après  le  manuscrit  original 
avec  une  Introduction  et  des  Notes, 

PAR 

F.  BOUQUET. 


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IMPRiMS^Îl"     DE     HEXRV     BOÎSSEI.  v'C>  ^Ip 

—  BIBLIOTHÈQUES    * 

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AVERTISSEMENT. 


La  copie  i'ai le  d'après  le  manuscrit  de  ce  poème,  et  qui  a  servi 
à  notre  publication,  est  le  legs  d'un  ami  et  d'an  regrettable 
confrère.  En  1878,  M.  de  Bouis  l'adressait  au  Bureau  de  la 
Société  des  Bibliophiles  normands,  pour  voir  s'il  lui  paraissait 
digne  de  l'impression.  Confié  à  nos  soins,  le  rapport  fut  favo- 
rable, et  les  conclusions  adopiées  par  l'Assemblée  générale,  qui, 
dans  sa  séance  du  9  mai  187S,  chargea  M.  de  Bonis  du  soin 
d'éditer  ce  manuscrit.  Mais  sa  mort,  arrivée  le  2  novembre  sui- 
vant, vint  fatalement  arrêter  le  projet  caressé  par  lui,  depuis 
longtemps,  de  prendre  ainsi  part  à  nos  publications. 

Le  vote  de  la  Société  courait  donc  risque  de  rester  lettre 
morte,  quand,  sur  les  instances  de  nos  confrères,  nous  consen- 
limes  à  mettre  à  exécution  la  dernière  pensée  d'un  ami. 

Pour  diminuer  le  péril  d'une  publication  que  nous  n'avions  ni 
projetée  ni  mûrie,  un  autre  de  nos  confi-ères,  non  moins  dévoué 


It  AVERTISSEMENT. 

aux  inléi'Éts  de  notre  Société  que  M.  de  Bouis,  cl  que  la  mort 
nous  a  également  ravi,  M.  le  docteur  Laloy,  voulut  bien  nous 
venir  en  aide,  en  révisant  la  transcription  faite  par  l'éditeur  pri- 
mitivement désigné.  Cette  lâche,  M.  Laloy  l'a  remplie  avec  le 
soin  le  plus  scrupuleux,  ne  nous  laissant  guère  qu'à  constater 
l'état  du  manuscrit  original  et  à  rétablir  deux  ou  trois  vers. 
Pour  cette  dernière  révision,  l'obligeance  de  M.  Léopold  Delisle 
nous  a  fourni,  comme  pour  d'autres  renseignements  encore, 
toutes  les  facilités  désirables,  à  la  Bibliothèque  nationale.  Notre 
premier  devoir  est  donc  de  l'en  remercier. 

Le  manuscrit  du  poème  de  Sagon  se  trouve  h  la  Bibliothèque 
nationale,  département  des  manuscrits,  sous  le  numéro  2,373  du 
fonds  français.   Il  a  pour  titre  :  Le  Regret  d'honneur  foeminin 

ET  DES  TROYS  GRACES,  SUR  LE  TRESPAS  DE  NOBLE  DAME  FrANCOYSE  DE 
FoiXj  DAME  DE  ChASTEAUBRIANT,    ET  MIROUER  DE   NOBLESSE  FOEMI- 

NiNE.  Par  Françoys  de  Sagon,  secrétaire  de  Vahhe  de  Sainct- 
Eburoul.  Il  fait  partie  du  fonds  de  Gange,  acquis,  en  1733,  par  la 
Bibliothèque  royale,  comme  l'atteste  le  verso  du  premier 
feuillet,  en  tête  duquel  on  lit  :  «  Inscrit,  J.  P.  G-,  Châtre  de 
Cangé  »,  avec  paraphe. 

Ce  manuscrit  est  un  in-octavo  relié  en  veau  plein,  composé 
de  seize  feuillets  en  beau  vélin  blanc,  réglés  à  l'encre  rouge  et 
non  foiiotés.  Le  recto  du  premier  feuillet  est  resté  en  blanc,  et 
tous  les  quinze  autres  feuillets  sont  écrits  au  recto  et  au  verso, 
sauf  le  quinzième  et  dernier,  qui  n'est  écrit  que  sur  le  recto,  de 
sorte  qu'il  a  en  tout  vingt-huit  pages.  Le  dos  porte  en  titre  ces- 


AVERTISSEMENT.  III 

mots  tronqués,  faute  de  place  :  Regre.  . .  du...  tuepa.  . .  de.  . . 
Fr...  de  Foi.  Si  la  reliure  est  postérieure  au  \\f  siècle, 
l'écriture  en  lettres  moulées,  remarquablement  nettes  et  belles, 
est  bien  certainement  du  temps  de  Sagon.  C'est  un  manusci'it 
très  soigné  et  presque  de  luxe  dans  tous  ses  détails. 

Bien  qu'inédit,  le  manuscrit  de  Sagon  n'était  pas  complètement 
inconnu.  Avant  la  transcription  de  M.  de  Bouis,  le  relevé  biblio- 
graphique de  Ferret  de  Fontette,  pour  la  seconde  édition  de  la 
Bibliothèque  historique  de  la  France,  par  le  P.  Lelong,  men- 
tionne, vers  1768,  sous  le  n"  48,042  :  Le  Regret  d'honneur 
féminin  et  des  Trois  Grâces  sur  le  trépas  de  dame  Françoise 
de  Foix,  dame  de  Château  B riant.  François  Sagon  est  désigné 
comme  en  étant  l'auteur.  En  1865,  31.  de  Lescure  a  parlé  deux 
lois  de  ce  poème,  dans  l'ouvrage  intitulé  :  Les  Amours  de 
François  P',  où  la  comtesse  de  Chateaubriand  *  occupe  une 
grande  place,  avec  un  titre  bien  fait  pour  piquer  la  curiosité  : 
La  Maîtresse  tragique.  On  y  voit  le  résumé  des  qualités  attri- 
buées par  Sagon  à  Françoise  de  Foix,  l'indication  incomplète  du 
titre  de  son  poème  et  un  jugement  bien  sommaire  sur  cette 
œuvre  et  son  auteur  (Chapitre  III,  pages  157,  201  et  202).  Enfin 

'  Nous  écrivons  ainsi  ce  nom,  à  l'exemple  de  l'auteur  du  Génie  du 
Christianisme;  mais  telle  n'était  pas  l'orthographe  adoptée,  au 
xvio  siècle,  dans  notre  manuscrit  ni  ailleurs.  On  trouve  Chasteau- 
Ilriant,  Chasteaubrianl  et  Châteaubrillant,  ou  bien  Cliâleauhrilland  et 
ChaleaubrillaJid.'Da.nsle  Dictionnaire  des  Communes,  on  lit  Châleau- 
hriant  ;d'un  seul  mot)  pour  la  ville  de  Bretagne,-  orthographe  qi:o 
n'a  pas  conservée  le  plus  illustre  membre  de  cette  famille. 


ÏV  AVERTISSEMENT. 

M.  Théodore  Lebreton,  dans  sa  Biographie  rouennaise,  en  1865 
également,  cite,  parmi  les  poésies  de  Sagon  :  «  Le  regret  d'Hon- 
neur féminin  et  des  Trois  Grâces,  sur  le  trépas  de  dame  Fran- 
çoise de  Foix,  etc.  (resté  à  l'état  de  manuscrit).  »  (Page  331.) 

M.  de  Bonis  n'a  donc  pas  fait  le  premier  la  découverte  du 
manuscrit  qu'il  a  copié,  et  nous  devons  dire  qu'il  ne  préten- 
dait pas  à  cette  bonne  fortune  pour  un  Bibliophile. 

L'orthographe,  l'accentuation  et  la  ponctuation  du  manuscrit 
original  ont  été  scrupuleusement  respectées  i .  Sans  doute,  ce 
sont  là  des  points  bien  secondaires,  aux  yeux  de  beaucoup  de 
personnes.  Il  n'en  est  pas  de  même  aux  nôtres  pour  les  motifs 
que  voici.  Puisque  nous  avons  l'heureuse  chance  de  posséder  un 
manuscrit  de  la  première  moitié  du  XVI«  siècle,  il  était  bon 
d'en  profiter  pour  constater,  dans  toute  sa  vérité,  le  système . 
suivi  par  notre  auteur  sur  ces  trois  points,  trop  souvent  sacrifiés 
dans  les  éditions  des  œuvres  de  ceite  époque,  où  imprimeurs  et 
éditeui's  se  sont  permis  de  grandes  libertés,  dont  la  moindre  était 
de  défigurer  le  style  des  auteurs  en  le  rajeunissant. 

Le  manuscrit  de  Sagon  atteste,  au  point  de  vue  de  l'ortho- 
graphe, l'influence  contemporaine.  L'orthographe  ancienne  n'ai- 
niaii  pas  l'accumulation  des  consonnes  ;  c'est  le  xvi*  siècle  qui, 
par  une  recherche  pédantesque  de  l'étymologie,  en  a  chargé 
l'écriture,  et  notre  auteur,  visant  à  la  réputation  de  savant,  s'est 


'  Il  n'y  a  que  la  disposition,  avec  ie  même  nombre  de  versa  la  page, 
recto  et  verpo,  qu'il  a  été  impossible  de  conserver. 


■AVERTISSEMENT.  V 

bien  gardé  de  ne  pas  suivre  cesystijme,  où  l'on  taisait  montre 
(le  science,  et  même  de  l'exagérer.  Son  manuscrit  donne  donc  : 
Estait,  eslyte,  deubst,  haultz,  ung^  resconforter,  aose,  balsme, 
cœleste,  peult,  veult,  esguille,  escript,  bening,  maling,  re- 
monstre, etc.,  etc.  Sans  raison  aucune,  il  applique  même  eu 
système  aux  voyelles,  puisqu'il  écrit  :  Fœminin,  pœuple,  etc. 

Il  est  vrai  de  dire  qu'il  ne  reste  pas  toujours  ildèle  à  son  propre 
système,  et  qu'à  quelques  lignes  de  distance  le  même  mot  se  lit 
parfois  écrit  d'une  façon  différente.  L'emploi  des  grandes  lettres 
n'a  rien  de  fixe  ni  de  judicieux  non  plus  ;  tantôt  il  les  met, 
tantôt  il  les  supprime,  dans  le  même  nom,  sans  motif  apparent. 
Il  en  est  de  même  de  l'accentuation.  En  imprimant  ce  vieux 
texte,  nous  n'avons  point  placé  l  sur  les  e  les  accents  qui 
t'ont  défaut  sur  le  manuscrit.  C'est  une  méthode  erronée  que  d'y 
introduire  ceux  qu'on  y  met  de  nos  jours  ;  car  peut-on  répondre 
que  ces  e  se  prononçaient,  au  xvi*  siècle,  comme  aujourd'hui  ? 
Est-ce  que,  depuis  le  commencement  du  nôtre,  la  prononciation 
n'a  pas  changé  ?  La  dernière  édition  du  Dictionnaire  de  l'Aca- 
démie est  là  pour  démontrer  ces  variations  de  la  prononciation, 
marquées  par  le  changement  d'accent  sur  plusieurs  mots  entre 
1835  et  1878.  Les  mots  a,  verbe  ou  préposition,  ou,  adverbe  ou 
conjonction,  Sagon  les  écrit  aussi  sans  accents,  à  quelques  rares 
exceptions  que  nous  avons  respectées.  Chez  lui  encore  l'apos- 
trophe, marquant  l'élision  d'une  voyelle,  est  mise  ou  .supprimée, 
dans  le  môme  mot,  à  quelques  vers  d'intervalle. 
Ua  ponctuation  étant  moins  définitivement  arrêtée  que  l'ac- 


VI  AVERTISSEMENT.  ' 

centuation,  à  cette  époque,  offre  de  plus  grandes  divergences, 
en  la  comparant  avec  celle  de  notre  temps.  On  les  rcnconnaîlra, 
sans  qu'il  soit  besoin  de  les  signaler,  à  l'exception  de  deux  que 
voici.  Gomme  dans  certaines  éditions  gothiques  des  premières 
années  du  xvi°  siècle,  un  petit  trait  oblique,  dans  le  sens  de 
récriture^  remplace  trois  ou  quatre  fois  la  virgule  pour  séparer 
les  mots  I .  Mais  une  habitude  que  nous  croyons  propre  à  Sagon 
est  de  placer  un  point  d'interrogation  à  la  fin  des  phrases  où 
figure  le  mot  si,  surtout  quand  il  est  conjonction,  et  que  l'auteur 
y  attache  l'idée  d'une  condition  ou  d'un  doute. 

iSous  en  prévenons  ici ,  afin  que  ces  dissemblances  entre 
l'usage  ancien  et  l'usage  présent,  qui  sauteront  aux  yeux,  ne 
soient  pas  prises  pour  des  fautes,  ou  môme  do  simples  négli- 
gences de  la  part  de  l'éditeur. 

Pour  l'orthographe,  et  surtout  pour  l'accentuation  et  la  ponc- 
tuation, le  manuscrit  annonce  un  âge  de  transition,  et  l'on  voit 
l'jien  qu'Etienne  Dolet  n'avait  pas  encore  donné  ses  deux  petits 
Traités  :  De  la  Pvnctvation  de  la  Langue  francoyse,  et  des  Ac- 
cents d'ycelle.  (Lyon,  1540,  une  plaquette  in-4o).  De  plus,  Sagon 
suivait  un  système  d'orthographe  qui  sera  combattu  par  Louis 
Meigret,  dans  son  Traité  touchant  le  commun  usage  de  l'écri- 
ture francoyse  ;  auquel  est  débattu  des  faultes  et  abus  en  la 
rraye  et  ancienne  piiissance  des  Lettres.  Paris,  Jean  de  Marnef, 
1545.  Le  texte  de  Sagon  lui  aurait  bien  servi  à  prouvei*  que  : 

'  L'absence  de  ce  signe  typographique  la  fait  remplacer  par  une 
virgule.  C'est  la  seule  modification  introduite  dans  la  ponctuation: 


AVERTISSEMENT.  VII 

a  Notre  orthographe,  pour  la  confusion  et  abus  des  Letti'cs,  ne 
quadre  point  entièrement  à  sa  prononciation.  »  Contrairement 
à  l'école  toute  puissante  des  érudits,  Meigret  annonce  qu'il  a 
travaillé  pour  «  le  commun  peuple.  »  Sagon,  au  contraire,  écri- 
vait pour  les  érudits,  dont  il  suivait  scrupuleusement  les  doc- 
trines, en  orthographe,  et  sur  bien  d'autre.s  points. 

Ce  n'est  donc  pas  par  une  recherche  puérile  d'archaïsme  que 
nous  avons  respecté  scrupuleusement  l'oi-thographe,  l'accentua- 
tion et  la  ponctuation  de  notre  manuscrit,  ni  par  un  engoùment 
du  passé  auquel  on  accuse  bien  souvent  les  bibliophiles  de  sacri- 
fier. Mais  c'est  qu'ici  la  reproduction  fidèle  de  ce  texte  a  une 
valeur  linguistique  incontestable,  puisqu'elle  permet  au  lecteur 
de  constater  et  de  juger  les  procédés  de  rédaction  suivis  par 
un  auteur  du  xvi=  siècle,  qui  n'était  pas  sans  mérite. 

On  pourra  donc  apprécier,  en  prenant  notre  texte  comme  point 
de  départ,  le  nombre  et  l'étendue  des  variations  que  la  langue  a 
subies  sous  le  triple  rapport  qui  vient  d'être  signalé. 

En  examinant  le  texte  de  ce  poème  vers  par  vers,  et  mot  par 
mot,  nous  avons  été  amené  à  faire  plus  d'une  centaine  de  notes, 
tant  historiques  que  linguistiques  et  philologiques.  Il  a  fallu 
d'abord  fournir  quelques  détails  sur  les  personnes  et  sur  les  évé- 
nements rappelés  directement  ou  par  voie  d'allusion,  et  il  n'a 
pas  paru  moins  utile  d'expliquer  les  phrases  obscures,  les  tour- 
nures tombées  en  désuétude,  les  mots  vieillis  ou  pris  dans  une 
acception  qui  ne  se  comprend  plus  qu'à  Taide  du  latin. 

Cette  méthode  était,  selon  nous,  préférable  à  celle  qui  se  serait 


VIII  AVERTISSEMENT. 

bornée  à  la  simple  publication  du  texte,  laissant  à  chacun  le 
soin  (le  l'interpréter  comme  il  l'entendrait.  L'autre  eiit  été  plus 
facile  pour  l'éditeur,  mais  elle  aurait  laissé,  le  plus  souvent, 
le  texte  à  l'état  d'énigme  ou  tout  au  moins  de  lettre  à  moitié 
close.  Mieux  valait,  à  l'aide  de  notes  nombreuses,  tenter  l'expli- 
cation de  tout  ce  que  peut  souhaiter  un  lecteur  sérieux,  avide 
d'informations,  qui  veut  tout  connaître  et  tout  comprendre  dans 
un  texte  vieilli.  Mais  quand,  au  milieu  de  ce  labyrinthe  de  diffi- 
cultés de  toute  nature,  nous  avons  rencontré  des  passages  où 
nos  recherches  ne  nous  avaient  fourni  aucune  lumière  ou  bien 
une  lumière  douteuse,  nous  avons  mieux  aimé  nous  abstenir 
ou  poser  modestement  un  point  d'interrogation,  que  de  nous 
lancer  à  l'infini  dans  le  champ  toujours  si  vaste  et  si  commode 
des  hypothèses,  ou  d'affirmations  dénuées  de  preuves. 

Il  en  a  été  de  même  dans  l'Introduction.  Au  résumé  de  sa  trop 
courte  biographie  s'ajoutent,  surtout  au  point  de  vue  littéraire, 
les  détails  fournis  par  le  poème  et  par  nos  découvertes  person- 
nelles. Puis,  vient  l'analyse  de  cet  éloge  funèbre,  suivie  d'un 
jugement  sur  sa  valeur  historique  et  littéraire,  après  lequel  nous 
donnons  la  Bibliographie  des  œuvres  de  Sagon.  Loin  d'imiter 
ceux  qui  trouvent  tout  irréprochable  et  veulent  tout  excuser  chez 
l'auteur  qu'ils  éditent,  nous  nous  sommes  efforcé  de  rester  équi- 
table, en  mettant  autant  de  soin  à  chercher  les  défauts  du  nôtre 
et  à  les  signaler,  qu'à  montrer  l'utilité  de  la  publication  de  son 
poème,  tant  pour  l'histoire  que  pour  la  littérature  de  la  Renais- 
sance. • 


AVERTISSEMENT.  IX 

Sans  doute,  l'apliorisme  poétique  de  Térentianus  Maurus  sera 
toujours  vrai  : 

Pro  captu  lectoris  habcnt  sua  fata  libelli. 
De  Sillabis.  Carmen  heroicum,  v.  258. 

Mais,  si  la  destinée  d'un  livre  dépend  de  l'intelligence  du 
lecteur,  il  faut  reconnaître  aussi  que  le  soin  de  l'éditeur  n'y  est  pas 
non  plus  étranger.  C'est  donc  un  devoir  pour  lui,  surtout  quand 
le  texte  a  des  difficultés  réelles,  de  venir  en  aide  au  lecteur,  en 
ne  négligeant  rien  de  ce  qui  lui  paraît  propre  à  mettre  son  auteur 
en  pleine  lumière.  Sans  cela,  il  s'exposerait  à  grossir  le  nombre 
de  ces  publications  qui  ne  peuvent  servir  qu'à  ceux  qui  vou- 
dront les  refaire. 

Tels  sont  les  motifs  des  développements  donnés  à  l'Introduc- 
tion et  aux  Notes  de  ce  petit  poème  inédit,  qui  renferme  des 
obscurités  de  plus  d'un  genre,  à  côté  de  certains  mérites  histo- 
riques et  littéraires. 


INTRODUCTION. 


BIOGRAPHIE   DE   SAGON. 


Bien  que  le  nom  de  Sagon  ne  figure  pas  dans  la  Bio- 
graphie universelle  de  Didot,  moins  complète  en  cela  que 
celle  de  Michaud,  ce  poète  du  xvi'  siècle  n'a  pas  laissé 
d'avoir  une  certaine  notoriété  parmi  ses  contemporains, 
La  preuve  en  est  que  La  Croix  du  Maine,  dès  1584,  lui 
consacrait  un  article  dans  sa  Bibliothèque  françoise,  où  se 
trouvent,  en  très  petit  nombre,  il  est  vrai,  des  détails 
biographiques  et  bibliographiques,  répétés  par  tous  les 
écrivains  qui  se  sont  occupés  de  Sagon,  avec  quelques 
additions  dont  la  plupart  sont  des  erreurs.  Profitant  des 
uns  et  rectifiant  les  autres,  nous  allons  essayer,  avant 
d'étudier  le  Begret  d'honneur  féminin,  de  donner  une  bio- 
1 


3  INTRODUCTION. 

graphie  de  notre  auteur  un  peu  plus  détaillée,  sur  quel- 
ques points,  à  l'aide  des  nouveaux  documents  que  nous 
avons  pu  rencontrer. 

Il  y  a  des  obscurités  et  des  divergences  sur  bien  des 
points,  à  commencer  par  l'orthographe  de  son  nom. 
Ainsi,  les  uns  l'appellent  simplement  François  Sagon,  et 
les  autres,  François  de  Sagon.  Les  Registres  de  l'arche- 
vêché de  Rouen  portent  toujours,  jusqu'à  six  fois.  François 
Sagon,  aussi  bien  que  La  Croix  du  Maine  et  Antoine  du 
Verdier  (1585),  qui  ont  tant  contribué  à  sauver  son  nom 
d'un  complet  oubli,  tandis  que  les  imprimeurs  contem- 
porains se  partagent  sur  le  de,  que  nous  retrouvons  en  tête 
de  notre  manuscrit  et  dans  un  acte  du  Tabellionnage  de 
Rouen.  Malgré  cela,  pour  nous  conformer  à  l'usage  le 
plus  général,  nous  lui  supprimerons  la  particule. 

Un  point  incontestable,  c'est  que  François  Sagon  est 
né  à  Rouen.  Mais  à  quelle  date?  Ses  premiers  biographes, 
lia  Croix  du  Maine,  Du  Verdier,  Tabbê  Goujet  n'en  ont 
rien  dit.  Depuis,  la  Biographie  Michaud  et  M.  Viollet-le- 
Duc  ont  placé  sa  naissance  «  au  commencement  du  xvi* 
siècle,  »  ou  bien  «  vers  la  fin  du  xv«  siècle.  »  (M.  Th. 
hehveion,  Biogi'apfiie  rouefmaise, /p.  331.)  Cette  dernière 
indication  doit  être  plus  voisine  de  la  vérité,  puisque, 
dans  la  fameuse  querelle  de  Sagon  et  de  Marot,  qui  éclata 
en  1536,  le  valet  Fripelippes,  ou  plutôt  Marot  lui-même, 
dit  de  Sagon,  son  adversaire  : 


INTRODUCTION.  à 

L'vn  est  un  vieux  resveur  Normand' . 

L'abbé  des  Gonards  également,  quelque  Rouennais 
qui  connaissait  bien  notre  auteur,  prend  texte  de  l'âge 
de  Sagon  et  de  la  Hueterie,  son  second  dans  cette  lutte, 
pour  leur  conseiller  la  modération. 

Je  ne  dy  pas  que  beu/:^ 
Vous  deux  soye:{,  mais  pour  ce  que  tous  deux 

Venez  sur  laage,  et  en  vous  escornant 
Vous  nyre:{  plus  de  vo;{  cornes  cornant 

Et  en  sere\  plus  conard^  que  corîiu^  '. 

Ce  n'est  pas  d'un  homme,  qui  n'aurait  guère  dépassé 
la  trentaine ,  s'il  était  né  «  au  commencement  du 
XVI»  siècle,  qu'on  aurait  pu  dire  «  qu'il  était  vieux,  »  ou 
bien  «  qu'il  venait  sur  l'âge,  »  Il  est  donc  plus  vraisem- 
blable que  Sagon  naquit  à  la  fin  du  xv^  siècle  plutôt  qu'au 
début  du  XVI*. 

Nous  ne  trouvons  rien  ni  sur  l'enfance  ni  sur  les 
premières  années  de  notre  auteur.  Mais  il  est  certain 
qu'après  avoir  reçu  les  ordres  il  fut  attaché  au  diocèse  de 
Rouen,  comme  le  prouve  le  «  Compte  et  Estât  de  Mathurin 

»  ŒcvRES  DE  Marot,  Epitre  de  Fripelippes  valet  de  Marot,  à  Sagon. 
Edition  de  Niort,  1596,  p.  235. 
*  Les  Trêves  de  Marot  el  Sagon,  etc.,  réimpression  Panckoucke,  p.  7. 


4  INTRODUCTION. 

Sedille,  trésorier  de  Mg""  Georges  d'Amboise,  archevêque 
de  Rouen,  de  recepte,  mise  et  despence  par  luy  faictes,  à 
cause  dudit  office .  »  Ce  compte  allait,  pour  chaque  année, 
«  du  jour  de  la  fête  de  Saint-Michel  au  jour  de  la  sem- 
blable fête  de  Tannée  suivante.  »  Voici  la  mention  qu'on 
y  trouve  : 

«  Compte  de  1529-1530  —  A  M"  François  Sagon,  pour  le 
sermon  du  Synode  d'été 100  sous.  » 

Ce  sermon  du  Synode  d'été,  le  senne,  comme  on  disait 
alors,  s'adressait  au  clergé,  Ad  clerum,  d'après  la  mention 
des  registres,  et  «  100  sous  »  étaient  habituellement  attri- 
bués à  l'orateur  désigné  par  le  choix  de  l'archevêque  lui- 
même.  Il  prenait  i'un  des  jeunes  prêtres  les  plus  capables 
de  son  clergé,  tant  le  sujet  lui-même  et  l'emploi  obligé  de 
la  langue  latine  devaient  offrir  de  difficultés  à  l'orateur. 
Nous  voyons  donc,  dans  le  choix  de  Sagon  par  l'arche- 
vêque de  Rouen,  Georges  II  d'Amboise,  une  forte  pré- 
somption en  faveur  de  sa  science  théologique  et  de  son 
talent  oratoire,  loin  d'en  croire  Fripelippes,  qui  songeait 
peut-être  à  ces  sermons  Ad  clerum,  quand  il  parle  de  ce 

Vieux  resveur  Normand 
Si  goulu,  friant  et  gourmand 
De  la  peau  du  povre  Latin, 
Qu'il  l'escorche  comme  vn  mastin'. 

'  Œuvres  de  Marot.  Epitre  de  Fripelippes,  même  édition,  p.  235. 


INTRODUCTION.  5 

Dans  cette  assertion,  lancée  au  milieu  des  ardeurs  de 
la  lutte,  la  passion  tient  certainement  plus  de  place  que 
la  vérité.  L'archevêquen'aurait  jamais  choisi  un  orateur 
qui  eût  apprêté  à  rire  à  son  docte  auditoire,  s'il  eût 
«  escorché  ce  povre  latin,  »  comme  le  prétend  Fripe- 
lippes,  c'est-à-dire  Marot  lui-même,  juge  d'ailleurs  fort 
récusable  en  fait  de  latinité. 

Cinq  fois  encore,  en  cinq  années  différentes,  les  mômes 
registres  de  l'Archevêché  redonnent  le  nom  de  Sagon, 
mais,  malheureusement,  sans  aucune  indication  de  mo- 
tifs pour  justifier  le  paiement  des  sommes  mentionnées. 

«  15351536  —  A  François  Sagon,  20  livres. 
1538-1539  —  A  François  Sagon,  10  livres. 
1540-1541  —  A  François  Sagon,  10  livres. 
1541-1542  —  A  François  Sagon,     10  livres. 

1544-1545  —  A  François  Sagon,  100  sousV  » 

Le  retour  périodique  de  ces  sommes,  presque  toujours 
les  mêmes,  donne  à  penser  qu'il  s'agit  ou  d'une  rente  ou 
d'une  gratification  pour  des  services  rendus  par  Sagon, 
quand  il  eut  quitté  le  diocèse  de  Rouen. 

Peu  de  temps  après  avoir  prêché  le  sermon  du  Synode 
d'été  devant  le  clergé  de  Rouen  (1530),  Sagon  attirait  sur 

•  Indications  dues  à  l'obligeance  de  M.  Ch.  de  Beaurepaire.  — Voir 
son  Inventaire  des  Archives  delà  Seine-Inférieure ,  série  C.  —  Arche- 
vêché de  Rouen.  —  Articles  231,  121,  124,  128,  130,  133. 


6  INTRODUCTION. 

lui  l'attention  de  ses  compatriotes  d'une  autre  manière. 
L'antique  Confrérie  de  l'Immaculée  Conception,  qui 
comptait  déjà  quatre  cents  ans  d'existence,  ajoutant  un 
caractère  littéraire  à  son  caractère  religieux,  avait  établi, 
en  i486,  sous  le  nom  de  Puy  de  l'Immaculée  Conception 
ou  de  Puy  du  Palinod,  des  prix  pour  ceux  qui  voudraient 
composer  des  pièces  de  poésie  en  l'honneur  de  l'Imma- 
culée Conception.  La  jeunesse  lettrée  de  Rouen  et  de  la 
Normandie  se  fit  alors,  et  jusqu'aux  derniers  jours  de 
l'existence  de  l'Académie  des  Palinods,  un  devoir  de 
disputer  les  palmes  qu'elle  accordait.  C'était,  pour  les 
jeunes  talents,  un  moyen  de  se  faire  avantageusement 
connaître  de  leurs  compatriotes. 

L'un  des  premiers  Sagon  s'y  présenta,  au  moins  quatre 
fois,  de  1531  à  1535.  L'indication  de  celles  de  ses  poésies 
couronnées  au  Puy  de  Rouen  est  fournie  par  un  petit 
volume  d'une  grande  rareté,  contenant  d^ux  ouvrages  de 
lui,  sous  les  deux  titres  suivants  :  Le  Triumphe  de  grâce  et 
prerogatiuc  d'innocence  oiiginelle,  sur  la  conception  et  trespas 
de  la  Vierge  esleue  mère  de  Dieu,  composé  par  Sagon,  et,  à  la 
suite,  un  Recveil  moral  d'avcuns  Chants  Royaux,  Balades  et 
Rondeaulx,  de  Sagon,  présentez  et  premier  a  Rouen,  a  Dieppe 
et  a  Caen^Par  luy  adressé  a  Vénérable  religieux^  Domp  Richard 
Ango,  prieur  de  Beaumot  en  Auge  son  oncle.  L'impression 
est  de  1544'. 

'  Voir  plus  loia  la  Bibliographie  des  oeuvres  de  Sagon. 


INTRODUCTION.  7 

C'est  là  que  se  trouvent  les  pièces  suivantes,  dont  nous 
relevons  les  titres,  dans  l'ordre  où  elles  y  sont  imprimées, 
et  qui  montrent  en  Sagon  un  brillant  lauréat  des  Palinods 
de  Rouen  et  de  la  Normandie. 

«  Chant  royal  qui  triumpha  de  la  palme  au  puy,  tenu 
à  Rouen,  1531. 

«  Chant  royal,  Caen,  1532. 

«  Chant  royal  qui  remporta  à  Dieppe  le  prix  de  la 
Couronne.  (Pas  de  date.) 

«  Balade  qui  remporta  le  prix  de  la  Rose  a  Rouen 
l'an  1535. 

«  Balade,  prononcée  par  l'auteur  rendant  grâce  au  puy 
des  palinodz  de  Rouen,  où  il  auoit  eu  le  pris  de  la  palme, 
l'an  précèdent,  et  la  rendoit  comme  il  est  de  coutume'. 

«  Rondeau  premie  du  pris  de  l'anneau  ou  signet  à 
Rouen  1533.  » 

Sagon  débutait  sur  le  mème'théâtre  qu'une  foule  d'au- 
tres jeunes  Normands  de  son  époque.  Tasserie  y  avait 
été  couronné  sept  fois  ;  Jean  Parmentier,  de  Dieppe,  trois- 
fois,  de  1517  à  1528;  et  Jacques  Le  Lieur,  de  Rouen, 
deux  fois,  de  1518  à  1522.  Sagon  le  fut  trois  fois,  à 
Rouen,  d'après  les  indications  ci-dessus,  et  quatre  fois, 
comme  on  le  verra  plus  loin,  au  dire  de  Sagon  lui-même. 

'  o  Les  signes  des  prix  étaienl  remis  aux  lauréats,  puis  échangés, 
dans  les  premiers  temps,  contre  de  l'argent.  »  M.  Bailin,  Notice  histo- 
rique sur  l'Académie  des  Palinods  {de  Rouen),  p.  38. 


8  INTRODUCTION. 

A  son  début  dans  la  carrière  poétique,  Sagon  n'hésita 
pas  à  consulter  Marot  sur  un  Chant  royal  destiné  aux 
Palinods  de  Rouen,  et  celui-ci  s'empressa  de  se  rendre 
à  son  désir,  comme  il  nous  l'apprend,  sous  le  couvert  de 
l'indiscret  valet  Fripelippes.  Son  maître  lui  fait  dire,  en 
s'adressant  à  Sagon  : 

Vrajrment  il  me  vient  souvenir 
Qu'vn  jour  vers  liiy  te  vjy  venir 
Pour  vn  chant  Royal  luy  monstrer, 
Et  le  prias  de  l'accoustrer. 
Car  il  ne  valloit  pas  vn  œuf. 
Quand  il  l'eust  refait  tout  de  neuf, 
A  Rouan  gaignas  (povre  homme! j 
D'argent  quelque  petite  somme. 
Qui  bien  à  propos  te  survint. 
Pour  la  V ,  qui  te  vint. 

En  ce  cas,  Marot  aurait  contribué  à  procurer  à  Sagon 
une  victoire  qu'il  n'avait  pu,  dix  ans  auparavant,  obtenir 
pour  lui-même,  quand,  en  1521,  il  était  entré  en  lice 
avec  son  père,  aux  Palinods  de  Piouen.  Jehan  Marot  fut 
couronné  pour  un  Chant  royal  dont  le  refrain  est  : 

Lhumanite  ioincte  a  diuinite'. 

'  Notice  Imlorique  sur  l'Académie  des  Palinods,  par  M.  A. -G.  Ballin, 
pages  48-51. 


INTRODUCTION.  U 

Mais  Clément  n'obtint  pas  le  prix  pour  le  Chant  royal 
qu'il  avait  également  présenté,  avec  ce  refrain  : 

La  digne  Couche,  ou  le  Roy  reposa. 

Ce  serait  donc  en  1531  que  Marot  aurait  corrigé  le 
Chant  royal  composé  par  son  futur  adversaire,  en  l'ai- 
dant ainsi  à  obtenir  le  prix  de  la  Palme,  rachetable  par 
par  cent  sous  tournois.  Le  vers  palinodique, faisant  allu- 
sion à  la  Vierge,  est  : 

La  perle  ronde,  orientale  et  fine. 

L'autre  Chant  royal,  prémié  (récompensé)  à  Rouen, 
deux  ou  trois  ans  plus  tard,  bâtelé partout,  est  trop  entor- 
tillé et  trop  peu  intelligible  pour  que  Marot  l'ait  jamais 
corrigé'. 

Cependant  le  reproche  adressé  à  Sagon  de  s'être  fait 
aider  par  Marot  dans  la  confection  du  Chant  royal  cou- 
ronné aux  Palinods  de  Rouen,  fut  vivement  relevé  dans 
le  :  Rabais  du  caquet  de  Fripelippes  et  de  Marot  dict  Rat 
pelle.  Faict  par  Matthieu  de  Boutigni,  paige  de  Françoys  de 
Sagon,  secrétaire  de  l'abbé  de  SainctEbvroult.  Matthiei:  de 
Boutigni  n'est  pas  plus  le  page  de  Sagon  que  Fripelippes 

'  Voir,  pour  plus  de  détails,  la  Deuxième  suite  à  la  Notice  histo- 
tique  sur  L'Académie  des  Palinods,  par  M.  A. -G.  Ballin,  pages  14  et  15. 

3 


10  INTRODUCTION. 

n'est  celui  de  Marot.  C'est  Sagon  lui-même  qui  repousse 
le  reproche  de  tout  concours  prêté  par  Marot,  et  son 
démenti  catégorique  passe  par  dessus  la  tête  du  pseudo- 
valet pour  frapper  le  maître  en  pleine  face. 

*  Et  tu  vas  dire,  homme  rude  et  champestre 
Que  par  moyen  de  ton  ignorant  maistre 
Le  mien  gagna  la  Palme  de  Rouen. 
Va  savetier  chercher  du  cordouen, 
Pour  bobliner  tes  souliers  ou  pantoufles 
Et  ne  te  joue  à  mon  maistre  sans  moufles 
Rouen  a  veu  triumpher  ce  François 
Sur  son  théâtre,  et  Marot  nulle  fois, 
Et  si  y  fut  avec  sa  muse  vaine, 
Mais  il  perdit  et  son  temps  et  sa  peine, 
Veu  que  jamais  n'y  gaigna  un  seul  prix, 
Où,  pour  sallaire  et  bruict  des  bons  espri^, 
Sagon  a  eu  Palme,  Lys,  Signet,  Rose, 
Avec  la  grâce  en  iceulx prix  enclose^. 

La  Palme  est  pour  le  Chant  Royal  de  1531,  et  c'est  là 
que  Marot  avait  échoué  pour  un  Chant  royal. 

Le  Lys,  le  quatrième  prix,  dont  nous  n'avions  pu  trou- 
ver la  trace,  était  accordé  au  Chant  Royal  ou  Débattu. 

Quant  au  dernier  vers  : 

Avec  la  grâce  en  iceulx  prix  enclose, 

'  Œuvres  de  Marot,  édit.  de  Lenglet  du  Fresnoy.  —  Recueil  des 
Pièces  du  Différend,  etc.  T.  IV,  p.  457. 


INTRODUCTION.  11 

«  La  grâce  »  indique  peut-être  ici  plutôt  l'argent  que 
l'honneur  ;  car,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  «  dans  les  premiers 
temps,  ces  prix  remis  aux  lauréats  étaient  échangés 
contre  de  l'argent  i .  » 

Voici,  d'après  les  anciens  statuts,  la  désignation  et  la 
valeur  des  prix  obtenus  par  Sagon  : 

•  Chant  Royal,  la  Palme,  rachetable  par  cent  sous 
tournois  ; 

«  Chant  Royal  ou  Débattu,  le  Lys,  rachetable  par 
soixante  sous  tournois  ; 

«  Ballade  française,  la  Rose,  rachetable  par  trente- 
cinq  sous  tournois  ; 

«  Rondeau,  le  Signet  d'or,  ou  affi;|uet,  rachstable  par 
vingt  cinq  sous  tournois  '. 

En  voyant  Marot  roprochor  à  Sagon  la  «  quoique  pe- 
tite somme  d'argent  »  qu'il  a  giigiia  aux  Palinods  de 
Rouen  »,  et  Sagon  lui-même  insister  sur  la  «  grâce  en 
iceulx  prix  enclose  »,  c'est-à  dire  l'argent  donné  en 
échange  du  signe  attaché  à  chaque  prix,  il  nous  semble 
que  Sagon  fut  un  poète  besogneux,  cherchant  à  grossir 


'  Voir,  plus  haut,  la  note  de  la  page  7. 

*  M.  Ballin,  Notice  historique  sur  l'Académie  des  PaUnods,  pages 
38-39. 


\2  INTRODUCTION. 

ainsi  ses  modestes  moyens  d'existence ,  en  attendant 
qu'il  eût  trouvé  un  Mécène,  comme  la  mode  commençait 
à  s'en  établir. 

Nulle  part  il  n'a  avoué,  par  fierté  sans  doute,  ses  be- 
soins d'argent;  mais  l'humilité  le  porta  à  se  faire  sur- 
nommer «  l'Indigent  de  sapience  »,  bien  que  né  dans  un 
pays  qui  passait  pour  en  être  largement  doté.  Nous  ré- 
pétons ce  fait,  après  plusieurs  biographes,  sans  avoir 
encore  rencontré  le  texte  qui  le  justifie. 

La  date  de  1.535,  celle  de  son  dernier  prix  pour  une 
Ballade,  le  prix  de  la  Rose,  nous  paraît  marquer  l'une  des 
dernières  années  où  il  fut  régulièrement  attaché  au  dio- 
cèse de  Rouen.  Il  passa  bientôt  dans  celui  de  Lisieux.  En 
tète  de  son  Coup  d'Essay,  qui  est  de  1 536,  il  prend,le  titre 
de  «  Secrétaire  de  l'abbé  de  Sainct  Eburoul  ».  Cet  abbé, 
Félix  P""  de  Brie,  de  la  maison  des  seigneurs  de  Serrant 
en  Anjou,  avait  obtenu  du  pape  Jules  U,  le  11  décembre 
1503,  la  commande  de  la  belle  et  riche  abbaye  de  Saint- 
Evroult^  (Orne,  arr.  d'Argentan,  cant.  de  la  Ferté-Fres- 
nel).  Sagon  restera  jusqu'à  la  fin  de  se.^  jours  le 
secrétaire  de  ce  protecteur,  et  en  gardera  le  titre  dans  ses 
divers  ouvrages,  sans  jamais  y  joindre  ou  lui  substituer 
celui  des  cures  dont  il  fut  pourvu. 

C'est  pendant  qu'il  exerçait  les  fonctions  de  secrétaire 

'  Gallia  Chrîsliana,  t.  XI,  p.  828. 


INTRODUCTION.  13 

auprès  de  l'abbé  de  Saint-Evroult,  qu'éclata  la  querelle 
à  laquelle  Sagon  doit  d'avoir  échappé  à  un  plus  complet 
oubli.  Mais  l'inimitié  des  deux  poètes  venait  de  plus 
loin,  comme  le  prouve  le  résumé  de  ce  qu'on  lit  à  ce  su- 
jet dans  la  petite  pièce  de  vers  ayant  pour  titre  :  Le  Dif- 
férend de  Marot  et  de  Sagon\ 

Les  causes  de  cette  lutte  ont  donné  lieu  à  bien  des  ex- 
plications diverses.  Pour  les  uns,  Sagon  a  visé  à  la  célé- 
brité, en  cherchant  querelle  à  un  poète  illustre .  D'autres 
ont  supposé  qu'il  aspirait  à  remplacer  Marot  dans  ses 
fonctions  de  valet  de  chambre  auprès  de  François  I, 
oubliant  que  sa  qualité  de  prêtre  ne  le  lui  permettait  pas, 
et  que  cette  imputation  est  formulée  par  Marot  lui-même 
contre  un  autre  champion  de  cette  guerre  de  plume.  Huet 
ou  la  Hueterie.  Pour  nous,  la  cause  de  la  querelle  est 
toute  religieuse,  et  elle  naquit  de  Tétat  des  esprits  en 
France,  après  l'apparition  de  la  Réforme,  et  la  publica- 
tion par  Marot  de  sa  traduction  en  vers  français  des 
trente  premiers  psaumes  dédiés  à  François  I.  Pendant 
cette  lutte,  religieuse  avant  tout,   il  fut  encouragé  par 


•  Voir  Pièces  justificatives^  I.  —  La  pièce  de  vers  est  citée  dans  les 
OEuvres  de  Clément  Marot,  (par  Lenglet  du  Fresnoy,)  à  la  Haye,  chez 
P.  Gosse  et  J.  Neaulme,  M.DGC.XXXI,  4  vol.  in-i".  —  Le  tome  IV 
donne  ce  titre  plus  complet  :  Recueil  de  pièces  du  différend  de  Clé- 
ment Marot,  François  Sagon  et  la  Huelerie;  avec  les  Apologies  pour 
ou  contre.  Sur  l'imprimé  in-\6.  Paris,  1538  et  autres  éditions. 


14  INTRODUCTION. 

l'abbé  de  Saint-Evroult,  Félix  de  Brie,  qui  lui  aurait 
promis,  comme  récompense  de  son  zèle,  la  cure  de  Soli- 
gny.  Fripelippos  le  dit  à  Sagon  en  termes  formels,  en  un 
passage  de  son  Epitre,  où  il  menace  cet  abbé  des  foudres 
poétiques  de  son  maître,  très  bien  instruit  de  la  conduite 
de  ce  dernier. 

Car  il  scait  tout  :  et  scait  comment 
*  > 

Te  fit  exprès  commandement 
De  t'en  aller  nietire  en  besogne 
Pour  co?}:poser  ton  coup  d'yvro72gne  : 
Ce  que  lui  accordes,  pour  veu 
Qu'en    après  iu  serais  pourveu 
De  la  cure  de  Solîgny^. 

Cédant  donc  à  son  ardeur  religieuse^  Sagon  ne  craignit 
pas,  en  1536,  d'attaquer  directement  Marot,  alors  en 
exil  volontaire  à  Ferrare,  en  lançant  contre  lui  la  pièce 
que  Fripelippes  vient  de  qualifier  si  durement.  Ce  fut  le 
Corp  d'essay  de  Francoys  de  Sagon,  secrétaire  de  l'abbé  de 
Sainct-Eburoul,  contenant  la  response  à  deux  epistres  de  Clé- 
ment Marot,  relire  à  Ferrare.  L'une  adressante  au  Roy  très 
chresticn.  L'autre  à  deux  damoyselle  seurs.  Vêla  de  quoy  ^  Il  en 

'  OEuvres  de  Marol,  même  édition,  p.  241. 

*  Pour  la  fin  du  litre  Ibrt  étendu,  suivant  l'iiabitudc  des  écrivains  de- 
cette  époque,  Voir  la  Bibliographie  des  œuvres  de  Sagon,  à  la  fin 
de  Vlnltoduction. 


INTRODUCTION.  15 

résulta  une  guerre  de  plume  des  plus  violentes  qui  dura 
deux  ans,  de  1536  à  1538'. 

Voici  comment  le  ton  et  le  fond  de  la  polémique, 
où  Sagon  fut  l'agresseur,  ont  été  jugés  :  «  Défenseur 
de  la  Sorbonne,  prôneur  de  ses  lumières,  Sagon  met 
tout  son  talent  à  poursuivre  ce  qu'il  appelle  *  le  venin, 
la  pointure  et  les  erreurs  de  Marot.  »  A  l'entendre, 
il  n'y  a  pas  de  fauteur  plus  dangereux  de  l'hérésie. 
On  dirait  que  tout  le  mal  vient  de  lui,  qu'il  est  pire 
que  Luther.  N'a-t-il  pas  outragé  les  vén'érables  suppôts 
de  la  justice?  Il  est  le  «  porte-guydon,  le  guyde,  le  pour- 
traict,  l'exemple  de  tout  le  mal.  »  Il  a  «  mengé  en  karesme 
du  lard.»  L'honneur  de  François  I*',  sa  justice  exigent 
qu'on  punisse  l'arrogant  parler  de  ce  Marot  «  qui  a  fait 
tomber  le  peuple  ignorant  en  faute.  »  Qu'importe  à  la 
France  que  Marot  soit  exilé  ?  Y  perd-t-elle  quelque  chose 
de  sa  gloire  et  de  son  renom  ?  Parce  qu'un  fou  l'appelle 
ingrate,  en  est-elle  diffamée?  Qu'il  redoute  bien  plutôt  la 
justice  «  qui  va  droit  et  d'un  seul  pied  ne  cloche,  tenant 
dans  sa  dextre  sa  droite  espée,  dont  oncques  ne  fut  per- 
sonne à  tort  frappée,  » 

«  Gomme  si  ce  n'était  pas  assez  de  ses  plaintes,   il 

'  Cette  querelle  littéraire,  eu  l'oa  compte  plus  de  quarante  pièces 
de  part  et  d'autre,  exigerait  des  développemens  assez  étendus,  avec 
la  réimpression  des  principales  pièces,  textes  et  caricatures.  Nous  ne 
pouvons  que  l'esquisser  ici. 


16  INTRODUCTION. 

appelle,    pour    écraser   Marot,   pape,   cardinaux,   gens 
d'église,  religieux,  potentats,  jusques  aux  dames,  jus- 
qu'aux damoiselles,  pour  le  confondre  et  l'abîmer  i.  » 
Sagon  avait  apostrophé  grossièrement  son  adversaire  : 

O  povre  sot,  povre  beste  insensée 

ô  povre  pou  éthique. 

Quel  ver  te  poingt,  ou  te  picque  le  cueur. 

Et  autres  aménités  pareilles.  Fripelippes  lui  répond 
plus  grossièreinent  encore,  comme  un  vrai  valet,  en 
l'appelant,  lui  et  ses  partisans,  «  des  jeunes  veaux,  de  po- 
vres  bestes,  de  vieux  asnes.»  Leurs  vers  ne  sont  «  qu'ivro- 
gneries et  rimasseries.  »  Sagon  devient  un  «  Sagouyn, 
un  veau,  l'âne  de  Balaam,  une  chouette,  un  oyson,  une 
rane  (grenouille),  et  même  un  «  naveau  »  (navet).  Ce 
n'est  donc  pas  seulement  d'aujourd'hui  que  les  vivacités 
de  la  polémique  passent  successivement  du  règne  animal 
au  règne  végétal,  pour  mieux  injurier  un  adversaire. 
Toutes  ces  gentillesses,  dont  Sagon  avait  donné  le  pre- 
mier l'exemple,  se  retrouvent  dans  la  seule  Epitre  de 
Fripelippes,  valet  de  Marot,  à  Sagon  2 . 

L'affaire  fit  du  bruit  à  Rouen^  et  nous  en  citerons  pour 


'  Histoire  de  la  Littéralure  française  depuis  la  Renaissance  jusqu'à 
la  fin  du  XVII"  siècle,  par  Charles  Gidel,  pages  80-81. 
*  OEuvres  de  Marot,  édit.  de  Niort,  1596,  pages  234-241. 


INTRODUCTION.  17 

preuve  :  VAppohgie  faicte  par  le  grant  abbé  des  Couards  sur 
les  inuectiues  Sagon,  Marot^  La  Hueterie,  pages,  valets,  brac- 
quels,  et  cœtera.  EUo  fut  suivie  de  la  Respose  à  l'abbé  des 
Couards  de  Roven  (1537;.  Puis  vint  La  première  leçon  des 
Matines  ordinaires  dv  grand  abbe  des  Couards  de  Roven,  sou- 
verain monarque  de  l'ordre  :  contre  la  respose  faicte  par  ung 
Conard  a  l'apologie  dvdict  abbe.  En  1537'. 

Dans  la  chaleur  du  débat,  un  des  «  Marotins  »  ou 
«  Maroteaulx  »  (car  l'un  et  l'autre  se  disaient)  n'avait 
pas  hésité  à  enterrer  le  chef  des  «  Sagontins,  »  tout 
vivant,  en  lui  faisant  l'épitaphe  que  voici  : 

EPÏTAPHE  DE  FRANGOYS  SAGOUIN 

DIGT  SAGON. 

Areste  toy  passant  par  ce  lien  cy, 
Si  tu  veulx  voir  de  terribles  merveilles 
Icy  repose  un  corps  humain  transsy. 
Qui  iadis  eust  au  chef  plusieurs  cervelles. 
Comment  cela?  Or  ne  t'en  esmerveilles. 
Car  ce  gros  bueuf  avait  semble  groing 
Que  le  marmot,  qu''on  nomme  Sagouyn 
Puis  quant  le  monde  eust  veu  de  son  cerveau^ 

'  Ces  pièces  onl  eu  i'Jionneur  d'une  magnifique  réimpression, 
A  Paris  de  l'imprimerie  de  Panckoucke,  rue  des  Poitevins,  I4,  en  cio 
13  cccLiv.  Nouo  remercions  notre  président,  M.  Lormier,  de  nous 
l'avoir  fait  connaître,  en  nous  confiant  son  exemplaire,  sur  vélin. 

3 


fS  INTRODUCTION. 

WU 

veau'. 


Il  fut  jugé  que  ce  gentil  babouin 
Tenait  autant  de  Vasne  que  du  Vi 


Les  rieurs  n'étaient  plus,  depuis  longtemps,  du  côté 
de  Sagon,  que  son  caractère  de  prêtre  semblait  devoir 
éloigner  du  ton  qu'il  apporta,  le  premier,  dans  cette  polé- 
mique. 

La  seule  explication  plausible,  c'est  que,  secrétaire  de 
l'abbé  de  Brie,  qui  paraît  l'avoir  poussé  dans  la  lutte, 
prêtre  sans  emploi,  qui  n'avait  pas  encore  charge  d'âmes, 
obéissant  d'ailleurs  à  ses  sentiments  personnels  et  au 
désir  de  complaire  à  son  maître,  il  se  laissa  facilement 
entraîner  au-delà  d'une  sage  mesure  dans  ses  attaques. 
En  cela,  il  eut  grand  tort  ;  car,  s'il  est  une  polémique  infi- 
niment respectable,  quand  elle  est  affaire  de  conscience, 
il  en  est  une  autre  infiniment  regrettable,  quand  elle  est 
affaire  de  parti,  parce  qu'alors  on  oublie  trop  aisément 
qu'un  chrétien,  un  prêtre  surtout,  ne  doit  pas  se  per- 
mettre des  imputations  injurieuses,  et  que  la  haine  du 
péché  n'excuse  jamais  de  grossières  injures  contre  le 
pécheur. 

Le  Ion  de  Sagon,  dans  cette  polémique,  lui  fit  perdre 
des  partisans,  des  amis,  qui  allèrent  même  grossir  le 

'  Œdvres  de  Makot,  édil.  de  Lenglet  Dufresnoy,  t.  IV,  p.  542,  dan? 
le  Recueil  des  pièces  du  Différend  de  Clément  Marot,  François  Sagon 
et  la  Huelerie. 


INTRODUCTION.  19 

parti  contraire.  Une  lettre  qu'il  adre;3sa  pendant  la  lutte 
à  Jean  Boucliet',  procureur  à  Poitiers,  historien  et  poète 
;ï  ses  heures,  nous  apprend  la  défection  d'un  certain 
Germain  Colin  Bûcher,  dont  notre  auteur  dit,  avec  re- 
gret : 

//  m'a  blasnié,  et  a  jprins  la  défense 

De  son  Marot,  qui  Dieu  et  monde  offense. 

Pour  le  remplacer,  Sdgon  tentait  par  son  Epitre  de 
gagner  Jean  Bouchet  à  son  parti  ;  mais  il  n'en  tira  qu'une 
réponse  fort  mesurée,  aboutissant  à  une  déclaration  de 
neutralité  : 

Quant  est  de  mojr  i'en  quitte  la  partie, 

le  suis  amy  de  tous  en  charité, 

l'entends  de  ceulx  qui  suyuent  vérité. 

Il  me  desplait  de  veoir  vous  trois  en  picques , 

Et  dont  aulcuns  par  brocars  satjyriques 

En  lieu  de  paix  ont  tendu  vous  mouuoir 

A  plus  grand  guerre  et  grand  discord  auoir  3. 

Repoussé  de  ce  côté,  il  fut  plus  heureux  auprès  de 
Françoise  de  Foix,  comtesse  de  Chateaubriand,  qui  le 

'  Voir,  plus  loin,  la  Bibliographie  des  Œuvres  de  Sagox. 
'  Un  renvoi  donne:  «  Marot,  Sagon  et  la  Hueterie  (ou  Huet).  » 
*  Epistres  familières  du  Trauerseur,  15/15.  Epistre  CIX,  feuillets 
Ixxii  et  Ixxiij. 


20  INTRODUCTION. 

soutint  pendant  cette  lutte.  Suivant  M.  de  Lescure,  «  Ma- 
rot  aurait  été  le  poète  ordinaire  de  Françoise  de  Foix,  son 
confident,  son  secrétaire  intime,  à  qui  elle  devait  elle- 
même  faire  infidélité  pour  Sagon  i .  »  Nous  ne  savons  si 
le  fait  est  authentique  pour  Marot,  mais  il  est  certain 
(|ue  la  dédicace  d'un  livre  de  ses  Epigrammes,  en  1530, 
le  Rondeau  adressé  :  A  Monsieur  de  Belleuille,  qui  lui 
transmit  me  Epistre  parlant  de  Madame  de  Chasteaubriant, 
et  une  Epistre  envoyée  :  A  Guillaume  du  Tertre,  secré- 
taire de  Monsieur  de  Chasteaubriant  prouvent  que  Marot 
avait  des  rapports  avec  le  mari  de  Françoise  de  Foix  ^ . 
Un  passage  de  cette  dernière  Epitre  est  le  seul  où  il 
soit  question  d'elle.  Parce  que  le  secrétaire  de  son  mari 
avait  envoyé  des  vers  à  Marot,  celui-ci  a  cru  devoir 
adresser  une  Epitre  au  secrétaire  Guillaume  du  Tertre, 
et  non  transmettre  verbalement  sa  réponse  par  le  secré- 
taire de  Montejan,  en  faisant  ainsi  l'éloge  du  comte  et  de 
la  comtesse  de  Chateaubriand. 

Car  la  maison  ou  Dieu  t'a  voulu  mettre 
Digne  te  rend,  et  plus  que  digne  au  Monde, 
Non  que  Marot,  mais  Maro,  te  responde. 
Que  pleust  a  Dieu,  que  tant  il  me  feit  d'heur, 
Qu'ores  ie  puisse  escrire  au  serviteur 

•  Les  Amours  de  François  1^',  1"  édition,  p.  157. 

'  Œuvres  de  MaroL  édit.  de  1596,  pages  368,  337  et  169. 


INTRODUCTION. 


Ôî 


Propos,  qui  fiist  si  fort  plaisant  au  maistre, 
Que  mal  plaisant  ne  peust  à  la  Dame  estre*. 


Quand  il  écrivait  ces  vers,  Marot  n'étiit  ni  «  le  poète 
ordinaire,  ni  le  confident,  ni  le  secrétaire  intime  »  de  la 
comtesse,  et  nous  doutons  qu'il  l'ait  jamais  été.  Tout  au 
plus  aurait -il  pu  l'être  momentanément  du  mari. 

Mais  un  fait  bien  constant,  c'est  que  Sagon  fut  accueilli 
avec  faveur,  à  une  époque  indéterminée,  par  la  comtesse 
de  Chateaubriand,  comme  on  le  voit  par  maint  passage 
de  son  poème,  le  Regret  d'honneur  féminin,  Gom])Osé  après 
la  mort  de  sa  protectrice,  pour  célébrer  ses  vertus.  L'un 
de  ses  motifs  pour  faire  l'éloge  de  cette  dame  est  l'appui 
qu'elle  lui  prêta  contre  Marot.  Il  doit  l'entreprendre^ v  . 

Veu  qu'en  viuani,  me  donna  de  bon  ^elle 
Faueur,  tesmoing  Sepeaux  la  damoyselle. 
Qui  peust  bien  veoir,  quung  moys  aiiant  sa  mort 
En  sa  douUeur  me  donna  grand  confort 
Contre  l'effort  de  marotins  alarmes'^. 

C'est  donc  en  septembre  1537,  au  plus  fort  de  la  lutte, 
que  la  dame  de  Chateaubriand  consola  Sagon,  en  le  sou- 
tenant contre  les  attaques  de  Marot  et  de  ses  partisans. 

«  Ibid.,  p.  174. 

*  Voir,  plus  loin,  le  te^te  du  Pohne. 


22  INTRODUCTION. 

Si  ce  passage  fait  honneur  à  la  reconnaissance  de  notre 
auteur,  il  montre  aussi  toute  la  peine  qu'il  ressentit  de 
«  l'effort  des  marotins  alarmes.  »  Cette  lutte  dut  profon- 
dément troubler  sa  tranquillité,  car  le  succès  final  ne  fut 
pas  de  son  côté.  Marot,  dès  le  début,  caché  derrière 
Fripelippes,  son  valet  imaginaire,  tout  en  répondant  sur 
le  même  ton  à  son  adversaire,  eut  toujours  sur  lui 
l'avantage  de  le  faire  avec  plus  de  finesse,  d'agrément  et 
de  légèreté  de  style,  au  milieu  de  tant  d'attaques  directes, 
de  ces  violentes  personnalités,  dont  le  ton  allait  crois- 
sant avec  l'animation  des  partis. 

Voilà  une  révélation  toute  nouvelle,  due  à  notre  poème, 
que  cette  intervention  indirecte  de  la  dame  de  Chateau- 
briand soutenant  Sagon  contre  Marot. 

Mais  ce  n'est  pas  la  seule  preuve  de  leurs  rapports 
qu'on  y  trouve.  Pour  être  en  état  de  rappeler  ses  qualités 
physiques  et  morales,  et  de  venir  longuement. 

De  son  esprit  faire  oiiiierture, 

il  fallait  avoir  vécu  dans  l'intimité  de  la  comtesse. 

Par  plusieurs  autres  passages,  on  voit  que  Sagon  avait 
été  témoin  des  soins  qu'elle  avait  donnés  à  l'éducation 
de  son  neveu  et  de  sa  nièce,  Henri  de  Foix,  seigneur  de 
Lautrec,  et  Claude  de  Foix,  comtesse  de  Laval,  restés 
orphelins.  C'est  à  elle  qu'ils  doivent  leurs  vertus. 


INTRODUCTION.  23 

N'est-ce  pas  un  familier  (un  domestic,  comme  on  disait 
alors),  un  directeur  peut-être,  qui  a  pu  dire: 

le  puis  bien  escrire  en  ce  lieu 
Que  du  désir  quelle  eust  a  Dieu 
Ensuyuit  par  doctrine  saine 
Vne  Katherine  de  seine. 


Enfin ,  Sagon  aurait  bien  pu  savoir  indirectement 
qu'elle  possédait  l'italien,  l'espagnol,  avec  une  certaine 
teinture  du  latin  et  une  grande  habileté  dans  l'art  d'ex- 
pliquer les  devises.  Mais  il  fallait  avoir  vécu  longtemps 
près  d'elle,  pour  porter  de  son  savoir  le  témoignage  tout 
personnel,  que  le  poème  contient  sur  le  talent  de  cette 
dame  à  parler  de  poésie. 

le  seray  par  expérience 
Tesmoing  de  sa  haulte  science. 
l'en  puis  bien  dire  a  mon  aduis 
Ce  que  ien  scay  par  soti  deuis, 
Auquel  trouuay  auec  fortune, 
En  son  viuant  heure  opportune 
Tant  que  Voy  par  plusieurs  foy s, 
La  dame  Françoise  de  Foix, 
Parler  de  plus  haulte  pratique 
Que  Sapho  en  l'art  poétique. 


24  INTRODUCTION. 

Notre  auteur  n'était  donc  pas  le  premier  venu,  pour 
être  admis  dans  la  société,  dans  l'intimité  de  Françoise 
de  Foix  et  de  plusieurs  autres  personnages  marquants  de 
la  Bretagne  et  de  l'Anjou,  dont  ses  vers  ont  également 
conservé  le  souvenir. 

Après  sa  lutte  contre  Marot,  Sagon  laissa  complètement 
de  côté  ses  allures  batailleuses^  pour  ne  plus  écouter  que 
la  voix  de  l'amitié,  qui  lui  inspira  des  vers  bien  différents 
des  premiers,  peu  satisfait,  sans  doute,  de  la  triste  célé- 
brité qu'ils  lui  avaient  value. 

«  Dans  les  poésies  dont  Marot  est  l'objet,  Sagon  parle 
quelquefois  de  noble  homme  Guy  Morin,  seigneur  de 
Loudon,  avec  qui  il  était  ]ié  d'amitié.  Il  perdit  cet  ami^ 
à  la  fin  de  juillet  ou  le  premier  août  1536,  Morin  ayant  été 
tué  à  l'armée  devant  Turin,  dans  un  âge  peu  avancé. 
Sagon  ne  se  contenta  pas  de  le  regretter,  il  fit  imprimer 
en  1537,  à  Paris,  une  traduction  que  Morin  avait  faite  du 
traité  d'Erasme  :  De  la  préparation  à  la  mort,  et  il  y 
joignit  un  Discours  en  vers  français  de  la  vie  et  mort  acciden- 
telle du  Traducteur  avec  son  Epitaphe.  Le  discours  a  envi- 
ron mille  vers  :  il  est  presque  tout  historique  et  il  peut 
suffire  à  ceux  qui  sont  curieux  de  connaître  la  famille,  la 
vie  et  les  actions  de  Guy  Morin.  Du  reste,  il  n'y  a  nulle 
invention  dans  ce  poème,  et  la  versification  en  est  plate 
et  souvent  défectueuse  i.  » 

•  Bibliothèque  française  de  l'abbé  Goujet,  t.  XL 


INTRODUCTION.  25 

Voici  les  vers  placés  au  verso  du  titre  : 

Plorei  mes  vers,  mes  yeulx  fo7ide\  en  larmes. 
Cueur  esbahy,  sonne  mortel^  alarmes 
Pour  Guy  Morin,  iadis  sieur  de  Loudon, 
Que  mort  renuerse  aiiec  ses  noires  armes 
Au  lict  d'honeur  des  genti:{  hommes  d'armes 
Plore:{  donc  tant  que  de  gloire  ait  le  don. 

Notre  auteur  a  deux  mérites,  dont  l'abbé  Goujet  n'a 
rien  dit.  Il  est  très  méthodique  dans  la  composition  de 
ses  œuvres.  Gela  ressort  de  la  division  de  son  Disgovrs 
ainsi  donnée  :  1"  Bref  argvment  en  forme  d'Epithome; 
oo  Proposition  ;  3°  Invocation  ;  4"  Narration  ;  5°  Rondeau  à 
l'honneur  dudict  défunct;  6"  Epitaphe.  La  fin  de  l'Epitaphn 
est  : 

et  Icy  fut  mis  après  qu'il  fut  occis 
Le  tiers  iour  d'Aoust,  mil  cinq  cens  trente  six. -a 
«  Vêla  de  quoy, 
FRANC OYS  DE  SAGON.  " 

Il  a  aussi  un  mérite  qui  a  échappé  à  cet  abbé,  celui 
d'une  versification  plus  savante  et  plus  régulière  que  celle 
de  ses  contemporains,  sur  laquelle  nous  reviendrons. 

L'amitié  ou  la  reconnaissance  lui  conseillera  encore. 
le  reste  de  sa  vie,  de  faire  des  vers  en  l'honneur  des 
4 


26  INTRODUCTION. 

t'amilles  qui  le  protégaient,  quand  elles  viendront  à 
perdre  quelques  uns  de  leurs  membres.  C'est  un  genre 
tj[u'il  avait  inauguré  avec  le  Regret  d'honneur  féminin,  pour 
célébrer  les  vertus  de  la  comtesse  de  Chateaubriand,  et 
qu'il  n'abandonna  plus.  Telles  sont  ses  Epitaphes  en  vers 
français  de  la  famille  de  Brie  de  Serrant. 

Le  nom  de  leur  auteur  serait  probablement  resté 
ignoré,  sans  ce  passage  de  la  courte  notice  que  La  Croix 
du  Maine  a  consacrée  à  Sagon,  dès  le  xvi«  siècle.  «  Il  a 
composé,  dit-il,  tous  ou  la  plus  grande  partie  des  epi- 
taphes qui  se  voient  en  la  chapelle  du  château  de  Serrant 
en  Anjou,  à  trois  lieues  d'Angers,  faits  en  l'honneur  des 
sieurs  dudit  Serrant,  surnommés  de  Brie,  qui  est  une 
fort  ancienne  et  très  noble  maison  '.  » 

Dans  ses  Remarques  sur  la  Vie  de  Guillaume  Ménage 
(pages  307-315),  Gilles  Ménage  a  placé  un  chapitre  inti- 
tulé :  «  Sommaire  de  la  généalogie  de  la  maison  de  Brie», 
moitié  prose,  moitié  vers.  On  y  trouve  un  exposé  généa- 
logique, suivi  d'épitaphes  en  vers  français  dedixsyllabes, 
chacune  d'elles  ayant  de  quinze  à  seize  vers.  Elles  sont 
au  nombre  de  onze,  cinq  pour  les  hommes  de  cette  mai- 
son, cinq  pour  les  femmes  qu'ils  ont  épousées,  et  une 
pour  le  fils  de  Gilles  de  Brie  et  Anne  Giffard,   nommé 


*  Les  Bibliothèques  françaises  de  la  Croix  du  Maine  et  de  Du  Ver- 
dier,  sieur  de  Vaiiprivas.  Nouvelle  édition,  m.  dcc.  lxxii,  t.  I,  p.  237. 


INTRODUCTION.  2/ 

Ponlhus  de  Brie.  La  voici  comme  spécimen  de  toutes  les 
autres.  C'est  le  mort  qui  parle  : 

L'heur  de  fortune  en  haut  me  fit  lever. 
Nature  aussi  m'a  fait  noble  approuver  : 
Dont  gloire  humaine  au  monde  ay  recouverte. 
Mais  Mort  ;  pour  Vune  et  l'autre  treuver  ; 
Comme  le  vent  de  l'automne  en  Ityver 
Fait  choir  la  fueille  en  esté  toute  verte  ^ 
Ma  chair  sous  terre  en  Février  a  couverte 
Tiers  jour  du  mois  .-jour  suivant  Biaise  Alartyr. 
O  donc,  Lecteur,  pour  de  moy  t'avertir, 
Teus  nom  Ponthus;  de  vie  tant  loyal  le. 
Que  fus  par  Lettres  et  par  grâce  Royal  le 
Du  Roy  Louis  Un^iesme  chambellan. 
Dedans  Serrant  ma  Lettre  en  garde  l'an. 
Pour  démonstrer  la  chose  véritable, 
De  mil  cinq  cent,  oltre  trois,  sera  l'an'. 

A  la  suite  de  cette  citation,  Gilles  Ménage  ajoute  : 
«  Et  cet  épitaphe  est  le  dernier  de  ceux  des  seigneurs  de 
Brie  de  Serrant,  qui  sont  dans  l'église  de  Saint-Georges. 
Ces  épitaphes,  au  reste,  ce  que  peu  de  personnes  savent, 
ont  été  faits  par  François  Sagon.  Je  l'ay  appris  de  cet 
endroit  de  la  Bibliothèque  de  La  Croix  du  Maine.  »  Puis 

'   VitSB  Pelri  jErodii,  etc  ,  pages  311-312.  —  Voir  la  Bibliographih 
DES  Œuvres  de  Sagon,  ci-après. 


08  INTRODUCTION. 

vient  un  résumé  de  l'article  de  ce  dernier  sur  Sagon, 
dont  la  fin  a  été  citée  plus  haut  i . 

On  comprend  que  notre  poète,  secrétaire  de  l'abbé  de 
Saint- Evr ouït,  Félix  de  Brie,  ait  voulu  lui  complaire  et 
gagner  ses  bonnes  grâces,  en  faisant  en  vers  les  épitaphes 
des  divers  membres  de  sa  famille,  pour  être  gravées  sur 
le  marbre  et  placées  dans  la  chapelle  du  château  de 
Serrant,  suivant  La  Croix  du  Maine,  ou  de  l'église  de 
Saint- Georges,  suivant  Gilles  Ménage.  Ces  vers  en 
l'honneur  de  la  famille  de  Brie  ne  furent  imprimés  que 
plus  d'un  siècle  après  la  mort  de  Sagon. 

Il  n'en  fut  pas  de  même  d'autres  vers  concernant  en- 
core une  famille  célèbre  de  l'Anjou.  Pendant  que  les 
Français,  guerroyant  en  Italie  contre  les  Impériaux, 
assiégeaient  Carignan,  le  comte  d'Enghien,  par  une 
attaque  aussi  imprévue  qu'impétueuse,  avait  remporté 
sur  l'ennemi  la  brillante  victoire  de  Gérisoles  en  Pié- 
mont (14  avril  1544)  ;  mais  plusieurs  membres  de  la  no- 
blesse française  y  avaient  trouvé  la  mort,  et  l'une  des 
victimes,  qui  se  rattachait  à  la  famille  Errault,  devint, 
avec  deux  autres  compagnons  d'armes,  l'objet  des  chants 
de  Sagon. 

L'année  même  de  la  bataille ^  il  publia  :  La  Complaincte 
de  troys  gentilzhommes  françoys,  occiz  et  morts  au  voyage  de 

'  Voir  ci-dessus,  p.  2G. 


INTRODUCTION.  29 

Carrignan;  bataille  et  iouniee  de  Cérizolles.  «  Ces  trois  gen- 
tilshommes sont  le  seigneur  d'Acyer,  grand  Ecuyer  de 
France,  qui  se  complaint  '  de  la  mort  de  son  fils,  tué  à  la 
journée  de  Gérisoles;  M.  de  Ghemens,  neveu  de  Fran- 
çois Errault,  chevalier,  seigneur  de  Ghemens,  qui  fut 
destitué  de  la  dignité  de  garde-des-sceaux  en   1544  .-  et  le 
seigneur  de  Barbezieux,  Gilbert  de  la  Rochefoucauld, 
grand  sénéchal  de  Guyenne.  Ge  seigneur  ne  fut  pas  tué 
à  la  journée  de  Gérizolles,  mais  il  mourut  à  Lyon,  à  son 
retour  en  France.   Aussi  s'en  plaint-il  avec  beaucoup 
d'amertume^.    Ges  complaintes    sont  entremêlées    de 
quelques  autres  pièces  qui  ont  rapport  au  même  sujet. 
Par  exemple,  après  la  complainte  sur  la  mort  de  M.  de 
Ghemens  3,  Sagon  pleure  la  même  morl  dans  un  dixain 
et  console  Mademoiselle  de  Loudon,  cousine  du  défunt, 
dans  une  Epitre  morale  qu'il  lui  envoyé,  et  ses  autres 
parents  par  d'autres  vers  qu'il  leur  adresse-  La  complainte 
sur  la  mort  de  M.  de  Barbezieux  est  pareillement  suivie 
d'un  rondeau  Du  Moyen  de  bien  mourir,  d'une  autre  com- 
plainte où  la  veuve  de  M.  de  Barbezieux  exprime  ses  re- 

'  Allusion  au  titre  de  l'une  des  pièces  de  cet  ouvrage  :  Complainte 
du  seigneur  d'Acyer  grand  escuijer  de  France,  sur  la  mort  de  son  fih 
unique,  occiz  en  fleur  de  ieunesse  clcuant  Carrignan.  —  F.  B. 

'  Sagon  a  introduit  dans  ce  Recueil  une  :  Complainle  du  srigneur 
de  Barbezieux,  parlant  après  mort  a  SfS  amys  uiuanti.  —  F.  B. 

?  Elle  a  pour  titre  :  De  Chemens  occys  deuant  Carrignan  a  Monsieur 
de  Chemens,  garde  des  scaulx  de  Francs,  oncle  du  deffuncl.  —  F.  B. 


30  INTRODUCTION. 

grets,  de  plusieurs  quatrains  sur  la  mort,  de  quelques 
Huitains,  Dizains  et  Rondeaux  sur  le  même  sujet,  et  d'un 
Colloque  long  et  ennuyeux  entre  Rien  du  Monde  et  Tout  du 
Monde  *,  où  il  est  encore  question  de  la  mort  en  général, 
et  de  celle  de  M .  de  Barbezieux  en  particulier.  Et  comme 
le  Recueil  devait  être  consacré  aux  chants  funèbres, 
Sagon  le  finit  par  diverses  pièces  sur  la  mort  de  Claude 
de  Brie  de  Serrant,  qui  fut  enlevé  peu  de  temps  après 
sa  naissances.  » 

Ces  Plaintes,  ces  Complaintes,  récits  naïfs  ou  plaintifs 
d'une  action  réelle  ou  imaginaire,  ayant  son  exposition, 
ses  péripéties  et  son  dénoûment,  étaient  alors  une  œuvre 
sérieuse,  dont  on  retrouve  de  nombreux  échantillons. 
L'intention  du  poète  était  d'intéresser  ou  d'édifier  les 
esprits,  avec  le  secret  désir  de  complaire  aux  familles 
dont  il  célébrait  les  morts.  On  peut  bien  croire  que  toutes 
ces  productions  avaient  un  but  intéressé;  mais  pourquoi 
le  cœur  ne  les  aurait- il  pas  aussi  inspirées  ?  Tout  impar- 
faites qu'elles  sont,  elles  semblent  bien  préférables  aux 
pièces  de  la  lutte  contre  Marot;  car,  les  revers  engendrant 
l'injustice,  le  ton  de  ces  dernières  laisse  fort  à  désirer, 


'  Le  tilre  complet  est  :  Colloque  funèbre  après  la  mort  de  monsieur 
de  Barbesieux  père  du  dernier  deffunct  :  par  le  dictAuiheur,  à  la  requesle 
d'une  dame  de  la  Court  estant  par  alliance  Bien  du  Monde  a  son  Tout  le 
Monde.  —  Et  non  Tout  du  Monde.  —  F.  B.  s 

*  L'abbé  Goujet,  Bibliothèque  française  (1747),  t.  XI,  pages  100-10!. 


mfRODUGTION.  3i" 

tandis  que,  dans  les  premières,  le  cœur  de  Sagon  paraît 
s'être  soulagé  de  tous  les  sentiments  qu'exprime  l'es- 
prit. 

Dans  ce  Colloque  funèbre,  comme  dans  le  Regret  d'hon- 
neur féminin,  l'acteur  (l'auteur)  fait  sa  partie,  et  Rien  du 
Monde  et  Tout  le  Monde  lui  donnent  la  réplique.  On  y 
retrouve  aussi  les  vieilles  formes  de  notre  poésie  :  Lai, 
Ballade,  Chanson,  Epitaphe  et  Complainte,  avec  la  devise 
ordinaire  de  Sagon,  pour  terminer  ses  ouvrages  : 

Vêla  de  quoy. 

Malgré  les  attaques  de  FripelippeSj  qui  l'accuse  «  d'es- 
corcher  le  latin  comme  un  mastin,  o  le  choix  de  l'arche- 
vêque d'Amboise,  pour  prêcher  dans  le  synode  d'été,  nous 
a  paru  tout  à  l'honneur  de  Sagon,  et  il  dut  avoir,  hors  de 
Rouen  même,  une  certaine  réputation  comme  orateur 
sacré. 

Ainsi,  vers  1536,  Jean  Bouchet,  procureur  de  profes- 
sion, à  Poitiers,  mais  historien  et  poète  des  plus  féconds, 
ayant  reçu  de  Sagon  une  Epistre  en  vers,  n'hésite  pas  à 
dire  en  tète  de  sa  réponse  : 

Va  lettre  va  declairer  ton  îargon 

A  l'orateur  maistre  Francoys  Sagon  «. 

'  Episi.res  familières  (lu  Trauerseur,  1545.  In-f°,  feuillet  Ixxiij. 


3^  INTRODUCTION. 

De  plus,  nous  avons  retrouvé  de  lui  une  Oraison  funèbre 
faicte  es  exeques  de  feu  messire  Philippes  de  Chabot,  grand 
admirai  de  France,  de  Bretaigne  et  de  Guyenne.  Aucun  au- 
teur, aucun  bibliographe  ne  l'a  citée .  Gomme  cet  amiral  est 
mort,  le  1"  juin  1543,  c'est  peu  de  temps  après  que  Sagon 
a  dû  la  faire  pour  les  «  exeques  »  (funérailles,  exsequiœ) 
de  cet  amiral  célèbre.  Elle  est  loin  d'être  réellement  élo- 
quente; mais  elle  vaut  bien  celles  que  l'on  faisait  alors. 
Comme  les  grands  orateurs  de  la  chaire,  au  siècle  sui- 
vant, Sagon  débute  par  un  texte  de  l'Ecriture  sainte, 
d'où  il  tire  sa  proposition  :  a  In  pace  in  idipsum,  dormiam 
et  requiescam  ;  quoniam  tu  domine  singulariter  in  spe 
constituisti  me.  Psal.  4.  »  Puis  viennent  l'exorde  et  la 
division  en  deux  parties,  dont  il  rappelle  méthodique- 
ment le  texte  latin.  Au  haut  d'un  feuillet,  on  lit  :  «  S'en- 
suyt  la  seconde  proposition  du  mort  viuant  :  Quoniam 
tu  domine  singulariter  in  spe  constituisti  me.  »  Enfin 
l'oraison  funèbre  se  termine  par  ces  mots  : 

«  A  tant  faiz  fin,  attachant  a  son  tombeau,  ce  petit  dis- 
tichon. 

DISTICHON. 

a  Vt  Syrenes,  pelagi  rabiem,  nemesisque  Philippiis 
Vicity  ad  œthereos  appulit  ipse  sin!  (us).  • 

Le  poète  perce  sous  l'orateur  chrétien,  et  si  cette  orai- 
son funèbre  fut  réellement  prononcée,  il  fallait  le  goût 


INTRODUCTION.  33 

de  l'antiquité  propre  à  la  Renaissance  pour  faire  passer 
les  Sirènes  et  Némésis  dans  la  bouche  d'un  prêtre  chré- 
tien faisant  l'éloge  d'un  mort,  du  haut  de  la  chaire,  ou 
la  plume  à  la  main. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  «  d'une  cure  dont  Sagon 
aurait  été  pourvu  i .  »  Fripelippes  le  premier  fait  connaître 
la  promesse  éventuelle  que  Félix  de  Brie,  l'abbé  de  Saint- 
Evroult,  fit  à  son  secrétaire,  de  la  cure  de  Soligny  (Soli- 
gni'la-Trappe,  Orne,  arrondissement  de  Mortagne,  canton 
de  Bazoches-sur-Hoënes)  pour  l'engager  à  se  lancer  dans 
la  lutte  contre  Marot.  Le  fait  peut  bien  n'être  pas  sans 
fondement  ;  car  «  la  euro  de  Soligny  était  divisée  en  deux 
parties  ;  l'une  à  la  nomination  du  seigneur  temporel,  la 
seconde  à  celle  de  l'abbé  de  Saint-Evroult  2 .  »  De  plus, 
elle  était  à  la  convenance  de  Sagon,  voisine  de  l'abbaye 
où  il  exerçait  les  fonctions  de  secrétaire.  Suivant  une 
habitude  assez  constante,  Marot,  qui  avait  fait  des  jeux 
de  mots  sur  les  noms  des  poètes  Papillon,  Lyon  Jamet,  et 
Sagon,  ne  perdit  pas  l'occasion  d'en  risquer  un  nouveau 
sur  Soligny.  Après  ces  vers,  où  son  adversaire  prétend 
que  Sagon  promet  d'engager  la  lutte. 


'  Voir  p.  14. 

*  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  du  diocèse  de  Sées  (manuscrit),  par 
Calimas.  —  Ce  renseignement  est  dû  à  l'obligeance  de  M.  Louis  Duval, 
archiviste  de  l'Orne,  qui  a  bien  voulu  faire  pour  nous  plusieurs  autres 
recherches,  dont  nous  allons  profiter,  en  l'en  remerciant. 

5 


34  INTRODUCTION. 

Pour  veu 
Qu'en  après  il  serait  pourveu 
De  la  cure  de  Soligny, 

Fripelippes  (Marot)  ajoute  aussitôt  : 

Quand  à  celle  de  Sotigny, 
Lojî  temps  a  par  élection 
Tu  en  prins  la  possession. 

Gela  n'a  rien  d'invraisemblable.  A  cette  époque,  les 
princes  payaient  d'ordinaire  les  poètes  et  les  gens  de 
lettres  avec  deux  monnaies  principales  :  ou  bien  ils  en 
faisaient  leurs  valets  de  chambre  ;  ou  bien  ils  les  do- 
taient d'abbayes,  de  bénéfices  ou  d'évêchés.  L'abbé  de 
Saint-Evroult,  moins  puissant  qu'un  prince,  a  pu  pro- 
mettre une  cure  à  Sagon,  comme  récompense  des  services 
rendus  par  son  secrétaire,  et  par  son  champion  dans  la 
lutte  religieuse  engagée  à  sa  sollicitation. 

Mais  Sagon  ne  la  posséda  jamais.  Son  valet  Boutigni, 
qui  n'est  autre  que  lui-même,  l'affirme  formellement  : 

Et  quand  au  regard  de  la  cure 
De  Solligny:  va  gentil  veau, 
Sagon  n'en  eust  onc  un  naveau. 
Car  l'Abbé  sans  aucun  prologue 
La  donna  à  ung  pédagogue 
Que  je  puis  nommer  sans  danger, 


INTRODUCTION.  9^ 

C'est  maistre  François  Bellenger, 
Homme  discret,  prudent  et  sage  «. 

Il  ne  nie  pas  la  promesse  de  la  cure,  mais  la  posses- 
sion. L'autre  en  a  toujours  profité  pour  faire  un  jeu  de 
motSj  dont  le  fond  devait  déplaire  à  Sagon,  tout  forcé 
qu'il  est. 

Depuis  que  l'abbé  Goujet  a  dit  de  Sagon  :  «  Il  se  qua- 
lifie curé  de  Beauvais  dans  une  Epitre  en  vers  qu'il  adressa 
à  Jean  Bouchet,  et  qui  est  la  cent  neuvième  des  Epitres 
familières  de  celui-ci  2,  »  tout  le  monde  a  répété  :  «  Sagon 
fut  curé  de  Beauvais.  »  Ce  passage  est  assez  singulier 
pour  sa  rédaction.  La  désignation  de  :  «  Curé  de  Beau- 
vais »  est  bien  vague ,  et  paraît  sortir  des  habitudes 
liturgiques^  le  nom  de  la  paroisse  étant  presque  toujours 
rappelé^  quand  il  s'agit  d'une  cure  de  ville.  Mais,  déplus, 
ce  n'est  pas  Sagon  qui  «  se  qualifie  de  curé  de  Beauvais;  » 
c'est  Jean  Bouchet,  ou  ses  imprimeurs,  «  Guill"»  Bou- 
chet  et  Jacques  Bouchot,  »  dans  le  titre  placé  en  tête  de 
l'Epitre,  et  que  voici  : 

«  Epistre  GIX.  Epistre  de  maistre  Francoys  de  Sagon 
curé  de  Benuuais  au  dict  acteur,  p  (ar)  laquelle  se  com- 
plainct  d'vne  faulse  amytié  perdue,  et  veult  a  luy  atraire 
le  dict  acteur.  » 

>  Œuvres  de  Marot,  édition  de  Lenglet  Dufresnoy,  pièces  du  Dif- 
férend, t.  IV,  p.  457. 
*  Bibliothèque  française,  etc.  m.dcc.  xlvii,  in- 12,  t.  XI,  p.  86. 


4 


36  INTRODUCTION. 

Il  est  clair  que  ce  titre  est  dû  à  Jean  Bouchet  ou  aux 
éditeurs  des  Epistres  familières  du  Trauerseur  en  1545, 
qui  ont  bien  pu  lire,  sur  la  copie,  Béarnais,  au  lieu  de 
Beauvaiii  (Orne,  arrondissement  d'Alençon,  canton  de 
Carrouges),  cure  à  peu  de  distance  de  Saint-Evroult, 
dont  la  présentation  appartenait  à  l'évêque  de  Sées*. 

C'est  une  simple  hypothèse,  pour  expliquer  l'affir- 
mation si  catégorique  «  de  curé  de  Beauvais,  »  faite  par 
des  contemporains.  En  tout  cas,  Sagon  aurait  occupé 
cette  cure  avant  une  autre,  sur  laquelle  il  n'y  a  plus  le 
moindre  doute. 

La  preuve  en  est  fournie  par  un  acte  authentique,  une 
procuration  donnée  à  Rouen,  lors  de  la  mort  de  notre 
auteur.  Elle  émane  de  :  «  François  de  Sagon,  bourgeois, 
demeurant  paroisse  S.  Amand  de  Rouen,  frère  et  héri- 
tier de  M*  François  de  Sagon,  en  son  vivant,  prêtre,  curé 
de  Sérigmj,  secrétaire  de  l'abbé  de  S.  Evroult^.  »  On  voit 
qu'à  sa  mort  Sagon  était  certainement  «  curé  de  Séri- 
gny,  »  ou  Serigni  (Orne,  arrondissement  de  Mortagne, 
canton  de  Bellème) .  «  Cette  cure  était  à  la  présentation 
du  chapitre  de  Tours  3.  » 
La  date  de  la  procuration  ci-  dessus  va  permettre  aussi 

',    '  Communication  de  M.  L.  Duval. 

»  Registres  du  Tabellionnage  de  Rouen.  ~  Communication  due  à 
l'obligeance  de  M.  Ch.  de  Beaurepaire. 

î  Communication  de  M.  L.  Duval. 


INTRODUCTION.  37 

de  rétablir  la  vérité  sur  un  autre  point,  la  date  de  sa 
mort.  La  Croix  du  Maine,  le  premier  de  ses  biographes, 
ne  la  donne  pas  ;  mais  il  fait  bien  entendre  qu'il  le  croit 
encore  vivant,  sous  Henri  II,  en  1 559,  puisqu'il  dit  :  <  Il 
a  écrit  le  Chant  de  la  Paix,  faite  entre  le  Roi  Henri  II  et 
Philippe,  Roi  d'Espagne,  imprimé  à  Paris  par  Barbé 
Regnault;  la  Réjouissance  du  Traité  de  Paix  en  France 
publiée  l'an  1559,  imprimée  à  Paris  par  Olivier  de 
Harsy,  audit  an  1559.  »  Son  article  se  termine  par  ces 
mots  :  «  Il  florissoit  l'an  1 538  sous  François  I  et  sous 
Henri  II.  »  Une  note,  placée  à  la  fin  de  cet  article,  dans 
la  réimpression  de  l'ouvrage,  ajoute  plus  explicitement  : 
«  François  Sagon  vivait  encore  en  1559.  On  a  de  lui  une 
pièce  sur  la  Paix  de  Cateau-Gambresis,  qui  fut  conclue 
cette  année.  Elle  a  pour  titre  :  La  Réjouissance  de  la 
Paix  publiée  l'an  1559.  Il  y  a  apparence  qu'il  mourut  peu 
après*.  »  L'abbé  Goujet  a  répété  la  même  date  et  le 
même  fait,  et  M.  Frère,  dans  son  Manuel  du,  Bibliographe 
normand,  a  mis  :  «  Sagon  né  à  Rouen  au  commencement 
du  xvi^  siècle  et  mort  en  1560.  »  L'  «  apparence  »  de  tout 
à  l'heure  s'était  transformée  en  assertion  positive. 

C'est  prolonger,  sans  raison,  sa  vie  de  quinze  ou  seize 
ans  ;  car  Sagon  était  mort,  avant  le  19  août  1544,  date 

*  Les  Bibliothèques  françaises  de  la  Croix  du  Maine  et  de  Du  Verdier^ 
sieur  de  Vauprivas.  Nouvelle  édition  par  M.  Rigoley  de  Juvigny.  Pa- 
ris, M.DCC.LXXII,  t.  Ij  p.  238. 


38  INTRODUCTION. 

de  la  procuration  donnée  à  Rouen,  par  son  frère,  Fran- 
çois de  Sagon^  probablement  en  vue  de  régler  les  affaires 
de  la  succession  ouverte  par  cette  mort. 

La  similitude  du  même  prénom,  donné  aux  deux  frères, 
pourrait  servir  à  expliquer  comment  un  «  François  de 
Sagon  »  a  pu  être  l'auteur  de  La  Réjouissance  du  Traité  de 
paix  publiée  en  1559.  Enfin  le  nom  de  cette  famille  se 
perpétua  dans  la  ville  natale  de  notre  auteur.  Un  compte 
du  domaine  de  Rouen,  en  1600,  porte  encore  :  «  De 
François  Sagon,  pour  une  maison  assise  devant  le  cime- 
tière de  l'église  de  Saint-Amaiid  de  Rouen*.  » 

Tels  sont  les  nouveaux  renseignements,  qui  nous  ont 
permis  de  rectifier  et  de  compléter  ceux  qu'on  possédait, 
en  bien  petit  nombre,  sur  la  vie  et  sur  les  œuvres  de 
notre  auteur,  l'une  n'étant  pas  plus  connue  que  les 
autres. 

II.  —  LE  POÈME   FUNÈBRE   DE  SAGON. 


Après  ces  détails  préliminaires  indispensables  pour 
faire  un  peu  mieux  connaître  Sagon  et  ses  principales 
œuvres,  arrivons  à  l'étude  du  manuscrit  inédit  que  nous 
publions,  et  qui  a  pour  titre  :  Le  Regret  d'honneur  fœminin 

'  Folio  307.  —  Communication  de  M.  Gh.  de  Beaurepaire. 


INTRODUCTION.  3^ 

et  des  troys  grâces,  sur  le  trespas  de  noble  dame  Francoyse  de 
Foix,  dame  de  Chasteaubriant,  et  mirouer  de  noblesse  fœmi- 
nine  —  Par  Francoys  de  Sagon,  secrétaire  de  l'abbe  de  Sainct 
Eburoul. 

On  a  déjà  vu  les  rapports  que  Sagon  avait  eus  avec  la 
comtesse  de  Chateaubriand  i .  Au  lieu  d'y  revenir,  disons 
quelques  mots  de  cette  dame,  protectrice  de  Sagon,  que 
son  poème  funèbre  avait  pour  but  de  dérober  à  l'oubli. 

or  Françoise  de  Foix,  célèbre  sous  le  nom  de  comtesse 
de  Ghateau-Brl\nt,  étoit  fille  de  Jean  de  Foix,  vicomte 
de  Lautrec,  et  de  .Jeanne  d'Aydie,  fille  aînée  et  héritière 
d'Odet  d'Aydie,  comte  de  Gomminges,  et  eut  pour  frères 
Odet  de  Foix,  dit  vicomte  de  Lautrec,  puis  maréchal  de 
France,  et  André  de  Foix,  dit  VEsparre  ou  Asparaut.  » 
C'est  ainsi  que  débute  le  chapitre  des  Anecdotes  des  Reines 
et  Régentes  de  France  2,  où  Dreux  du  Radier  s'occupe  de  la 
comtesse  de  Chateaubriand. 

Elle  naquit  vers  1495,  et  Jean  de  Laval,  comte  de 
Chateaubriand,  né  en  janvier  1487,  l'épousa  dans  le 
cours  de  l'année  1509,  quand,  à  quatorze  ans,  elle  était 
la  plus  belle  des  filles  de  la  reine,  e  C'est  à  partir  de  1515 
que  la  famille  de  Foix  arrive  aux  premiers  rangs,  et  il 

'  Voir  plus  haut,  pages  21-22. 

*  Le  titre  général  est  :  Mémoires  historiques.  Critiques  et  Anecdotes 
de  France.  Amsterdam,  m.  dcc,  lxv.  4  vol.  in-12.  —Tome  III,  pages 
144-173. 


40  INTRODUCTION. 

est  probable  que  cette  pluie  d'or  et  défaveurs  qui  jaillit, 
dès  ce  moment,  des  sources  de  la  munificence  royale  sur 
les  frères  de  la  comtesse,  fut  le  prix  indirect  et  comme  la 
rançon  de  l'honneur  de  l'épouse  gagnée  à  l'infidélité  par 
son  affection  fraternelle.  Le  bâton  de  maréchal  de  France 
mis  aux  mains  de  son  frère  aîné  donna  peut-être  le  signal 
de  cette  victoire  amoureuse  de  François  I  *  ».  On  peut  le 
supposer,  en  cette  cour  où  YAmadis  des  Gaules  était  la  lec- 
ture favorite,  et  où  la  galanterie  régnait  dans  tous  les 
rangs. 

Après  la  défaite  de  Pavie  (2d  février  1525),  François  I, 
prisonnier  au  château  de  Madrid ,  entretint ,  avec  la 
comtesse  de  Chateaubriand,  une  correspondance  prose 
et  vers,  empreinte  des  sentiments  les  plus  tendres,  sous 
un  tour  souvent  fort  délicat».  Mais,  une  fois  rentré  en 
France,  le  10  mars  1526,  il  abandonna  ainsy  qu'un  cloud 

•  Les  Amours  de  François  /,  par  M.  de  Lescure.  (1865).  Paxsim,  pages 
152-159. 

*  Le  manuscrit  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  fonds  Baluze, 
n»  7788.  Ce  Recueil,  signalé  pour  la  première  fois  par  Lenglet-Du- 
fresnoy,  dans  son  édition  de  Marot,  1731,  a  été  publié,  en  1847,  par 
M.  Champollion-Figeac.  Des  doutes  se  sont  élevés  sur  les  noms  des 
auteurs  de  cette  correspondance.  C'est  en  nous  rangeant  à  l'avis  du 
Bibliophile  Jacob  et  de  M.  de  Lescure,  ibid.,  pages  175-184,  que  nous 
l'attribuons  à  François  I  et  à  la  dame  de  Chateaubriand.  —  Voir, 
Appendice  II,  deux  lettres  de  Françoise  de  Foix,  écrites  à  une  autre 
époque. 


INTRODUCTION.  41 

chasse  l'autre,  suivant  l'énergique  expression  de  Bran- 
tôme, pour  M"«  d'Heilly,  fille  d'honneur  de  la  reine-mère, 
Louise  de  Savoie,  l'auteur  de  cette  révolution  d'alcôve. 

Dans  sa  disgrâce,  par  la  dignité  de  sa  conduite,  lu 
dame  de  Chateaubriand  sut  encore  obliger  le  roi  à  l'es- 
timer. Nous  en  citerons  pour  preuve  l'anecdote,  conser- 
vée par  Brantôme,  ce  singulier  abbé,  «  autorité  récu- 
s'able  en  matière  gravement  et  minutieusement  histo- 
rique, mais  qui  a  recueilli  la  tradition  vivante  des  galan- 
teries du  règne  de  François  I,  et  dont  l'autorité  en  ces 
frivoles  questions  ne  saurait  être  suspecte  *  » , 

Quand  les  amours  de  la  comtesse  avec  François  I 
eurent  pris  fin,  «  plus  à  l'honneur  de  la  première  que  du 
second  », suivant  la  judicieuse  remarque  de  M.  de  Lescure, 
{ibid.  p.  183),  le  sentiment  de  sa  dignité  revint  chez  la 
femme  délaissée.  Comprenant  bien  que  les  amitiés  offen. 
sées  n'ont  d'autre  refuge  que  le  silence,  elle  sut  rester 
dans  le  deuil  et  dans  l'obscurité,  durant  les  dix  ou  onze 
années  qui  séparent  sa  disgrâce  de  sa  mort,  arrivée  à 
Châteaubriant,  le  16  octobre  1537,  à  l'âge  d'environ  qua- 
rante-deux ans. 

Il  lui  fit  élever,  à  Châteaubriant,  dans  l'église  de  la 
Trinité,  au  couvent  des  Mathurins,  un  tombeau  décoré 
d'une  statue  en  marbre  et  d'une  épithaphe  due  à  Marot, 

'  M.  de  Lescure,  ibid.,  p.  152.  —  Voir  l'anecdote,  Appendice  III. 

6 


4  2  INTRODUCTION. 

qui,  depuis  longtemps,  était  en  rapport  avec  lui,  comme 
le  prouvent  plusieurs  pièces  de  poésie  contenues  dans  ses 
œuvres  i. 

Sagon  s'empressa  de  composer  un  éloge  plus  complet 
de  cstte  dame.  Le  mobile  qui  l'y  porta  est  tout  à  son 
honneur,  puisque  c'est  une  dette  de  cœur  qu'il  acquitta, 
en  chantant,  après  sa  mort,  la  grâce,  les  talents  et  les 
vertus  de  la  dame  de  Chateaubriand. 

Dîray  ie  un  mot  a]pre\  mort  temporelle 
D'honneur,  de  gloire  et  louenge  pour  elle  ? 
Droict  s'y  consent,  et  la  raison  le  veiilt 
Puis,  son  amour  commander  me  le  peult 
Veu  qu'en  viuant,  me  donna  de  bon  ^elle 

Faueur, 

Dont  son  remors  enuoye  en  mes  yeulx  larmes 
Autant  de  fois  qu'en  l'esprit  me  reuient. 

Les  cœurs  bien  placés  sont  seuls  capables  de  conserver, 
surtout  audelà  du  tombeau,  le  souvenir  des  services 
rendus  et  d'en  faire  ainsi  un  touchant  éloge. 

C'est  donc  à  la  reconnaissance  de  Sagon,  pour  la  dame 
de  Chateaubriand,  qu'est  dû  Le  Regret  dhonneur  fœminin, 
poème  funèbre,  qui  n'a  pas  moins  de  681  vers,  et  40  vers 
en  plus  pour  les  sept  petites  pièces  de  la  fin. 

ï  Voir,  Appendice  IV,  l'Epitaphe  de  Marot,  avec  deux  autres  Epi- 
taphes  contemporaines.  —  Voir  aussi,  plus  haut,  p.  20. 


INTRODUCTION.  43 

Voici  la  marche  de  ce  poème,  autant  qu'il  est  permis 
d'en  saisir  la  pensée,  sous  cette  forme  assez  vague  et  in- 
déterminée de  la  poésie,  qui  échappe  parfois  à  une  ana- 
lyse rigoureuse. 

L'acteur  (c'est-à-dire  l'auteur),  Sagon,  invite  l'Honneur 
à  se  plaindre,  et  les  Grâces  à  prendre  le  deuil,  parce  que 
leur  miroir,  Françoise  de  Foix,  n'est  plus,  et  que  la 
France  a  perdu  en  elle  le  modèle  de  la  Noblesse  féminine. 
L'Honneur,  s'adressant,  en  dizain,  aux  Trois  Grâces,  les 
engage  à  pleurer  cette  mort,  qui  fait  à  toute  honnête 
femme  le  tort  le  plus  considérable. 

Pasithée,  la  première  des  Grâces,  se  rendant  à  cette 
•invitation,  débute  en  disant  que  la  mort  d'une  mortelle 
n'a  rien  d'étrange  ;  mais ,  se  reprenant  aussitôt ,  elle 
affirme  que  cette  mort  prématurée  assure  à  son  esprit, 
dont  la  terre  n'était  pas  digne,  la  vie  dans  le  ciel.  Egialée, 
la  seconde  Grâce,  distinguant  l'âme  du  corps,  aboutit  à 
la  même  conclusion  :  les  qualités  de  la  défunte  la  feront 
triompher  de  la  mort,  tant  qu'on  fera  cas  d'honneur  en 
France.  Euphrosine,  la  troisième  Grâce,  ajoute  que,  vic- 
time d'une  mort  prématurée,  tant  de  dons  ne  lui  ont 
servi  à  rien  ;  mais  il  faut  se  soumettre  à  la  volonté  du 
Tout-Puissant,  bien  que  la  France  en  reçoive  le  contre- 
coup avec  tristesse. 

Honneur  engage  alors  les  filles  et  les  femmes,  jalouses 
de  leur  réputation,  à  pleurer  la  perte  de  leur  modèle.  Ses 


44  INTRODUCTION. 

qualités  en  faisaient  une  perle  d'honneur,  qui  défiait 
toute  critique,  et  l'envie  seule  a  pu  la  rendre  l'objet  d'un 
injuste  blâme.  En  amour  conjugal,  c'était  une Laodamie  -, 
en  amitié,  une  Lucrèce,  une  Sabine  ;  dans  le  mariage,  une 
Pénélope,  une  Didon;  en  grâce  courtoise  et  humaine, 
une  Porcia.  Bref,  elle  eut  toute  la  dignité,  que  les  qua- 
lités du  corps  et  de  l'esprit  peuvent  donner  aune  honnête 
dame,  et  si  Honneur  se  plaint,  après  sa  mort,  c'est  que  le 
mérite  de  cette  dame  l'y  oblige. 

L'éloge  de  la  défunte  continue  par  une  ballade,  dont  les 
trois  strophes  sont  mises  successivement  dans  la  bouche 
de  chacune  des  trois  Grâces,  avec  un  refrain  où  Françoise 
de  Foix  est  proclamée  : 

Le  miroer  dhonneur  et  de  grâce, 

refrain  qui  termine  l'envoi  par  Honneur  lui-même. 

L'acteur,  reprenant  la  parole,  demande  aux  dames  de 
France  si  elles  connaissaient  celle  qu'on  pleure  dans 
Châteaubriant,  celle  dont  Honneur  va  redire  la  perte  aux 
dames  de  la  cour. 

Les  monts  et  les  vallées  retentissent  des  cris  de  deuil 
que  sa  mort  fait  pousser  en  Bretagne.  La  pitié  doit  inspi- 
rer quelque  respect  aux  cœurs  français,  pour  montrer 
à  la  postérité  qu'ils  en  ont  conservé  le  souvenir. 

Faut-il  en  faire  l'éloge  après  sa  mort?  La  raison  le  veut, 


INTRODUCTION.  45 

l'amitié  le  commande,  cette  amitié  dont  il  eut  des  preuves 
dans  sa  lutte  contre  Marot,  un  mois  même  avant  la  mort 
de  celle  dont  le  souvenir  lui  tire  des  larmes. 

Puisqu'il  convient  de  la  louer,  il  dira  qu'elle  méritait 
toute  espèce  d'éloges.  Elle  avait  le  cœur  pur  et  savait 
mettre  la  paix  partout.  Quel  dommage  que  la  mort  ait 
précipité  dans  la  tombe  le  corps  d'une  femme  que  toutes 
les  Françaises  doivent  pleurer  partout  et  qui  fut  leur 
modèle  ! 

Une  des  Grâces  engage  l'acteur  à  laisser  là  le  corps, 
qui  n'est  que  fange,  en  le  couvrant  de  cyprès  et  de  roses, 
pour  arriver  à  l'esprit,  seul  digne  de  louanges. 

La  critique  est  juste,  et,  avec  l'aide  de  cette  Grâce,  le 
poète  va  s'occuper  de  l'esprit,  en  le  comparant  avec  celui 
d'autres  femmes  célèbres,  non  sans  une  certaine  satis- 
faction, la  nécessité  de  citer  des  exemples  lui  fournissant 
l'occasion  de  faire  montre  d'une  ample  connaissance  des 
anciens  auteurs. 

Ilprendra  d'abord,  dans Politien,  l'esprit  de  Cassandre 
Fidèle.  L'une  et  l'autre,  préférant  la  plume  au  fuseau, 
furent  habiles  à  écrire  des  lettres,  et,  si  l'Italien  Politien 
a  pu  louer  l'esprit  éminent  d'une  Vénitienne,  l'acteur 
français  a  bien  le  droit  de  louer  celui  d'une  Française. 
Les  trois  Grâces  engagent  Sagon  à  laisser  Politien 
parler,  en  latin,  de  Cassandre  Fidèle,  et,  cette  Française, 
adonnée  aux  travaux  de    l'esprit  et  non  moins   forte 


46  INTRODUCTION. 

qu'Artemise,  Sagon  pourra  louer  son  esprit  et  son  corps. 
Honneur  et  les  Grâces  se  joindront  à  lui.  C'est  un  devoir 
pour  lui,  faisant  trêve  à  toute  querelle,  de  répandre  par- 
tout la  renommée  de  son  héroïne. 

Honneur  lui  demande  alors  s'il  passera  sous  silence  la 
noblesse  de  la  maison  de  Foix  et  le  grand  nombre  de  ses 
parents  illustres  qui  ne  sont  plus.  C'est  un  sujet  digne 
de  ses  vers.  Sagon  ne  saurait  l'aborder,  parce  que  le 
sujet  est  trop  vaste  et  il  le  laisse  à  d'autres.  L'excuse  est 
à  sa  louange,  mais  Honneur  l'engage  à  prouver  que  Fran- 
çoise de  Foix  est 

Le  miroer  dhonneur  fœmînin. 

Sagon  obéit,  en  exposant  «  la  matière  du  miroer.  »  Il  est 
d'une  seule  pièce,  sans  tache  et  sans  comparaison  avec 
d'autres.  Après  un  long  rapprochement  entre  «  la  masse 
corporelle  et  le  blanc  cristal  »,  moins  pur  que  le  corps 
de  la  noble  dame,  quel  que  soit  le  travail  du  cristal, 
Honneur,  trouvant  que  le  poète,  «  par  la  philosophie  »  de 
ses  comparaisons,  a  donné  assez  d'éloges  au  corps,  l'en- 
gage à  parler  des  qualités  de  l'âme. 

Pour  demonstrer  clerement  les  accord^ 
D'vng  vray  miroer  qui  reflecte  et  remonstre 
Object  semblable  à  celuy  qu'on  luy  monstre. 


INTRODUCTION.  47 

S'il  y  réussit,  sa  récompense  sera,  cette  fois,  une  couronne 
de  laurier. 

Heureux  d'avoir  été  traité  de  «  philosophe  »,  Sagon 
déclare  que  cette  partie  de  sa  tâche  est  bien  supérieure  à 
l'autre.  Pour  le  déterminer  à  l'entreprendre,  les  Grâces 
vont  jusqu'à  lui  promettre  l'immortalité. 

Si  tu  veulx  croirre  {amy  bening) 
Le  conseil  dhonneur  fœminin, 
(Auquel  plusieurs  portent  enuie) 
Tu  auras  (sans  gloire  en  ta  vie) 
Sur  Ihumaine  fragilité 
Aprei  mort  immortalité. 

Se  rendant  au  conseil  donné  par  les  Grâces  de  «  par- 
faire 

Le  miroer  dhonneur  fœminin 
Qui  n'endure  ou  reçoit  venin, 

Sagon  aussitôt  «  déchiffre  le  Miroer  plus  haultement  »  ; 
c'est-à-dire  qu'il  fait  plus  longuement  la  «  description 
naturelle  du  Miroer  »,  en  l'accompagnant  des  remarques 
que  la  physique  des  anciens  et  de  ses  contemporains 
pouvait  lui  fournir. 

Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  cette  longue  exposition 
empruntée  à  Pline,  Tertullien,  Pausanias,  les  Natura- 
listes et  les  inventeurs  modernes.  Toutes  les  espèces  de 


43.  INTRODUCTION. 

miroirs  sont  passées  en  revue,  depuis  ceux  de  l'anti- 
quité jusqu'aux  miroirs  faits  avec  le  tain  par  une  décou- 
verte récente.  Mais  les  qualités  de  Françoise  de  Foix, 
douze  fois  transformée  en  «  Miroir  »,  par  métaphore,  lui 
assurent  une  grande  supériorité  sur  tous  les  «  Miroirs  » 
du  présent  et  du  passé.  Le  passage  se  termine  par  un 
appel  aux  Grâces.  Si  elles  sont  touchées  de  cette  perte, 
quittant  leur  séjour,  elles  doivent  venir  en  habits  de 
deuil,  leur  dit  le  poète, 

Pour  regretter  cette  francoyse  dame, 
Qii'apre^  la  mort  votre  miroer  ie  clame, 
Quant  est  à  moy?  qui  tant  en  mon  cueur  l'ay 
le  vous  requier  contre  mort  faire  vng  lay. 

Les  Grâces  obéissent  et  font  un  Lai  de  trois  couplets, 
ayant  chacun  douze  vers  sur  deux  rimes,  où  la  Mort  est 
naturellement  bien  malmenée  pour  avoir  fait  de  la  dame 
de  Chateaubriand  une  de  ses  victimes. 

Le  Lai  terminé,  l'acteur  nous  apprend  que  les  Grâces 
ont  disparu  et  qu'on  ne  les  a  plus  entendues  depuis. 
Honneur  aussi  s'est  tu,  quelque  temps  auparavant,  non 
pas  qu'il  n'y  ait  plus  de  vertu  en  France,  mais  c'était 
pour  mieux  pleurer  l'objet  des  regrets  universels. 

Les  Français  et  les  Françaises  sont  engagés  à  conti- 
nuer leurs  plaintes  contre  la  mort  et  contre  les  dieux. 
C'est  un  devoir  pour  les  dames  de  la  cour  de  la  regret- 


INTRODUCTION.  49 

ter,  pour  la  Bretagne,  de  la  pleurer  et  de  répandre  le 
bruit  de  sa  mort.  Chacun  alors 

Se  souuiendra  que  mort  a  consummée 

La  flœur  dhonneur  dedens  Chasteaubriant. 

Le  poète  est  sûr  que  cette  mort  a  été  des  plus  pénibles 
à  son  neveu  et  à  sa  nièce,  Henri  de  Foix,  seigneur  de 
Lautrec,  et  à  Claude  de  Foix,  mariée  à  Gui  XVI,  comte 
de  Laval.  Longtemps  elle  leur  servit  de  mère,  après  la 
mort  d'Odet  de  Foix,  son  frère  aîné.  Le  père  du  jeune 
Henri  n'avait  pu  lui  laisser  que  ses  biens  ;  ses  qualités, 
il  les  doit  à  sa  tante,  et,  s'il  ne  l'oublie  pas,  il  sera  plus 
tard  un  homme  accompli.  Sa  sœur,  la  comtesse  de  Laval, 
assistait,  Sagon  le  croit  bien,  aux  derniers  moments  de 
sa  tante,  puisque  les  mille  vertus  qu'on  dit  être  son 
partage,  elle  les  doit  à  la  bonne  éducation  qu'elle  en  a 
reçue.  Enfin,  c'est  un  devoir,  pour  toutes  les  dames,  que 
leurs  regrets  et  leurs  écrits  laissent  dans  le  monde  un 
souvenir  de  la  défunte. 

Ensuite  il  prie  qu'on  se  souvienne  que  la  dame  de 
Chateaubriand  eut  tous  les  biens  en  partage,  sauf  une 
longue  existence,  victime  qu'elle  fut  d'une  mort  préma- 
turée, à  la  suite  d'une  maladie.  Il  reproche  à  la  Mort 
d'avoir  ravi  une  femme  aussi  accomplie,  et  il  en  fournit 
la  preuve  en  rappelant  la  variété  et  l'étendue  de  sa 
? 


50  INTRODUCTION. 

science  et  ses  connaissances  en  poésie.  Enfin,  de  peur 
qu'une  trop  longue  comparaison  avec  les  femmes  poètes 
de  Tantiquité  ne  l'écarté  du  droit  sens,  il  termine  son 
poème  par  ces  mots  si  flatteurs  pour  son  héroïne  : 

Plus  ne  scais  qu'escrire  ou  dire, 
Sinon,  que  mort  par  vng  seul  coup 
A  faict  du  dommage  beaucoup, 
Quant  pour  vne  a  mys  en  souffrance 
Tout  Ihonneur  fœminin  de  France. 

Telles  sont  la  marche  et  l'économie  du  poème  de 
Sagon,  de  cet  éloge  funèbre  envers,  dans  ses  lignes  prin- 
cipales. Il  se  termine  par  sept  petites  pièces  françaises  et 
latines,  dont  nous  ne  parlerons  ici  que  pour  mémoire,  et 
les  derniers  mots  du  manuscrit  sont  la  fameuse  devise  : 
Vêla  de  quoy. 

Au  premier  abord,  ce  poème  peut  paraître  assez  insi- 
gnifiant; mais,  à  nos  yeux,  comme  quelques  autres 
ouvrages  bien  secondaires,  il  a  sa  valeur  historique  et 
littéraire,  quand  on  l'étudié  sérieusement.  Sa  valeur  his- 
torique consiste  dans  les  nouveaux  documents  qu'il 
fournit  sur  Sagon  et  sur  la  comtesse  de  Chateaubriand, 
et  sa  valeur  littéraire,  en  ce  que  ce  poème  inédit  marque 
l'âge  de  transition  entre  l'école  poétique  du  Moyen- Age 
et  celle  de  la  Renaissance.  C'est  à  ce  double  point  de  vue 


INTRODUCTION.  ^1 

que  nous  allons  l'envisager,  en  tenant  compte  des  qua- 
lités et  des  défauts  de  l'auteur. 

On  a  déjà  vu  les  principaux  éléments  qu'il  fournit 
pour  la  Biographie  de  Sagon  ;  nous  n'y  reviendrons  pas  i . 
Mais  il  est  nécessaire  d'insister  sur  ceux  qu'il  contient 
pour  l'histoire  de  la  dame  de  Chateaubriand. 

Deux  points  dominent  dans  la  vie  de  Françoise  de 
Foix  :  le  souvenir  de  ses  amours  avec  François  I",  et 
celui  du  tragique  récit  qu'on  a  bien  souvent  fait  de  sa 
mort. 

Si  l'on  s'en  tenait  au  dire  de  Sagon,  ces  amours,  éta- 
blies par  le  témoignage  des  contemporains  et  du  roi  lui- 
même,  n'auraient  jamais  existé,  puisque,  dans  tout  le 
cours  de  son  poème,  il  lui  décerne  des  éloges  qui  ne 
peuvent  convenir  qu'à  la  plus  chaste  et  à  la  plus  ver- 
tueuse des  épouses. 

C estait  vne  perle  dhonneiir 
Qui  deffioit  tout  blasonneur, 
Cestoit  une  francoise  dame, 
Qui  ne  receust  onc  aucun  blasme, 
Sans  luy  estre  a  tort  impose 
Par  quelque  enuieux  trop  aose, 
Cestoit  vne  Laodamie 
Vne  dame  non  endormie 

'  Voir  plus  haut,  pages  21-23. 


52  INTRODUCTION. 

Ail  faict  de  lamour  coniugal 
Rendant  l'autre  amour  inégal. 

Cestoit  Pénélope  ou  Dido 
Sous  Vestendard  de  Cupido. 

Aussi  sera-telle  appelée  immédiatement  : 

Le  miroer  dhonneur  et  de  grâce. . . . 
Le  miroer  dhonneur  fœminin. 

Enfin  Sagon  lui  décernera  cet  éloge,  sans  équivoque 
possible  sur  sa  vertu,  en  disant  d'elle  : 

Miroer  remply  de  grâce  gracieuse, 
Miroer  d'amour ^  tant  chaste  et  bien  reigle, 
Qii'vng  seul  amant  ne  s'y  est  aueugle. 

Ainsi,  peu  de  temps  après  la  mort  de  la  comtesse, 
Sagon  niait,  le  premier,  ses  relations  trop  prouvées  avec 
François  I•^  On  aurait  quelque  tort  de  s'en  étonner,  puis- 
qu'à  un  siècle  et  demi  de  distance,  Pierre  Hevin,  avocat 
au  Parlement  de  Rennes,  emporté  par  son  dévouement 
à  la  famille  de  Laval,  répétera,  en  d'autres  termes,  les 
affirmations  erronées  de  Sagon.  «  C'est  une  calomnie 
odieuse,  dira-t-il,  et  même  digne  de  punition,  d'avoir  accusé 
une  dame  des  premières   maisons  de  France,  épouse 


INTRODUCTION.  53 

d'un  seigneur  des  plus  considérables  de  la  Bretagne, 
d'avoir  aimé  François  !•'  et  d'avoir  manqué  de  fidélité  à 
son  mari  '.  »  Il  se  trompait,  après  Sagon,  et  l'un  et 
l'autre  auraient  été  plus  dans  le  vrai  en  acceptant  le  fait, 
comme  Brantôme  et  même  l'auteur  du  Génie  du  Christia- 
nisme. Sur  €  cette  aventure  »  d'une  personne  alliée  à  sa 
famille,  M.  de  Chateaubriand  «  fait  bon  marché  des 
sottes  pudeurs  et  des  scrupules  excessifs  qui  portent 
certaines  familles  à  vouloir  effacer  de  leur  blason,  en 
violant  l'histoire  et  la  vérité,  une  tache  de  galanterie  '.  » 
11  ajoute,  avec  la  désinvolture  d'un  grand  seigneur  désap- 
prouvant ceux  qui  veulent  innocenter  la  mémoire  de  la 
comtesse  :  «  Au  surplus,  les  peuples  pardonnent  aisé- 
ment des  faiblesses  qu'ils  partagent;  l'amour  des  femmes, 
quand  il  ne  descend  pas  trop  bas,  n'a  jamais  nui  dans  les 
Gaules^.  » 

Du  temps  de  Sagon,  ces  faiblesses  royales,  mal  dissi- 
mulées, ou  même  étalées  sans  ménagement,  commen- 
çaient déjà  à  ne  peser  guère  dans  la  balance  des  juge- 
ments contemporains.  Mais  tel  n'est  pas  le  cas  pour  lui  ; 
il  n'y  croit  pas  et  il  accuse  l'envie  d'en  avoir  mensongè- 


'  LeUre  adressée  à  M.  de  Nointel,  maître  des  requêtes  envoyé  en 
Bretagne.  In-S^de  60  pages,  imprimé  en  1680.  —  Cité  par  M.  de  Les- 
cure,  ibid.,  p.  115. 

-  M.  de  Lescure,  ibid,,  p.  2t2. 

'  Mémoires  d'Ouire-Tombe,  vers  la  fln. 


54  INTRODUCTION. 

rement  répandu  le  bruit,  en  ce  qui  touche  son  héroïne- 
Sur  ce  point,  il  est  dans  l'erreur  et  les  assertions  de  son 
poème  ne  peuvent  infirmer  la  tradition  ni  les  témoi- 
gnages si  positifs  de  l'Histoire. 

Bien  convaincu  de  l'innocence  de  celle  qu'il  pro- 
clame : 

Vne  dame  non  endormie 
Au  faict  de  lamour  conîugal, 

il  ne  craindra  pas  de  prendre  parti  pour  elle  contre  son 
mari.  Sans  tenir  compte  des  motifs  légitimes  de  mésin- 
telligence qui  existaient  entre  eux,  il  lui  décernera  cet 
éloge  : 

C estait  portia  la  rommaine 
En  grâce  courtoise  et  humaine 
Veu  qu'en  la  sorte  a  sceu  ajymer 
Que  si  d'amour  eust  fruict  atner 
Elle  y  gousta  soub{  patience 
Doulceur  de  nette  conscience. 

Il  est  certain  que  l'accord  le  plus  parfait  ne  régnait 
pas  entre  les  deux  époux,  et  il  y  est  fait  allusion  dans 
une  pièce  de  vers  que  François  1^^,  alors  captif  à  Madrid, 
adressait  à  la  comtesse.  «'  Un  vers  de  cette  pièce,  dit  le 
Bibliophile  Jacob,  laisse  entendre  que  la  comtesse  n'était 


INTRODUCTION.  55 

pas  heureuse  avec  son  mari,  puisque  le  roi  lui  souhaite 
d'être  en  la  fin  bien  mariée,  ce  qui  ne  signifie  pas  prendre 
un  époux  digne  d'elle,  mais  de  ne  plus  avoir  à  se 
plaindre  du  sien.  » 

«  C'est  dans  le  même  sens  que  Marguerite  de  Navarre 
et  Clément  Marot  se  sont  apitoyés,  dans  leurs  élégies,  sur 
le  triste  sort  de  la  mal  mariée  i  » . 

Sagon  redit  la  même  chose,  par  son  «  fruit  amer 
d'amour.  »  Mais,  si  l'on  peut  accepter  l'éloge  de  la  rési- 
gnation de  la  comtesse,  on  doit  trouver  que  le  poète  va  trop 
loin,  quand  il  parle  de  la  «  douceur  de  cette  nette  cons- 
cience »,  et  qu'il  dépasse  toutes  les  bornes,  quand  il  ne 
prononce  pas,  une  seule  fois,  le  nom  de  son  mari  dans 
son  poème,  où  figurent  tous  ceux  qui  doivent  donner  des 
larmes  à  la  défunte. 

Cette  attitude  de  Sagon,  vis-à-vis  du  comte  de  Chateau- 
briand, n'en  donne  que  plus  de  poids  à  un  autre  passage 
du  poème,  pour  faire  justice  d'une  légende  sur  la  mort  de 
la  comtesse,  accréditée  depuis  la  fin  du  XVII«  siècle,  et 
dont  on  a  chargé  la  mémoire  du  mari.  En  voici  le  résu- 
mé :  «  François  I  ayant  été  pris  devant  Pavie,  Madame 
de  Ghâteaubriant  demeura  exposée  à  la  haine  de  la 
Régente,  et  à  la  vengeance  de  son  mari.  Contrainte  de 
chercher  une  retraite  à  Ghâteaubriant,  elle  y  fut  reçue, 

'  Cité  par  M.  de  Lescure,  ibid.,  p.  178. 


56  INTRODUCTION. 

mais  ce  fut  sans  aucune  réconciliation.  Il  la  fit  mettre 
dans  une  chambre  obscure  et  tendue  de  noir,  et,  au  bout 
de  six  mois,  «  il  y  entra  avec  six  hommes  masqués,  et 
«  deux  chirurgiens  qui  saignèrent  la  comtesse  aux  bras 
«  et  aux  jambes,  et  la  laissèrent  mourir  en  cet  état.  Le 
«  Roi  proposa  de  faire  une  punition  exemplaire  des  cou- 
«  pables  ;  mais  une  nouvelle  inclination  (la  Demoiselle  de 
«  Heilli,  depuis  Duchesse  d'Etampes),  lui  fit  bientôt 
^  perdre  le  souvenir  de  sa  précédente  Maîtresse,  i  » 

Voilà  un  de  ces  audacieux  travestissements  de  la  vérité, 
si  fréquents  dans  l'Histoire  de  France.  Sans  rechercher 
comment  cette  légende  s'y  est  introduite,  et  s'y  est  per- 
pétuée, avec  de  nombreux  accroissements,  plus  sombres 
les  uns  que  les  autres,  ce  que  M.  de  Lescure  a  fort  nette, 
ment  établis,  bornons-nous  à  dire  que  l'assassinat,  par 
cette  dramatique  saignée,  n'est  pas  plus  vrai  que  le 
mystère  de  la  bague  et  la  ruse  employée  pour  faire  venir 
la  dame  de  Chateaubriand  à  la  cour  de  François  I.  Tout 
cela  est  un  roman  inventé  par  Varillas,  combattu  victo- 
rieusement par  l'avocat  Hévin,  au  XVII^  siècle,  et  réfuté 
plus  complètement  encore  par  Dreux  du  Radier  dans  ses 
Anecdotes,  en  17G5.  Aussi  Varillas  mérite-t-il  la  vigou- 


'  Cité  par  Dreux  du  Radier,  Anecdotes,  etc.,  t.  III,  p.  155,  d'après 
Je  récit  de  Varillas,  Histoire  de  François  I,  t.  II,  liv.  VI,  sous  l'an 
J525,  édit.  de  Paris,  in-I2,  1685. 

*  Voir;  ibid.,  tout  le  chapitre  :  La  Maîtresse  l7'agique,  pages  127-214. 


INTRODUCTION.  57' 

relise  sortie  que  le  P.  Griffet  fit  contre  lui  à  ce  sujet. 
«  Varillas,  qui  est  encore  plus  décrié  que  le  P.  Maim- 
bourg,  ment  avec  plus  de  sang-froid.  Il  osait  citer  des 
manuscrits  et  des  pièces  originales  qui  n'avaient  jamais 
existé  ;  il  imaginait  des  aventures  tragiques  dont  per- 
sonne n'avait  jamais  entendu  parler;  entre  autres,  celle 
de  la  comtesse  de  Chateaubriand,  dont  la  fausseté  a  été 
démontrée  par  des  monuments  authentiques  *  ». 

M.  de  Lescure,  en  parlant  du  poème  de  Sagon,  que 
seul  il  a  étudié,  a  dit,  dans  l'analyse  qu'il  en  fait  : 
«  Comme  le  prévoit  le  poète,  et  comme  il  avait  raison  de 
s'y  attendre,  cette  mort  imprévue  donna  lieu  à  d'étranges 
suppositions  2.  »  Ce  passage  vise  sans  doute  celui  où 
Sagon  fait  dire  par  Euphrosine,  tierce  Grâce  : 

Mes  sœurs,  la  mort  de  la  dame  nous  blesse 
Quant  aiiec  elle  honneur  fœminin  {mort) 
En  dueil  en  peine  et  en  soucy  nous  laisse 
De  conformer  par  gracieux  accord 
Le  différent  et  maint  trouble  et  discord 
Qu'on  veoii  mouuoir  pour  la  grâce  des  dames. 
Le  dieu  Momus  qui  reprent  et  qui  mord 
En  ceste  mort  faindra  mesdit^  et  blasmes. 

'  Tiailé  des  différefites  sortes  de  preuve  qui  servent  à  établir  la  vérité 
dans  l'histoire,  )7C9,  in-12.  —  Varillas  prétendait  avoir  emprunté  les 
éléments  de  son  récit  à  un  Mémoire  tiré  des  a'chives  de  Chaleaubriant 
par  te  feu  président  Ferrand. 

-  Les  Amours  de  François  f.,  p.  20?. 


58  INTRODUCTION. 

Sagon  ne  songe  nullement  à  combattre  les  bruits  d'as- 
sassinat qui  ont  pu  se  produire  en  Bretagne,  mais  il  pense 
à  une  lutte  contemporaine,  fort  vive  alors,  où  certains 
écrivains  avaient  «  mesprise  les  Dames  et  detraicte 
dicelles  »,  d'après  le  Jugement  poetic  de  l'honneur  femeuin, 
déjà  connu ,  quand  Sagon  écrit  ces  vers.  Pour  prévenir 
les  attaques  que  la  malignité,  personnifiée  ici  parMomus, 
pourrait  se  permettre  contre  elle,  et  non  contre  le  mari, 
notre  poète  juge  à  propos  de  composer  Le  Regret  dhonnmu 
fœminin,  où  la  comtesse  va  être  proclamée  «  le  mirouer 
de  noblesse  fœminine.  »  L'éloge  de  ses  vertus  et  de  son 
mérite  n'a  pas  d'autre  but  que  celui-ci  :  c'est  une  perpé- 
taelie  «  antéoccupation  *  »,  pour  parler  le  langage  de  la 
ihétorique.  Au  dénigrement  qu'il  redoute,  il  répond 
par  l'éloge  de  la  comtesse  et  non  par  l'apologie  du  mari, 
qui  n'est  point  en  cause,  ici  ni  ailleurs,  si  bien  qu'il  le 
passera  complètement  sous  silence. 

C'est  par  des  raisonnements  et  par  des  preuves  morales, 
appuyés  sur  des  pièces  de  toute  nature,  que  Hévin,  le 
premier,  combattit  l'assassinat  inventé  par  Varillas,  sans 
rien  dire  sur  le  genre  de  mort  qui  enleva  la  comtesse. 
Sagon,  bien  avant  lui,  réduisait  à  néant  les  mensonges  de 
Varillas,  exagérés  depuis  par  ses  copistes.  Il  vient  d'en- 
gager toutes  les  dames  à  verser  des  larmes  sur  son  tom- 
beau, et,  en  guise  de  conclusion,  il  ajoute  : 

^  Voir,  plus  loin,  les  notes  16  et  17  sur  le  texte  du  Poème. 


INTRODUCTION .  59 

le  VOUS  pry  donc  pour  Vaduenir, 
Auoir  mémoire  et  souiienir 
Qu'a  vostre  grant  desauantage 
Ceste  dame  est  morte  auant  aage, 
Et  eut  tous  biens,  fors,  grande  part 
De  viiire,  auant  le  sien  départ 
Que  mort  ou  len  ne  remédie 
Luy  hasta  d'ime  maladie. 

lia  plaie  de  la  comtesse ,  délaissée  par  François  I, 
ne  cautérisa  jamais  bien,  pendant  les  onze  ans  qu'elle 
vécut  encore  ;  car  chez  les  femmes  la  vie  du  cœur  est 
tout,  et  l'oubli  les  frappe  d'autant  plus  rudement  qu'il 
tombe  de  plus  haut.  Elle  mourut  donc,  en  1537,  à  qua- 
rante-deux ans,  de  mort  naturelle,  à  la  suite  d'une 
maladie,  et  non  sous  les  coups  d'un  mari  irrité,  vengeant 
son  déshonneur,  dès  1526,  avec  des  raffinements  de 
cruauté  inouïe. 

Si  le  texte  de  Sagon  avait  été  connu,  il  est  à  croire  que 
Varillas,  Vanel,  Pierre  de  Lesconvel,  Mme  de  Lussan  et 
M"""  de  Murât ,  et  quelques  autres  encore,  comme 
M.  Michelet,  n'auraient  pas  forgé  tant  d'histoires  et  de 
romans,  où  la  mort  de  la  comtesse  est  présentée  sous  les 
couleurs  les  plus  fausses  et  les  plus  tragiques.  C'est  une 
faute  d'égayer  l'histoire  aux  dépens  de  la  vérité  :  que 
doit- on  penser  de  ceux  qui  ne  cherchent  qu'à  l'assom- 
brir, en  l'altérant  impudemment?  Pour  être  tardive,  la 


60  INTRODUCTION. 

condamnation  que  leur  inflige  le  texte  de  Sagon  n'en  est 
pas  moins  méritée. 

C'est  à  peu  près  tout  ce  que  l'Histoire  peut  trouver  ù 
glaner  dans  le  texte  du  poème  de  Sagon.  Envisageons- 
le  maintenant  sous  le  rapport  littéraire. 

Pour  nous,  son  premier  mérite  est  d'être  un  écho  vrai 
de  son  cœur,  comme  le  seront,  du  reste,  la  plupart  de 
ses  autres  productions  désormais  :  le  Discours  de  la  rie 
et  mort  accidentelle  de  Guy  Morin  en  vers,  1539  ;  YOraisou 
funèbre  de  V amiral  Philippe  de  Chabot,  en  prose,  1543;  la 
Complainte  des  troys  gentilzhommes  occiz  à  Carignan,  1544  ; 
enfin,  les  Epit'aphes  de  la  famille  de  Brie.  Un  sentiment 
intime  a  inspiré  toutes  ces  pièces,  qui  se  rattachent  à 
l'Elégie;  elles  ont  jailli  du  cœur  même  du  poète,  quand 
la  mort  frappait  l'une  des  familles  qui  lui  étaient  chères. 
Le  même  sentiment  l'animait  déjà,  en  1537  ou  1538, 
époque  probable  de  la  composition  de  son  œuvre,  d'après 
certains  passages  et  le  tour  général  du  poème.  Le  Regret 
sur  le  trespas  de  Françoise  de  Fo^■J7  procède  tout  à  la  fois  de 
la  reconnaissance  et  de  la  douleur  que  sa  mort  lui  a 
causée.  Là  se  trouve  une  page  de  la  vie  de  Sagon,  où  il 
est  heureux  de  rendre  justice  aux  vertus  de  la  comtesse, 
en  traduisant  ses  propres  souffrances  par  des  regrets 
donnés  à  sa  mémoire,  avec  autant  de  sincérité  que 
d'abandon. 

Si  le  titre  de  Regret  a  tout  l'air  d'appartenir  en  propre 


INTRODUCTION.  61 

à  Sagon,  pour  désigner  un  genre  cI'Elégie,  que  ses  con- 
temporains appelaient  :  Déploration,  Complainte,  Discours 
funèbre  ou  Larmes,  il  est  évident  que  la  personnification 
de  l'Honneur  féminin  est  empruntée  à  Jean  Bouchet, 
l'auteur  du  lugement  poetic  de  V honneur  femenini^  achevé 
d'imprimer,  à  Poitiers,  le  1<"  avril  1538,  et  dédié  à  une 
dame  qui  se  rattachait  à  la  famille  du  comte  de  Chateau- 
briand, «  Anne  de  Laval,  espouse  et  compaigne  de  très 
hault  et  très  puissant  seigneur  Monsieur  François  de  la 
Tremoille.  »  Le  mot  de  Mirouer  du  titre  se  trouvait  déjà 
depuis  longtemps  en  tête  d'une  foule  d'ouvrages,  tant 
latins  que  français.  Dès  le  xin"  siècle,  Vincent  de  Beau- 
vais  avait  donné  sa  volumineuse  compilation,  en  l'appe- 
lant :  Spéculum  historiale.  Spéculum  naturale,  Spéculum 
doctrinale.  Il  serait  difficile  de  compter  tous  les  Miroers, 
Mirouers  et  Miroirs,  que  son  exemple  a  valus  à  notre 
Littérature. 

Là  n'est  donc  pas  l'originalité  de  Sagon.  Elle  vient 
d'un  procédé  de  composition,  dont  il  a  donné  l'un  des 
premiers  l'exemple,  à  cette  époque,  en  s'inspirant  de 


•  Bibliothèque  nationale,  Y.  4636,  A.  Réserve.  I  vol.  petit  m-V. — 
Voir  la  note  16  sur  le  texte  du  Poème.  —  Ce  mot  plut  aux  contem- 
porains ;  car,  dix-sept  ans  après,  fut  publié  :  Le  Fort  inexpugnable  de 
l'honneur  du  sexe  féminin,  construit  par  Françoys  de  Billon.  On  les  vend 
à  Paris,  chez  Jan  d'Allyer,  1555,  1  vol  in-4<u 


62  INTRODUCTION. 

deux  écoles  littéraires,  le  Moyen-Age  et  la  Renaissance. 
Disciple  de  l'une,  il  a  été  le  précurseur  de  l'autre. 

Le  Moyen-Age,  on  le  sait,  a  été  fécond  en  poèmes, 
romans  et  autres  ouvrages,  où  les  abstractions  philoso- 
I>hiques,les  personnages  allégoriques  fourmillent,  comme 
dans  le  Roman  de  la  Rose,  si  fameux  à  cette  époque, 
rajeuni  ou  plutôt  défiguré  par  l'édition  que  Marot  venait 
d'en  donner,  en  1526.  Lui-même  et  son  école  aimaient 
ces  personnages  imaginaires,  auxquels  ils  passaient  ou 
bien  adressaient  la  parole,  tels  que  Mercure,  Crainte, 
Bon  Espoir,  le  Dépourvu,  Beau-Parler,  Loyauté,  Cour- 
toisie ,  Vaillance ,  etc.  C'est  à  l'école  de  Marot  que 
Sagon  emprunte  son  personnage  allégorique  de  l'Hon- 
neur, aussi  bien  que  ses  dialogues,  ses  monologues  et 
ses  descriptions,  sous  la  forme  de  Ballade.îLai,  Dizain  et 
Quatrain,  où  reviennent  des  tours  et  des  rimes  de  Marot. 

S'il  avoue  qu'il  «  a  pris  en  Politien  »  le  nom  de  €  Gas- 
sandre  Fidèle  »,  il  y  a  trouvé  aussi  celui  de  trois  ou 
quatre  autres  femmes  célèbres  qu'il  cite,  en  leur  com- 
parant son  héroïne.  Mais  s'il  ne  parle  que  de  «  Cassandre 
Fidèle  »,  c'est  qu'il  a  rencontré  toutes  les  autres  chez  un 
auteur  contemporain,  Jean  Bouchet,  auquel  il  devait 
déjà  son  personnage  allégorique  de  «  l'Honneur  fémi- 
nin. »  Ce  procureur  de  Poitiers  a  cité  toutes  les  femmes 
célèbres,  depuis  Eve  jusqu'à  Louise  de  Savoie,  dans 
tous  les  pays  et  dans  tous  les  temps,  aussi  bien  celles 


INTRODUCTION.  63 

de  l'Ecriture  sainte  que  du  paganisme,  de  la  double  anti- 
(fuité  grecque  ou  latine,  du  christianisme  et  de  la  France, 
depuis  le  Moyen-Age  jusqu'à  la  Renaissance.  Il  les  fai- 
sait parler,  la  plupart  du  temps,  en  vers  de  dix  syllabes, 
où  le  croisement  des  rimes  est  fort  régulier.  Sagon,  dans 
cette  innombrable  galerie,  n'a  eu  qu'à  choisir  les  noms 
des  célébrités  auxquelles  il  lui  plaisait  de  comparer  la 
comtesse  de  Chateaubriand. 

Sagon  n'a  donc  rien  inventé  de  ce  côté.  L'originalité  est 
plutôt  dans  un  procédé  de  composition  qu'il  employa, 
l'un  des  premiers,  à  l'époque  de  la  Renaissance,  le  désir 
de  mêler  la  science  de  Tantiquité  à  ses  élucubrations 
poétiques.  De  ce  côté  l'on  peut  dire,  pour  employer  la 
pittoresque  expression  de  Chateaubriand,  que  Sagon 
«  courut  l'un  des  premiers  sur  la  pente  du  siècle.  »  A 
l'époque  où  il  écrivait  son  Regret,  les  chefs-d'œuvre  litté- 
raires de  la  Grèce  et  de  Rome,  remis  en  lumière,  avaient 
inauguré  la  Renaissance,  et  de  l'admiration  de  l'anti- 
quité quelques  auteurs  français  allaient  bientôt  passer 
à  l'imitation. 

Le  choix  des  trois  Grâces,  Pasithée,  Egialée  et  Eu- 
phrosine,  qu'il  introduit  dans  son  poème,  tranche  aveiî 
les  personnages  allégoriques  du  Moyen  Age  et  nous  fait 
penser  à  la  Grèce. 

Veut-il  louer  l'esprit  et  les  qualités  morales  de  la 
comtesse  de  Chateaubriand,  il  va  chercher  ses  termes 


6-4  INTRODUCTION. 

de  comparaison  dans  la  double  antiquité  grecque  et 
latine. 

Ayant  donc  loy  de  faire  exemple 
le  n'eii^  onc  matière  si  ample 
A  prouuer  descript  ancien, 

c'est-à-dire  à  invoquer  l'autorité  des  anciens  auteurs.  Il 
prouve  qu'il  les  connaît,  en  voyant  successivement  en 
elle,  pour  ses  vertus,  Aitémise.  Laodamie,  Lucrèce, 
Pénélope,  Didon,  Porcia  ;  pour  Fesprit  et  la  science, 
Gornelia,  Lélia  et  la  fameuse  Gassandre  Fidèle  de  Poli- 
tien  ;  enfin,  pour  le  goût  de  la  poésie,  Saplio,  Myia  et 
Télesille. 

Cette  agglomération  de  noms  propres  ne  va  bientôt 
plus  lui  suffire,  quand  Honneur  lui  aura  dit  : 

Employé  encor  ici  ta  muse, 
Et  déclare  en  stille  bening 
Par  grâce,  en  ton  esprit  infuse, 
Le  miroer  dhonneur  fœminin. 

C'est  alors  qu'il  étale,  avec  complaisance,  un  grand 
luxe  d'érudition,  puisée  dans  les  deux  antiquités,  d'abord 
pour  a  exposer  la  matière  du  miroer,  »  et  puis  pour 
«  déchiffrer  le  miroer  plus  haultement.  »  Il  invoque  tour 
à-tour  «  les  philosophes   naturels   »   et  surtout  «  Pline 


INTRODUCTION.  65 

l'ancien  »,  dont  les  œuvres,  imprimées,  à  Rome  dès  1475, 
jouissaient  d'une  si  grande  autorité  au  xvi'  siècle.  Sagon 
le  cite,  comme  le  feront  bien  souvent  Rabelais  et  Bran- 
tôme. Il  rappelle  aussi  les  noms  de  Tibère,  Praxitèle, 
Pompée,  et  fait  allusion  à  des  passages  de  TertuUien  et 
de  Pausanias. 

Une  dizaine  d'années  avant  que  Joachim  Du  Bellay 
publiât  (1549)  le  programme  d'où  sortit  l'école  de  Ron- 
sard, Sagon  était  donc  bien  convaincu  que  «  le  moyen 
d'enrichir  et  illustrer  nostre  vulgaire  (la  langue  fran- 
çaise), étoit  l'imitation  des  Grecz  et  des  Romains.  »  Dans 
ce  poème  du  Regret,  il  avait  mis  en  pratique  lune  des 
recommandations  que  ce  réformateur  de  notre  poésie 
fera  plus  tard  :  «  Ly^  donques  et  rely  premièrement, 
0  poëte  futur,  fueillette  de  main  nocturne  et  journelle  les 
exemplaires  grecz  et  latins,  puis  me  laisse  toutes  ces 
vieilles  poésies  francoyses  aux  Jeux  Floraux  de  Tou- 
louze  et  au  Puy  de  Rouan  :  comme  rondeaux,  ballades, 
vyrelais,  chantz  royaultz,  chansons  et  autres,  telles  epis- 
series  qui  corrompent  le  goust  de  nostre  langue,  et  ne 
servent  si  non  à  porter  temoingnaige  de  notre  igno- 
rances »  En  sa  qualité  de  poète  de  transition,  Sagon  a 
conservé  les  formes  de  poésie  qui  l'avaient  fait  triom- 
pher au  Puy  de  Rouen,  le  Lai  et  la  Ballade  ;  mais  il  a 

'  La  Deffeme  et  Illustralion  Je  la  Langue  françoyse.  Réimpression  de 
1839.  Pages  ici8,  109  et  110. 

9 


es»  INTRODUCTION. 

montré  aussi  qu'il  consultait  les  ouvrages  des  auteurs 
(le  l'antiquité,  Pline,  Tertullien,  Lucien,  etc.  Bien  que 
touché  l'un  des  premiers  du  souffle  de  la  Renaissance 
pour  l'ensemble  de  son  œuvre,  il  restait  encore,  par 
quelques  côtés,  de  l'école  de  Marot.  Toutefois,  c'est  bien 
un  précurseur  de  Ronsard  et  de  la  Pléiade,  que  nous 
avons  en  lui. 

Le  texte  de  ce  poème  peut  servir  aussi  à  marquer  une 
nouvelle  étape  du  français.  Etant  écrit  dans  la  première 
moitié  du  xvp  siècle,  où  se  termine  la  partie  archaïque 
de  la  langue,  il  sert  de  transition  enti-e  elle  et  Tàge  clas- 
sique. Ce  n'est  plus  le  français  du  Moyen -Age,  mais  un 
français  où  le  latin  domine,  en  s' acheminant  vers  la 
langue  de  Malherbe  et  Descartes.  On  y  saisit  les  modifi- 
cations graduelles  que  Sagon  a  introduites  ou  pour  le 
sens  ou  pour  le  matériel  des  mots,  devançant  encore 
Joachim  Du  Bellay  dans  ses  conseils  sur  ce  point.  «  Ne 
crains  donques,  poëte  futur,  d'innover  quelques  termes, 
en  un  long  poëme  principalement,  avecques  modestie 
toutefois,  analogie  et  jugement  de  l'oreille,  et  ne  te  sou- 
cie qui  le  trouve  bon  ou  mauvais,  espérant  que  la  posté- 
rité l'approuvera,  comme  celle  qui  donne  foy  aux  choses 
douteuses,  lumière  aux  obscures,  nouveauté  aux  an- 
tiques, usaige  aux  non  accoutumées  et  douceuraux  aspres 
et  rudes  i    »  De  là  sont  venus,  avant  le  précepte  de  ce 

'  Id-,  ihi.l.,  p.  !1G. 


INTRODUCTION.  6? 

réformateur,  ces  mots  forgés  îi  nouveau  et  dérivés  d'une 
source  toute  latine,  tels  qne  :  <  Balsme,  amœnité,  luunde 
('pur],  relucence,  macule,  crassitude,  cautelle,  novalité, 
nombre,  etc.  »  » 

Mais  c'est  dans  la  versification  surtout  que  Sagon  so 
montra  un  novateur  heureux  et  intelligent,  pour  la 
césure  du  décasyllabe,  et  pour  remploi  de  la  rime. 

Jusqu'au  temps  de  Sagon,  o  l'ancien  décasyllabe  français 
se  présente  sous  deux  formes  :  il  est  à  césure  ou  sans 
césure.  La  césure,  quand  elle  existe,  est  placée  à  la  qua- 
trième syllabe,  ce  qui  est  le  cas  de  beaucoup  le  plus  com- 
mun, ou  elle  l'est  à  la  sixième.  • .  Ces  deux  modes  de 
versification  traitent  la  césure  comme  la  fin  duver.s,  c'est- 
à-dire  qu'une  syllabe  muette,  quand  elle  s'y  trouve  en 
plus,  ne  compte  pas  2.»  On  appelait  cela»  des  coupes  fémi- 
nines. »  Notre  poète  n'admet  pas,  dans  ses  décasyllabes, 
de  syllabe  muette  à  Thémistiche,  à  moins  de  l'élider, 
non  plus  que  la  césure  à  la  sixième  syllabe.  Chez  lui, 
elle  se  trouve  toujours  après  la  quatrième,  à  la  fin  du 
premier  hémistiche,  donnant  ainsi  l'un  des  premiers 
l'exemple  qui  a  fait  loi  plus  tard.  C'est  un  procédé  de 
versification  qu'il  doit  peut-être  aux  entretiens  de  la 
comtesse  de  Chateaubriand.  Comme  elle  l'avait  pratiqué, 

•  Voir  aussi  l'Averti ssement,  p.  v. 

'  M.  Liltré.    Complément  de  la  Préface  de  son  Dictionnaire  de  l\ 
Langue  française,  p.  xliv. 


68  INTRODUCTION. 

pour  son  compte,  dans  les  vers  qu'elle  adressait  à 
François  I,  pourquoi  n'en  aurait-elle  pas  fait  part  à  Sagon, 
qui 

l'ouït  par  plusieurs  foy s  y 
Parler  de  plus  haulte  pratique 
Que  Sapho  en  l'art  poétique? 

C'était  une  innovation, puisqueMarotn'observait  pas  cette 
règle  dans  ses  Opuscvles  de  l'Adolescence,  comme  il  en  fait 
l'aveu,  en  1530,  en  parlant  de  «  la  première  Eclogue  des 
Bucoliques  Virgilianes  translatée  (certes)  en  grande 
ieunesse  :  comme  pourrez  en  plusieurs  sortes  cognoistre  : 
mesmement  par  les  couppes  féminines  :  lesquelles  je 
n'observois  encore  alors  :  dont  lan  le  Maire  de  Belges 
[en  les  m'apprenât)  me  reprint  t  » .  Sagon  non  plus  ne  les 
avait  pas  toujours  observées. 

Pour  la  rime,  il. a  le  grand  mérite  d'appliquer  une 
règle,  dont  il  n'est  pas  l'inventeur,  et  plus  rigoureuse  - 
ment  qu'aucun  des  poètes  contemporains,  à  commencer 
par  Marot  lui-même.  Ses  rimes  sont  ou  plates  ou  croisées, 
et  très  rarement  redoublées,  et  il  s'astreint,  presque  tou  • 
jours,  à  faire  succéder  les  rimes  masculines  aux  rimes 

'  ŒuvKES  DE  Marot,  édition  de  Niort,  1596.  Epitres  liminaires.  — 
Jean  Lemaire,  dit  de  Belges  (Bavai)  en  Hainaut,  né  en  1473,  est  au- 
teur de  Trois  Livres  des  Illustrations  de  Gaule  Belgique,  1512,  de  poésie? 
et  de  quei<iues  autres  ouvrages. 


INTRODUCTION.  69 

féminines,  sans  mettre  de  suite  trois  ou  quatre  rimes 
masculines  ou  féminines,  à  l'exemple  des  autres  poètes 
de  cette  époque.  Ce  procédé  de  versification ,  Jean 
Bouchetle  recommandait,  en  1537,  à  un  poète  normand, 
«Baptiste  Le  Chandelier,  conseiller  du  Roi,  en  sa  court 
de  Parlement  de  Normandie  : 

Je  treuue  beau  mettre  deux  femenins 
En  rime  plat  te,  avec  deux  masculins, 
Semblablement  quand  on  les  entrelasse 
En  vers  croise!{\ 

Ainsi  avait  déjà  fait  Sagon  dans  l'Epître  adressée  à  ce 
même  Bouchet  pour  l'attirer  dans  son  parti,  lors  de  sa 
fameuse  querelle  contre  Marot  2.  M.  Sainte-Beuve  a  donj 
eu  tort  de  dire  :  «  Le  premier,  après  Jean  Bouchet, 
Ronsard  adopta  l'entrelacement  régulier  des  rimes  mas- 
culines et  féminines,  et  en  fit  incontinent  un  précepte 
d'obligation  par  son  exemple  s  ».  La  comtesse  de 
Chateaubriand,  avant  Bouchet,  et  Sagon,  en  même  temps 
que  lui,  observaient  déjà  cette  règle  de  prosodie,  bien 
avant  Ronsard. 

On  voit  donc  que,  sous  le  rapport  de  la  versification,  le 


'  Epistres  FAMILIERES  DU  Trauerseur.  Epistrc  CVII,  feuillet  Ixxij. 

*  Ibid.  Epistre  CVT,  feuillets  Ixx  et  Ixxij. 

^  Tabli au  de  la  Poésie  française  au  XVI^  sucle,  t'ijit.  de  1843,  p.  77. 


W  INTRODUCTION. 

poème  de  Sagon  a  encore  des  mérites  qui  le  distinguent 
des  autres  poètes  de  son  siècle,  et  que  là  aussi  il  sert  à 
marquer  un  âge  de  transition,  comme  pour  son  mode  de 
composition  et  pour  la  langue. 

Arrivons  aux  défauts  de  notre  auteur.  Nous  n'aimons 
guère  cet  étalage  d'érudition  fastueuse,  cette  affectation 
de  science  pour  justifier  l'interminable  allégorie  du 
Miroir,  aussi  subtile  que  frivole.  Sa  longue  tirade 
de  130  vers  (le  cinquième  du  poème),  où  il  s'évertue  «  à 
exposer  la  matière  du  miroer  »,  et  où  il  se  reprend  «  pour 
déchiffrer  le  miroer  plus  haultement  »,  était  peut-être,  à 
ses  yeux,  le  morceau  capital  de  son  œuvre.  Aux  nôtres, 
elle  est  hors  de  proportion  avec  le  reste,  et  nous  lui 
reprochons  encore  de  s'y  être  abandonné  trop  facilement 
au  courant  de  la  poésie  descriptive. 

On  peut  être  aussi  tenté  de  sourire,  en  lisant  les  noms 
de  ces  douze  ou  treize  femmes  célèbres  de  tous  les  pays 
ou  de  tous  les  temps,  auxquelles  il  compare,  pour  une 
qualité  ou  pour  une  autre,  la  comtesse  de  Chateaubriand, 
en  épuisant,  pour  exprimer  son  admiration,  toute  la 
série  des  métaphores  qu'elles  lui  suggèrent.  Il  devient 
ainsi  un  panégyriste  plus  enthousiaste  que  véridique. 

Enfin  il  semble  s'être  abandonné  à  une  admiration 
irréfléchie,  et,  cédant  aux  élans  de  son  imagination  et  de 
son  cœur,  il  a  dépassé  la  juste  mesure  de  l'éloge,  l'exa- 
gération du  senliment  ayant   son  contre-coup  dans  le 


INTRODUCTION.  71 

style  souvent  alambiqué.  Là  est  le  côté  excessif  du  poème, 
surtout  si  l'on  est  de  l'avis  de  Buffon  :  «  Le  papier,  ce  me 
semble,  ne  peut  recevoir  l'empreinte  de  ce  qui  se  grave 
au  fond  du  cœur,  on  n'y  trouve  que  le  produit  de  l'esprit 
et  non  les  sensations  de  l'âme.  »  (Lettre  à  M"»"  Necker,. 
Montbard,  23  juillet  1759.) 

Dans  la  versification,  il  a  des  défauts  qui  passaient 
pour  des  beautés,  de  son  temps,  c'est-à-dire  des  verg  à 
rime  équivoquée  et  h  rime  batelée  i .  Il  partageait  la  fausse 
idée  des  versificateurs  contemporains.  «  Pour  relever  des 
vers  que  la  pensée  ne  soutenait  pas,  on  s'imposait  des 
entraves  nouvelles  qui,  loin  d'être  commandées  par  la 
nature  de  notre  prosodie,  en  retardaient  la  réforme  et  ne 
laissaient  place  à  nul  agréments  », 

Cette  œuvre  de  Sagon,  presque  inconnue,  si  complète- 
ment inédite  que  personne  n'en  a  cité  un  seul  vers,  a 
cependant  été  l'objet  de  l'analyse  sommaire  que  voici  : 
«  Sagon,  dans  son  poème  funèbre,  dit  M.  de  Lescure, 
célèbre  surtout  l'esprit  de  Françoise  de  Foix,  qu'il  met 
au  rang  des  femmes  les  plus  brillantes  et  les  plus  ins- 
truites de  son  temps.  Il  daigne  à  peine  louer  ce  corps 
dont  la  mort  vient  d'attester  la  fragilité.  Il  se  rabat  sur 

'  Ces  termes  seront  expliqués,  dans  les  Notes^  lorsque  le  texte  offrira 
lie  ces  sortes  de  vers. 

'  M.  Sainte-Beuve,  Tableau  de  la  Poésie  française  au  XVI'  mde, 
page  18. 


72  INTRODUCTION. 

les  mérites  de  l'âme  immortelle  qui  lui  survit.  Son  allé- 
gorie du  miroir  d'honneur  féminin  se  poursuit  minutieuse- 
ment et  laborieusement  pendant  quinze  cents  vers, 
qui  ne  valent  pas  pour  nous  un  mauvais  croquis  de 
peintre  ». 

Disons  tout  de  suite  que  le  péché  de  Sagon  est  presque 
moitié  moins  considérable  qu'on  ne  le  suppose,  puisque, 
de  compte  fait,  le  poème  proprement  dit  a  681  vers,  au 
lieu  des  1 ,500  qu'on  lui  prête. 

«  Françoise  deFoix,  dit-on  encore,  d'un  esprit  compré- 
hensif  et  délié,  curieuse  de  savoir,  avide  d'une  gloire 
supérieure  à  celle  de  la  beauté,  possédait  les  langues 
étrangères  (sans  doute  l'espagnol  et  l'italien),  inventait 
des  devises  ingénieuses,  écrivait  des  lettres  agréable- 
ment tournées,  s'exerçait,  sans  trop  de  gaucherie,  au 
délicat  instrument  de  la  poésie,  et  était  d'une  conver- 
sation facile  et  enjouée  ». 

Sagon  dit  positivement  qu'outre  sa  langue  maternelle. 

Elle  auoit  ces  deux  ioinct\  ensemble, 

Vng  moyen  langage  latin 

A  l'italien  de  Laertin, 

Et  pour  vng  tiers  et  beau  langage, 

Parlait  espaignol  dauantage. 

Quant  à  la  poésie,  au  lieu  de  «  s'y  exercer  sans  trop  de 
gaucherie  »,  elle  y  excellait.  Le  jugement  plus  favorable, 


INTRODUCTION.  73 

porté  par  le  bibliophile  Jacob,  se  trouve  confirmé  par 
celui  de  Sagon,  qui  entendit 

plusieurs  fqys 
La  dame  Francqyse  de  Foix 
Parler  de  plus  haulte  pratique 
Que  Sapho  en  l'art  poétique. 

Enfin,  M.  de  Lescure,  reprenant  un  peu  plus  loin 
l'analyse  du  poème  de  Sagon,  en  cite  le  titre  in  extenso 
et  le  fait  suivre  de  cette  remarque  :  «  Nous  ne  réveille- 
rons pas  cet  essaim  de  rimes  qui  dorment  dans  les 
limbes  des  manuscrits  de  Cangé.  Nous  nous  bornerons 
à  relever,  dans  la  composition  dialoguée  de  Sagon,  quel- 
ques détails  qui  donneraient  à  penser  que  la  jeune  com- 
tesse de  Laval,  nièce  de  Françoise  de  Foix,  n'était  pas 
distante  de  sa  tante,  quand  la  mort  la  ravit  de  ce  ter- 
restre val  et  que  la  véritable  cause  de  cette  mort  fut  une 
maladie  subite  et  rapide  i .  »  C'est  là  qu'il  faut  regretter 
l'absence  de  toute  citation  des  vers  si  formels  de  notre 
poète. 

Plus  audacieuse,  notre  Société,  trouvant  dans  ce  poème 
l'œuvre  d'un  Rouennais,  a  fait  voir  le  jour  «  à  cet  essaim 
de  rimes  qui  dormaient  dans  les  manuscrits  de  Gange  » 
Pour  seconder  son  zèle,  nous  avons  cherché,  avant  tout, 

'  Les  Amours  de  François  I" ,  pages  157  et  202. 
10 


74  INTRODUCTION. 

comment  les  vers  de  Sagon  pouvaient  devenir  les  auxi- 
liaires de  sa  biographie,  de  l'histoire  anecdotique  et  lit- 
téraire. «  De  cette  façon,  ces  pages  mortes  ou  incolores 
en  apparence  se  trouvent  éclairées  d'un  jour  nouveau. 
Pour  les  œuvres  secondaires,  c'est  la  seule  manière  de 
les  ramener  à  la  vie.  »  Ainsi  l'avait  fait  avec  succès  un 
écrivain  qui  avait  dû  étudier  une  foule  d'œuvres  et  d'au- 
teurs inconnus  du  siècle  de  Sagon  i, et  nous  avons  jugé  à 
propos  de  suivre  sa  méthode. 

De  plus,  notre  Société  aura  le  mérite  d'ajouter  un 
nom  à  la  série  des  poètes  normands  du  xvi*  siècle,  dont 
elle  a  publié  les  œuvres.  Le  Regret  de  François  Sagon, 
leur  devancier,  se  joint  tout  naturellement  aux  Fables  de 
Guillaume  Haudent  (1547)  et  aux  Elégies  de  Jean  Doublet 
(1559). 

En  lisant  le  Regret  de  Sagon,  on  comprendra  mieux 
les  éloges  donnés  par  un  poète  contemporain  aux  poètes 
de  la  Normandie,  dans  sa  curieuse  Epistre  a  monsieur 
tnaistre  Jacques  le  Heur  grant  poète  demeurant  a  Rouen,  fai- 
sant metion  d'amitié  nouuelle  qui  se  peut  entretenir  mieulx  en 
absence  qu'en  p7ice  (présence).  Il  dit  donc,  en  1537  : 

Et  de  tous  ceulx  de  la  terre  de  France 
Me  semble  adiiis  (ie  le  djy  sans  oultrance) 

•  M.  C.  Lenient,  La  Satire  en  France  au  XV l^  siècle,  Préface,  p.  ni. 


INTRODUCTION.  75 

Que  les  Normans  ont  des  Muses  l'octroy 
De  poésie,  ainsi  le  pense  et  croy, 
Car  ie  n'ay  veu  de  plus  aisé  langage, 
Ne  plus  fluent,  tant  soit  graue  l'ouurage'. 

A  Le  Lieur,  Le  Chandelier  et  Le  Parmentier,  que  sui- 
vront bientôt  Guillaume  Haudent  et  Jean  Doublet, 
Bouchet  joignait  certainement  notre  poète;  car  son 
Epistre  de  l'acteur  respomiue  a  celle  de  Sagon,  porte  en 
subscription  : 

Va  lettre  va  declairer  ton  iargon 
A  l'orateur  maistre  Francoy  Sagon. 

Pour  tous  ces  motifs,  la  Société  des  Bibliophiles 
NORMANDS  a  Sagement  fait  de  mettre  au  jour  le  poème 
inédit  d'un  Rouennais,  et,  fidèle  à  son  principe,  elle 
peut  bien  répéter,  une  fois  de  plus,  avec  Ovide,  pour 
sa  justification,  s'il  en  était  besoin  : 

Et  plus  est  patriœ  facta  referre  labor. 

'  Epistres  FAMILIERES  DU  Tradersecr.  (1545).  Epistrc  CVIII,  feuil- 
let Ixxii,  verso. 


76  INTRODUCTION, 


III .  —  BIBLIOGRAPHIE  DES   ŒUVRES  DE   SAGON, 


Le  premier  bibliographe  de  notre  poète  a  été  La  Croix 
du  Maine,  auquel  on  doit  quelques  indications  incom- 
plètes et  sommaires,  dans  sa  Bibliothèque  française  (1584). 
Celles  de  la  Bibliothèque  d'Antoine  Duverdier,  contenant  le 
Catalogue  de  tous  les  auteurs  qui  ont  écrit  ou  traduit  en 
françois  (1585),  sont  un  peu  plus  complètes.  Dans  son 
Athenœ  Normannorum  (manuscrit,  1720),  le  P.  François 
Martin  reproduit  imparfaitement  La  Croix  du  Maine  , 
qu'il  traduit  en  latin,  sans  trop  se  préoccuper  de  la 
chronologie!.  La  Bibliothèque  française  de  l'abbé  Goujet^ 
tome  XII,  pages  424-426,  renferme  un  catalogue  des 
œuvres  de  Sagon,  bien  plus  complet  que  celui  de  ses 
prédécesseurs.  Il  s'y  trouve,  comme  Pièces  justificatives 
de  la  Huitième  partie  de  son  ouvrage  traitant  des  Poètes 
FRANÇOIS.  La  Biographie  normande  d'Adrien  Pasquier , 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  publique  de  Rouen,  t-  VIII, 

'  Nous  n'en  remercions  pas  moins  M.  Julien  Travers,  le  savant 
conservateur  de  la  Bibliothèque  publique  de  Caen,  d'avoir  bien  voulu 
transcrire  et  nous  envoyer  l'article  du  P.  Martin  sur  Sagon. 


INTRODUCTION.  77 

l'a  reproduit,  aussi  bien  que  l'article  de  l'abbé  Goujat, 
sans  y  changer  un  seul  mot.  M.  Frère,  qui  parait  ne  pas 
avoir  consulté  ces  sources,  est  plus  incomplet  encore. 

Comme  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  do  rencontrer 
presque  toutes  les  éditionjs  originales  des  œuvres  de 
notre  auteur,  c'est  d'après  elles  que  nous  donnerons  sa 
Bibliographie,  en  respectant  scrupuleusement  l'ortho- 
graphe des  premiers  éditeurs,  ce  qui  n'a  guère  eu  lieu 
jusqu'ici,  et  en  indiquant  la  mise  à  la  ligne  par  un  trait 
oblique,  sans  reproduire  toutefois  les  différents  carac- 
tères des  titres.  Enfin  nous  suivrons  l'ordre  chronologique, 
en  faisant  observer  que  la  date  de  l'impression,  quand 
elle  est  donnée,  est  rarement  celle  de  la  composition. 

I.  —  Le  Covp  desjsay  de  Francoys  de/Sagon  secretaij^c  de 
l'abbe  de  I  Sainct  Eburoul.  Contenant  /  la  responce  a  deuxj 
cpistres  de  /  Clément  Marot  retire  a  Ferrare.  /  L'une  adres- 
sante au  Roy  très  chrestien- /  L'autre  a  deux  damoijselles 
.seurs./  Vêla  de  quoy.  /  Auec  vne  Responce  a  celuy  qui  a  es- 
cript  I  que  l'imprimeur  de  ce  présent  Hure  /  auoit  beaucoup 
perdu  l'impres/sion  diceluy./ Les  semblable?  sont  a  vendre/ 
a  Paris  a  l'enseigne  du  pot  /  casse.  / 

Le  titre  se  poursuit  ainsi  au  verso  : 

Auec  vne  epistre  faicte  par  iceluy  secre  /  taire  aux  trois 
princes  et  enfans  de  Fran/ce,  Et  deux  ckantz  royaulx  en  la 
fin.  I  L'ung  a  la  louenge  dicelluy  roy  très  chres  l  tien.  L'autre 


78  INTRODUCTION. 

a  la  confusion  de  l'oppinion/  perverse  d'aucuns  modernes.  Le 

tout  ad/  dresse  par  prologue  au  roy. 
(Paris,  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  1  vol.  in-8'.  6427  A.) 
Il  n'y  a  ni  date  ni  lieu   d'impression,  mais  le  Coup 

d'Essay  est  de  1536,  et  il  a  27  feuillets  non  numérotés. 

Il  vient  en  tète  de  quatorze  autres  pièces,  tant  de  Sagon 

que  de  ses  adversaires,  dans  sa  querelle  avec  Marot, 

les  unes  de  1536,  les  autres  de  1537. 
Voici  celles  dont  Sagon  est  encore  l'auteur  : 

IL  —  Le  Rabais  du  I  caquet  de  Fripelippes  et  de  Marot 
dict  /  Ra.t  PELE  adictione  auec  le  couuert.  I  Faict  par  Mathieu 
de  Boutigni  pai  /  ge  de  maistre  François  de  Sagon  secre  /  taire 
de  tabbe  de  Sainct  Eburoult. 

Sans  date  ni  lieu  d'impression  ;  19  feuillets  non  numé- 
rotés. 

Au  milieu  du  titre,  sur  le  recto,  se  trouve  une  vignette 
sur  bois,  représentant,  à  gauche,  un  animal  avec  cette 
légende  :  M.  Rat  pelé  Marault,  allusion  doublement  inju- 
rieuse à  Marot  rappelé  de  son  exil  de  Ferrare.  De  l'autre 
côté  e?t  un  Sagouin  qui  déchire  le  Rat  pelé,  sous  les  yeux 
de  Fripelippes.  Le  Rat  pelé  étsiit  la  représaille  du  Sagouin 
inventé  par  Marot-Fripelippes, 

III.  —  Epistre  a  /  Marot  par  Fran  /  cois  de  Sagon  pour  luy 
montrer  que  /  Fripelippes  auoit  faict  sotte  côparaison  j  des 
quatre  raisons  du  dict  Sagon  a  quatre  j  oysons. 


INTRODUCTION.  79 

Au  centre  du  titre  est  une  vignette  sur  bois,  représen- 
tant une  sorte  de  chapelle  voûtée,  ayant  vue  sur  la  cam- 
pagne. Au  milieu^,  et  debout,  se  trouve  un  prêtre,  eu 
bonnet  carré,  devant  un  pupitre  supporlant  un  gros 
livre,  un  doigt  de  la  main  droite  sur  la  bouche,  et  l'autre 
main  derrière  le  dos.  Au  bas  de  la  vignette,  sont  les 
mots  Vêla  de  quoy,  devise  de  Sagon. 

A  la  fin  des  J5  feuillets,  on  lit  :  Au  palais  par  Gilles 
Corrozet  et  lehan  André  1537. 

Une  note  manuscrite,  placée  sur  le  verso  de  la  garde, 
en  face  du  titre  de  la  première  pièce,  Le  Coup  d'Essay, 
montre  bien  la  valeur  du  Recueil ,  composé  de  toutes 
pièces  originales. 

«  Toutes  ces  pièces  ont  été  réunies  dès  1538  en  1  vol. 
«  in-16  sous  le  titre  de  Marot,  Sagon  et  la  Hueterie.  Ce 
a  même  Recueil  a  été  reimprimé  en  1539.  Les  Recueils 
«  peuvent  contenir  quelques  pièces  de  plus  que  ce  qui 
«  se  trouve  dans  ce  volume  cy  ;  mais  ce  sont  icy  les 
«  pièces  originales  avec  quelques  gravures  facétieuses 
«  qui  ne  sont  pas  dans  les  Recueils. 

«  François  Sagon  étoit  curé  de  Beau  vais.  Il  a  survécu 
«  à  Marot  puisqu'il  vivoit  encore  en  1559  » 

Les  deux  erreurs  du  dernier  paragraphe  ont  été  réfu- 
tées plus  haut  (p.  35-37).  Mais  on  voit  que  Lenglet  du  Fres- 
noy,  dans  son  édition  des  Œuvres  de  Ck'ment  Marot,  etc., 
avec  les  Pièces  du  différent  de  Clément  avec  François  Sagon, 


80  INTRODUCTION. 

A  la  Haye,  chez  P.  Gosse  et  J.  Neaulme,  m.dgc.xxxi. 
4  vol.  in-4°  ,  n'a  pas  connu  les  pièces  originales  du  raris- 
sime Recueil  de  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  imprimées 
en  1536  et  1537.  Le  titre  général  des  42  pièces  réimpri- 
mées, grandes  et  petites,  le  prouve  :  Recueil  des  Pièces  du 
différent  entre  Clément  Marot ,  François  Sagon  et  la  Hueterie  : 
Avec  les  Apologies  pour  et  contre,  sur  l'imprimé  in-16. 
Paris  1538  et  autres  éditions.  Il  en  a  été  de  même  de 
ses  prédécesseurs,  La  Croix  du  Maine  et  du  Verdier,  de 
son  successeur,  l'abbé  Goujet,  et  de  tous  leurs  copistes. 
C'est  de  la  réimpression  de  1538  que  viennent  les  nom^ 
de  lieu  et  d'impression  donnés  par  certains  biblio- 
graphes n'ayant  pas  vu  ces  pièces  originales. 

IV.  — Le  Dis  I  covrs  de  la  vie  et  /  mort  accidentel  j  le  de 
noble  homme  Guyj  Morin,  tradvctevr  j  de  ce  présent,  Prepa- 
ratif  à  j  la  m,ort,  par  Francoys  l  de  Sagon,  secret  I  taire  son 
rray  I  amij.  1539. 

(Paris.  Bibliothèque  nationale.  Y.  4481.  A.  Réserve.) 
C'est  un  petit  volume  in-16,  relié  en  maroquin  rouge,  et 
commençant  au  feuillet  101,  parce  que  les  feuillets  pré- 
cédents contenaient  le  Préparatif  à  la  mort,  ou  traduction 
du  Traité  de  la  préparation  à  la  mort,  composé  en  latin  par 
Erasme.  Pour  honorer  Guy  Morin,  tué  devant  Turin,  en 
1536,  Sagon  avait  fait  imprimer  cette  traduction,  en  y 
ajoutant  son  Discours  en  vers,  contenant  l'historique  de 
la  vie  de  son  ami. 


INTRODUCTION.  8l 

Ce  Z)iscowrs  va  du  feuillet  101  à  127,  et,  sur  le  titre 
général,  on  lit  :  «  Paris,  Jean  Longis,  1539.  »  C'est  le 
nom  du  libraire.  Celui  de  l'imprimeur  est  donné  par  la 
Bibliothèque  française  d'Antoine  Du  Verdier,  qui  dit  :  «  Im- 
primé à  Paris  16"  par  Gilles  Corrozet.  1539.  »  —  (Edit. 
del585,  in-f,p.  412). 

Mais  ce  n'était  pas  là  l'édition  princeps,  puisque  la 
Bibliothèque  française  de  l'abbé  Goujet,  t.  XII,  p.  424, 
porte  que  ce  Discours  vient  «  h  la  suite  du  Préparatif, 
etc.  Imprimé  par  maistre  Olivier  Mallard,  libraire  et  impri- 
meur du  Roy,  pour  Galiot  Dupré,  1537,  in-16.  » 

Il  y  eut  encore,  plus  tard,  une  autre  réimpression  à 
part  du  Discours,  comme  le  constate  le  Manuel  du  Libraire 
par  Brunet  :  «  Discours  de  la  vie  et  mort  accidentelle  de 
noble  homme  Guy  Morin.  Denys  lanot,  1544,  in-8°.  — 
Cette  pièce  a  aussi  été  imprimée  avec  le  Préparatif  â  la 
mort  traduit  d'Erasme  par  Guy  Morin.  » 

Dans  ce  même  volume  de  la  Bibliothèque  nationale, 
qui  passe  du  feuillet  127  au  feuillet  249,  vient  l'ouvrage 
suivant  de  Sagon,  mais  en  prose,  que  nous  n'avons  vu 
mentionné  nulle  part. 

V.  —  Oraison  fun/ebre,  faicte  /  par  le  mesme  avtheur  /  es 
exeques  de  feu  messire  Phi/  lippes  de  Chabot,  grand  ad/  mirai 
de  France,  de /  Bretaigne  et  de  Guyenne. 

Philippe  de  Chabot,  connu  sous  le  nom  d'Amiral  de 
11 


82  INTRODUCTION. 

Brion,  mourut  le  l"  juin  1543.  C'est  donc  postérieure- 
ment au  Discours,  publié  dès  1537,  que  cette  Oraison 
funèbre  fut  imprimée.  Elle  va  du  feuillet  249  au  feuil- 
let 263. 

VI.  —  La  Complainte/  de  troys  gentilz  /  hommes  Françoys, 
occiz  et  mortz  au  voyage  de  Car/rignan;  bataille  et  iournée 
de  Ci  /  rizolles,  par  Françoys  de  Sagon.  Auec  privilège  du 
Roy.j  1544.  j  De  l'imprimerie  de  Denys  lanot.  Imprimeur/ 
du  Roy  en  langue  Françoyse,  et  libraire  I  iuré  de  V  Vniversite 
de  Paris. 

(Paris.  Bibliothèque  nationale.  Y,  4486.  A.  Réserve  ) 

Le  privilège  fut  «  donné  à  Paris  le  xij  iour  d'Apuril 
mil  cinq  centz  quarante  et  troys. 

«  Et  fut  acheué  d'imprimer  ce  ditliure  le  xxiii*  iour  de 
May;  mil  cinq  centz  quarante  et  quatre.  » 

Petit  in  8°,  réglé  eu  rouge,  dont  le  foliotage  manuscrit, 
commençant  au  feuillet  161,  va  jusqu'au  feuillet  204, 
preuve  évidente  que  cet  ouvrage  a  été  détaché  d'un  autre, 
à  la  suite  duquel  il  se  trouvait  primitivement  placé.  — 
Le  Manuel  de  Brunet  dit  :  «  Petit  in-8°  de  44  fî.  » 

VIL  —  Le  Triumphe/  de  grâce,  et  preroga  /  tiue  d  inno- 
cence originelle,  sur  la/  conception  &  trespas  delà/  Vierge 
psleue  mère/  de  Dieu,  /  composé  par  Sagan. 

1544. 


INTRODUCTION.  83 

«  On  le  vend  a  Paris  en  la  grande  salle/  du  palais,  au 
premier  pillier,  par  /  Jehan  André,  libraire  iuré  de  / 
rVniversité  de  Paris.  » 

(Paris.  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  N-SOSS.) 

Petit  in-8<»,  relié  en  veau,  sans  pagination  et  composé 
de  52  feuillets  non  chiffrés.  Au  verso  du  titre  se  lit 
l'Approbation  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris,  en 
latin,  à  la  date  du  29  mai  1544,  signé  :  I.  Fournier.  Le 
Permis  d'imprimer  accordé  à  M.  Francoys  Sagon,  le  27 
juin  1544,  porte  la  signature  de  I.  Morin.  A  la  tin  du 
volume,  on  lit  :  «  Imprimé  à  Paris  par  Benoist  Preuost, 
Imprimeur  demeurant  en  la  rue  Frementeil ,  près  le 
collège  du  Plessis.  Faict  le  ix®  iour  d'aoust.  Pour  lehan 
André  Libraire  Iuré  de  l'Université  de  Paris.  1544.  » 

A  la  suite  vient,  sous  un  second  titre  : 

Vni.  —  Recveil  moral  dav  /  cvns  Chantz  Royaux,  Balades 
et  Ron/  deaulx,  de  Sagon,  présentez  et  premiez /  a  Rouen,  a 
Dieppe  et  a  Caen,  Par  I  luy  adressé  a  vénérable  reli  /  gieux 
Domp  Richard  /  Ango,  prieur  de /  Beaunwt  en/ Auge  sonj 
oncle.  I 

Un  exemplaire  du  livre  rarissime,  contenant  le  Trium- 
phe  de  grâce,  etc.,  et  le  Recueil  moral,  etc.,  s'est  trouvé 
dans  la  bibliothèque  de  M.  Germain  Barré,  curé  de  Mon- 
ville,  d'où  il  est  passé  dans  celle  de  M.  Thomas,  avocat, 
qui  l'avait  prêté  à  M.  Ballin,  auquel  on  en  doit  une  ana- 


84  INTRODUCTION. 

lyse  et  des  citations,  avec  la  reproduction  des  titres  dans 
leur  disposition  primitive  i . 

Comme  l'existence  d'un  second  exemplaire  de  ces 
opuscules,  à  la  Bibliothèque  nationale,  peut  avoir  quel- 
qu'intérêt  pour  des  bibliophiles,  des  littérateurs  ou  de 
simples  amateurs  de  l'histoire  littéraire  de  la  Normandie, 
nous  nous  sommes  fait  un  devoir  de  signaler  le  fait, 
l'autre  exemplaire  connu  se  trouvant  entre  des  mains 
particulières,  après  la  vente  des  livres  de  M.  Thomas, 
l'ancien  possesseur  de  l'exemplaire  du  curé  de  Monville. 

Le  Manuel  de  Brunet  en  a  fait  l'objet  de  la  remarque 
suivante  :  «  Ce  volume  est  le  plus  rare  peut-être  de  ceux 
qu'a  publiés  l'auteur,  Il  y  en  a  un  exemplaire  porté  dans 
le  catalogue  de  Lavallière,  par  Nyon,  IV,  n"  14065  ;  un 
autre  est  décrit  par  M.  Frère,  Manuel  du  Bibliographe 
normand,  II,  p.  493.  »  Celui  de  la  Bibliothèque  nationale 
serait-il  un  troisième  exemplaire  ? 

IX.  —  Epitaphes  de  la  famille  de  Brie  de  Serrant,  qui  se 
lisent  dans  la  chapelle  du  chasteau  de  Serrand  en  Anjou  (par 
Sagon),  dans  les  Remarques  de  Gilles  Ménage,  dans  la  Vie 
de  Pierre  Ayraut. 

(Bibliothèque  françoise  de  l'abbé  Goujet,  tome  XII, 
p.  425.) 

1  Deuxième  suite  à  la  Notice  historique  de  l'Académie  des  Palinods,  par 
A. -G.  Ballin,  archiviste.  Rouen,  1844,  pages  12-18. 


INTRODUCTION.  89 

Elles  sont  comprises,  en  effet,  dans  les  Vies  de  Pierre 
i4yraM/f,  juiisconsulte  célèbre,  lieutenant  criminel  (1568), 
puis  lieutenant  général  au  présidial  d'Angers  (1589),  et 
de  Guillaume  Ménage,  avocat  du  roi  à  Angers,  écrites  en 
latin,  par  Gilles  Ménage,  leur  petit-fils  et  fils,  sous  ce 
titre  :  Vitœ  Pétri  ^Erodii  qiiœsitoris  andegavensis  et  Ckiillelmi 
Menagii  advocati  regii  andegavemis.  Scriptore  .Egidio  Me- 
nagio.  —  Parisiis  apud  Ghristophorum  Journel,  via  Ja- 
cobgeâ  sub  signo  Sancti  Johannis.  mdg.lxxv.  Cum  per- 
raissu.  1  vol,  in-4°. 

La  Bibliothèque  nationale  en  possède  un  exemplaire. 
L  27/n  855, 

Dans  les  Epistres  familières  du,  Trauerseiir  t  ^  1545,  in-f», 
en  vers  français  de  dix  syllabes,  dûs  à  la  plume  de  Jean 
Bouchot,  procureur  de  profession,  à  Poitiers,  mais  his- 
torien et  poète  des  plus  féconds,  caché  sous  ce  nom  bi- 
zarre de  «  Traverseur  des  voyes  périlleuses,  »  nom  pris 
d'un  de  ses  poèmes  intitulé  :  Les  Reynards  traversans  les 
périlleuses  voyes  des  folles  fiances  du  monde  (1503),  se  trouve 
une  Epitre  de  notre  auteur,  la  cix",  dont  voici  le  titre  et 
le  sujet  : 

X.  —  Epistre  de  maistre  Francoys  de  Sagon  cul  ré  de  Beau- 
uais  au  dict  acteur,  p.  laquelle/  se  complainct  d'vne  faulse 
amytié  per/  due,  et  veult  a  luy  atraire  le  dict  acteur. 

'  Bibliothèque  nationale,  Y.  4o40.  (Réserve.) 


86  INTRODUCTION. 

Elle  n'a  pas  moins  de  86  vers,  qui  occupent  le  feuillet 
Ixxiij.  Le  fond  en  est  assez  plat,  et  la  versification  en 
rimes  plates,  avec  croisement  régulier.  Il  écrivit  contre 
Germain  Colin,  qui  avait  abandonné  Sagon  pour  Marot. 
Notre  poète  désire  le  remplacer  par  Jean  Bouche t,  dont 
il  sollicite  l'amitié  dans  sa  lutte  contre  Clément  Marot. 
Mais  la  réponse  ne  dut  pas  lui  plaire  ;  car  l'Epitre  GX 
est  intitulée  : 

Epistre  de  l'acteur  respôsiue  a  celle  de  Sagon,  ou  il  se  dé- 
claire neutre  i . 

Elle  est  aussi  en  vers  de  dix  syllabes,  au  nombre 
de  112. 

Voici  d'autres  ouvrages  de  Sagon,  que  nous  n'avons 
pu  retrouver  dans  les  diverses  bibliothèques  de  Paris, 
mais  que  Du  Verdier  a  signalés,  cinquante  ans  seule- 
ment après  la  mort  de  notre  auteur. 

«  François  Sagon  a  escrit  en  rime  françoise  : 

XI.  —  «  Apologie  en  défense  du  roy  très  chrestien  François 
premier  du  nom  fondée  sur  texte  d'Evangile,  contre  ses  enne- 
mis et  calomniateurs. 

«  Impr.  à  Paris  8°  par  Deny  lanot  1544.  Commençant 
ainsi  : 

1  Même  édition,  feuillets  Ixxiij,  verso,  et  Ixxiiij,  recto. 


INTRODUCTION.  87 

Ouure:{  vostre  œil  mensongers  et  Jlateurs, 
Preste\  l'oreille,  ennemis  détracteurs, 
Qui  pour  complaire  au  gré  dufainct  Auguste 
Tourne:{  en  mal  Vinnocence  du  Juste 
Close  en  la  foy  du  Prince  de  Valois. 

«  Plus  1  . . . . 

XII.  —  «  Le  Chant  de  la  Paix  chanté  par  les  trois  estais. 
«  Impr.  a  Paris  8°  par  Denis  lanot  1538. 

XIII,  —  «  Le  Blason  du  Pied. 

«  Imprimé  avec  les  autres  blasons  anatomiques  du 
corps  féminin,  a  Lyon  par  François  luste,  1537.  » 

Ces  trois  indications  sont  extraites  de  la  Bibliothèque 
d'Antoine  Dv  Verdier  seigneur  de  Vavprivas  contenant  le  Ca- 
talogve  de  tovs  les  avtevrs  qui  ont  escrit  ou  traduit  en  fran- 
çois.  —  A  Lyon  par  Barthélémy  Honorât,  m.d.lxvxv. 
In-f",  p.  412. 

Le  Chant  de  la  Paix  n'est  pas  un  titre  tout  à  fait  juste  ; 
car  François  I  et  Charles-Quint,  ne  pouvant  s'entendre 
sur  les  conditions  de  la  paix,  convinrent  seulement  d'une 
trêve  de  dix  ans,  connue  sous  le  nom  de  Trêve  de  Nice 

^  Ici  se  placent  :  La  Complainte  de  trois  gentilshommes,  etc.  ;  Le 
Discours  sur  la  vie  et  mort  accidentelle  de  GuyMorin,  etc.  ;  Le  Triomphe  de 
grâce,  etc.  ;  que  nous  avons  cités  plus  haut,  pages  82  et  80. 


«8  INTRODUCTION. 

(12  juin  1538),  pendant  laquelle  ils  garderaient  ce  qu'ils 
posf5édaient  alors. 

Quant  au  Blason  du  Pied,  en  voici  l'occasion.  Marot, 
par  son  épigramme  du  Beau  Tétin^  avait  donné  à  ses  amis 
(les  poètes  de  son  école)  l'idée  de  faire  le  Blason  du  Corps 
humain  :  «  C'étaient  comme  des  disciples  glorieux  d'ache- 
«  ver  l'ouvrage  du  maître.  Il  est  assez  curieux  que  Sa- 
«  gon,  qui  n'était  pas  alors  en  querelle  avec  Marot,  se 
«  soit  choisi  le  blason  du  pied.  Sa  pièce,  d'ailleurs,  n'a 
«  pas  été  insérée  avec  les  autres  i.  » 

Marot  ne  l'a  pas  non  plus  citée  dans  l'énumération  des 
différentes  parties  du  corps  que  contient  l'Epitre  :  «  A 
ceux  qui,  après  l'Epigramme  du  beau  Tetin,  en  feirent 
d'autres  2.  » 

Enfin,  La  Croix  du  Maine  mentionne  aussi  : 

XIV.  —  Recueil  d'Estrennes  dudit  François  Sagon,  pour 
l'an  1538,  imprimé  à  Paris  audit  anz.  »  —  Brunet,  Manuel 
du  Libraire,  ajoute  :  «  In-8  de  28  fF.,  lettres  rondes,  figures 
sur  bois.  » 

C'est  celui  que  l'abbé  Goujet,  dans  '&2i  Bibliothèque  fran- 
çaise^ rapporte  à  l'année  1539  (nouveau  style). 

'  M.  Sainte-Beuve,  Tableau  de  la  Poésie  française  au  XVU  siècle,  édit. 
Charpentier,  is-is,  note  1  de  la  page  33. 

*  Bibliothèque  française,  réimpression  par  M.  Rigoley  de  Juvigny, 
1772,  t.  I,  p.  237. 

-'  OEuvres  de  Marot,  Niort,  1596,  p.  193. 


introduction;  89 

Mais  La  Croix  du  Maine  se  trompe,  quand  il  dit  :  «  Il 
»  a  écrit  le  Chant  de  la  Paix,  fait  entre  le  roi  Henri  IL  et 
«  Philippe,  roi  d'Espagne,  imprimé  à  Paris  par  Barbé  Re- 
«  gnault  ;  la  Réjouissance  du  Traité  de  la  Paix  en  France 
«  publiée  lan  1559  i.  » 

Si  ces  deux  poésies,  destinées  à  chanter  les  négocia- 
tions pour  la  paix,  ouvertes  à  Gâteau- Cambrésis  (15  oc- 
tobre 1558),  après  la  funeste  bataille  de  Saint- Quentin 
(10  août  1557),  et  le  traité  de  paix  de  Gâteau- Cambresis 
lui-même  (2b  avril  1559),  qui  mit  fin  à  cette  guerre  dé- 
sastreuse pour  la  France,  portent  le  nom  de  François 
Sagon,  ce  ne  put  pas  être  le  nôtre,  mort  depuis  le  mois 
d'août  1554,  comme  on  l'a  vu  plus  haut  (p.  37). 

Il  faut  attribuer  ces  deux  dernières  pièces  à  l'un  des 
membres  de  sa  famille,  portant  le  même  prénom  que 
lui,  peut-être  son  frère,  prénom  que  l'on  retrouve  pen- 
dant plus  d'un  siècle,  à  Rouen,  comme  on  l'a  vu  plus 
haut.  La  similitude  complète  du  nom  et  prénom  explique 
très  bien  l'attribution  de  La  Croix  du  Maine,  répétée 
depuis  par  tous  ceux  qui  ont  fait  la  Bibliographie  des 
œuvres  de  Sagon,  dans  l'ignorance  où  ils  étaient  de  la 
véritable  date  de  sa  mort  (1544)  2.  Remarquons  toute- 
fois qu'Antoine  Du  Verdier,  qui  cite  un  certain  nombre 


'  liibliothèque  française,  même  édition,  t.  I,  p.  237. 
-  Voir  plus  haut,  page  37. 

12 


90  INTRODUCTION. 

des  ouvrages  de  Sagon,  ne  comprend  pas  ces  deux  der- 
niers dans  sa  liste,  bien  qu'il  écrivît  en  même  temps 
que  La  Croix  du  Maine. 

Désormais,  à  cette  liste  plus  longue  et  plus  exacte  que 
les  précédentes,  il  faudra  ajouter  encore  :  Le  Regret 
dhonneur  fœminin  et  des  Troys  Grâces,  presque  entière- 
ment ignoré,  et  que  la  Société  des  Bibliophiles  nor- 
mands aura  le  mérite  de  mettre  au  jour,  près  de  trois 
siècles  et  demi  après  que  le  Rouennais  Sagon  l'a  com- 
posé. 


-i 


APPENDICES  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES 

DE   L'INTRODUCTION. 


I. 

(Se  rapporte  à  la  page  13). 

ï  La  querelle  de  Marot  et  de  Sagon  a  fait  autrefois  du  bruit 
comme  ils  avoient  chacun  leurs  amis,  il  y  eut  deux  factions,  et: 
de  part  et  d'autre  beaucoup  de  vers  satyriques  imprimés  en  des 
Recueils  de  1537  et  1539.  L'inimitié  de  ces  deux  poètes,  venoit 
de  loin.  Il  est  dit  dans  la  petite  pièce  en  vers  qui  a  pour  titre  : 
Le  Différent  de  Marot  et  Sagon,  qu'un  jour  qu'ils  se  promenoient 
en  bonne  compagnie  dans  la  cour  du  château  d'Alençon,  Marot, 
à  l'occasion  d'un  point  de  religion,  laissa  échapper  un  mot  que 
Sagon  traita  d'hérétique.  Marot,  sans  s'émouvoir,  persista  dans 
son  sentiment,  et  fit  doucement  ce  qu'il  put  pour  y  attirer  Sagon; 
mais  celui-ci  tenant  bon,  et  répliquant  toujours  vertement, 


92  APPENDICES   ET   PIÈGES   JUSTIFICATIVES 

Mai'Ol  rebuté  lui  dit  une  parole  de  mépris  ;  Sagon  lui  en  rendit 
une  autre  ;  ;"i  quoi  Marot  pour  réponse  nictlant  la  main  au  poi- 
{inai'd,  alloit  lui  en  porter  un  coup,  si  Sagon,  voyant  qu'il  ne 
seroit  pas  le  plus  fort,  n'eût  pris  la  fuite.  Marot  s'étant  de- 
puis fait  des  affaires  avec  la  Sorbonne^  et  craignant,  lorsqu'elles 
furent  terminées,  qu'on  ne  lui  en  suscitât  de  nouvelles,  prit  le 
parti  de  se  retirei"  auprès  de  la  duchesse  de  Ferrare.  Ce  fut  dans 
le  temps  de  cet  exil,  qu'avant,  pour  se  justifier  des  faits  dont  on 
l'accusoit,  écrit  une  assez  longue  épître  à  François  I",  Sagon, 
pour  la  réfuter,  en  adressa  une  plus  longue  au  même  Roi,  inti- 
tulée :  Le  coup  d'Essai.  Marot,  de  retour,  ne  daignant  pas  op- 
poser à  cet  écrit  une  réponse  sérieuse,  y  en  fit  une,  sous  le  faux 
nom  de  Fripelippes,  son  valet,  où  il  tourna  Sagon  en  ridicule. 
Sagon,  de  son  côté,  sous  le  faux  nom  de  Mathieu  de  Boutigny, 
son  prétendu  page,  y  répliqua  par  l'écrit  intitulé  Le  Rabais  du 
caquet  de  Fripelippes,  et  de  Marot.  dit  Rat  pelé,  le  nommant 
ainsi  par  une  équivoque  bouffonne,  sur  ce  que  Marot  se  glorifioiî 
d'avoir  été  rappelé  de  son  exil  de  Fen-are.  On  peut  voir  dans  les 
Recueils  que  j'ai  indiqués  la  suite  de  ce  démêlé  qui  dura  jus- 
qu'en 1538.  » 

Addition  faite  par  De  la  Monnaye  à  l'article  François  Sagon, 
dans  Les  Bibliothèques  françaises  de  la  Croix  du  Mairie  et  de 
Du  Verdier  sieur  de  Vaupriias.  Nouvelle  édition,  par  M.  Rigo- 
ley  de  Juvigny.  Paris,  MDCCLXXII.  Tome  I,  p.  238. 


DE   L  INTRODUCTION.  V-» 

II. 

(Se  rapporte  à  la  page  40). 

«  Lettres  tic  M""'  île  Chateaiibriant  au  Roi.  —  44. 
«  Au  Roy  mon  Souverain  Seigneur. 

a  Syre,  la  lybéralité  qu'y!  vous  a  pieu  me  despartyr  de  la 
brodeure  que  j'ay  reseuee  par  ce  porteur,  ne  vous  puis  rendre 
gi-aces  sufysantes  ,  mes  les  plus  humbles  qu'il  m'est  pos- 
syble  les  vous  présante,  avecque  conefiance  de  la  perpétuelle 
servytute  et  oblyguasion  de  messieurs  de  Lautrec,  de  Chateau- 
briant  et  myenne,  de  seulx  de  nos  maisons  presans  et  avenyr, 
des  biens  resus  de  la  bonne  voullanté  que  nous  faistes  l'honneur 
m'escrypre  qui  vous  playt  avoyr  à  nous,  qui  est  et  peult  la  per- 
fection de  nos  desyrs.  De  ma  part,  syre,  ne  puis  que  prier  celu> 
qui  despart  les  puissances  leurs  donner  l'heur  de  vous  faire  sei-- 
vyces  agréables,  en  lieu  qu'il  ne  cest  provenir  que  de  la  seuUe 
afecsion,  de  laquelle  ly  faysrequeste,  syre,  qui  vous  doint  bonne 
vye  en  longueur  très  heureuse,  et  tenyr  en  vostre  bonne  grâce 
pour  très  humblement  recommandée. 

Vostre  très  humble  et  très  obéissantes  subjecte  et 

servante. 

Françoise  de  Foys.  » 

a  Autre.  —  45. 

«  Syre,conesant  l'honneur  et  bien  qu'il  vousapleu  nie  faire  de 
m'escripre,  et  mander  par  ce  pourteur  que  vostre  bonté  n'est 


94  APPENDICES  ET  PIÈGES  JUSTIFICATIVES 

lasce  de  se  montrer  en  mon  endroyt,  ayant  voullanté  donner  fin 
à  mes  ennuyeux  et  opportuns  afaires,  vous  mersye  non  sufisa- 
ment,  mais  le  plus  très  humblement  posyble,  et  pour  ne  povoier, 
suplye  celuy  qui  tant  de  grâces  vous  a  desparty  vous  recom- 
pancer  de  celles  que  davantage  vous  plera  luy  demander  en  la 
très  heureuse  et  longue  vyeque,  seur  toutes,  vous  doynt  et  veult 
desyrer  celle  qui  pour  son  heur  prynsypal  vous  suply  estre  à 
James  l'avoyr  et  retenyr  en  vostre  bonne  grâce  pour  très  hum- 
blement recommandée. 

Vostre  très  humble  et  très  obaissante  subgecte  et 

servante. 

Françoise  de  Foys.  » 

(Poésies  du  roi  François  I''^  de  Louise  de  Savoie  duchesse 
d'Angoule'me  de  Marguerite  de  Navarre  et  correspondance 
intime  de  Diane  de  Poitiers  et  plusieurs  autres  dames  de  la 
cour  recueillies  et  publiées  par  M.  Aimé  Champollion-Figeac. 
Paris,  Imprimerie  royale,  MDGCCXLVI,  in-4°,  pages  214  et 
215.) 

Ces  lettres  de  Françoise  de  Foix  ont  été  écrites,  à  une  époque 
antérieure  à  la  captivité  de  François  I",  et  nous  les  donnons 
comme  spécimen  de  sa  prose.  Les  vers  qu'elle  adressait  au  roi 
ont  été  ainsi  jugés  :  «  La  comtesse  de  Chateaubriand  écrivait 
encore  avec  plus  de  délicatesse  et  d'élégance  que  le  roi.  On  est 
tenté  d'attribuer  à  quelque  poète  de  cour  les  épîtres  respon- 
sires,  où  elle  exprime  le  chagrin  que  lui  causent  la  prison  et 
l'absence  de  son  amant.  .    • 


DE  l'introduction.  05 

Las  I  si  le  cœur  de  ceux  qui  ont  puissance 
De  vous  donner  très-brève  délivrance 
Pouvoit  savoir  quelle  est  votre  amitié, 
Je  crois,  pour  vrai,  qu'ils  en  auroient  pitié; 
Et  que,  si  tut  ne  vous  veuillent  remettre 
En  ce  royaume  où  vous  êtes  le  maître. 
Ils  enverraient  au  moins  m'en  avertir 
Par  charité,  pour  me  faire  mourir, 
Aimant  trop  mieux  en  ce  jour  trépasser 
Que  sans  vous  voir  tant  de  saisons  passer  \, 

M.  Lcscare,  après  cette  citation  ;  ajoute  :  <■<■  Ces  vers  témoi- 
gnent non  seulement  d'une  constante  tendresse,  mais  d'un  art  et 
d'une  science  de  la  forme  poétique  dont  Marot  lui-même  n'a  pas 
toujours  un  aussi  heureux  scrupule.  Les  vers  de  la  comtesse 
observent  l'entrelacement  régulier  des  rimes  masculines  et  fémi- 
nines, gracieuse  innovation  prosodique  inaugurée  par  Le  Maire 
de  Belges,  à  laquelle  Marot  demeura  longtemps  rebelle,  et  dont 
il  ne  porta  le  joug  importun  que  dans  la  vieillesse,  La  prose  de 
Françoise  de  Foix  est  loin  d'être  harmonieiise.çst  fa,cilje  comme 
ses  versa.  »  i-.ooor  i-'i  ^^'-.'-mK-r- 

On  l'a  vu  par  la  citation  des  deux  lettres  ci-dessus,  et  ces  vers 
expliquent  les  éloges  que  Sagon  donne , au  lajl^nt  poétique  de  la 


'  Cité  par  le  Bibliophile  Jacob  (Paul  Lacroix),  Cunosités  de  l'Hit' 
loire  de  France,  2^  série,  Procès  célèbres,  Delahays,  1858,  p.  179, 
*  Les  Amours  de  François  1",  p.  I79. 


9G  APPENDICES   ET    PIÈGES   JUSTIFICATIVES 

comtesse,  qui  a  bien  pu  lui  enseigner  le  procédé  de  versification, 
signalé  plus  haut  et  qu'il  employait  lui-même  i . 

III. 

(Se  rapporte  à  la  page  41). 

a  J'ay  ouy  conter,  et  le  liens  de  bon  lieu,  que,  lorsque  le  roy 
François  premier  eut  laissé  madame  de  Chasteau-Briand,  sa  mai- 
tresse  favorite,  pour  prendre  madame  d'Estampes,  estant  fille 
appelée  Helly,  que  madame  la  Régente  avoit  prise  avec  elle  pour 
l'une  de  ses  filles,  et  la  produisit  au  roy  François  a  son  retour 
d'Espagne  à  Bordeaux,  laquelle  il  prit  pour  sa  maîtresse,  et  laissa 
la  dite  mademoiselle  de  Chasteau-Briand,  ainsi  qu'un  cloud 
chasse  l'autre  ;  madame  d'Estampes  pria  le  Roy  de  retirer  de 
la  dite  madame  de  Chasteau-Briand  tous  les  plus  beaux  joyaux 
qu'il  luy  avoit  donnez,  non  pour  le  prix  et  la  valeur,  car  pour 
lors  les  perles  et  pierreries  n'avoient  la  vogue  qu'elles  ont  eu  de- 
puis, mais  pour  l'amour  des  belles  devises  qui  esloient  mises, 
engravées  et  empreintes,  lesquelles  la  Reyne  de  Navarre,  sa  sœur, 
avoit  faites  et  composées  ;  car  elleen  estoil  très-bonne  maistresse. 
Le  roi  François  lui  accorda  sa  prière,  et  lui  promit  qu'il  le  feroit; 
ce  qu'il  fit  :  et,  pour  ce,  ayant  envoyé  un  gentilhomme  vers  elle 
pour  les  luy  demander,  elle  fit  de  la  malade  sur  le  coup,  et  remit 
le  gentilhomme  dans  trois  jours  à  venir,  et  qu'il  auroit  ce  qu'il 
demandoit.  Cependant,  de  despit,  elle  envoya  quérir  un  orfèvre, 

»  Voir  rintroduction,  pages  67-70. 


DE  l'introduction.  97 

et  luy  fit  fondre  tous  ces  joyaux,  sans  avoir  respect  ni  acception 
«les  belles  devises  qui  y  estoient  engravées  :  et  après,  le  gcntil- 
lioiiiiiie  tourné,  elle  luy  donna  tous  les  joyaux  convertis  et  con- 
tournez en  lingots  d'or.  «  Allez,  dit-elle,  portez  cela  au  Roy,  et 
«  dites-luy  que,  puisqu'il  luy  a  pieu  me  révoquer  ce  qu'il  m'avoit 
a  donné  libéralement,  que  ie  luy  rends  et  renvoyé  en  lingots  d'or, 
«  Pour  quant  aux  devises,  je  les  ay  si  bien  empreintes  et  collo- 
«  quées  en  ma  pensée^  et  les  y  tiens  si  chères,  que  je  n'a\  peu 
«  permettre  que  personne  en  disposast,  en  jouist  et  en  eust  de 
«  plaisir  que  moy-raesme.  »  Quand  le  Roy  eut  receu  le  tout,  et 
lingots  et  propos  de  cette  dame,  il  ne  dit  autre  chose,  si-non  : 
«  Retournez-luy  le  tout  ;  ce  que  j'en  faisois,  ce  n'estoil  pour  la 
«  valeur  (car  je  luy  eusse  rendu  deux  fois  plus;,  mais  pour 
«  l'amour  des  devises  :  et  puisqu'elle  les  a  fait  ainsi  perdre,  je 
«  ne  veux  point  de  l'or,  et  le  luy  renvoyé  :  elle  a  monstre  en 
«  cela  plus  de  courage  et  générosité  que  n'eusse  pensé  pouvoir 
«  provenir  d'une  femme.  »  Un  cœur  de  femme  généi'euse  dépité, 
tît  ainsi  desdaigné,  fait  de  grandes  choses.  » 

Vies  des  dames  galantes  par  le  Seigneur  de  Brantôme,  édi- 
tion Garnier,  1841,  in-12.  Discours  VII,  p.  337-338. 


13 


98 


APPENDICES   ET   PIÈCES   JUSTIFICATIVES 


IV. 

(Se  rapporle  à  la  page  42). 
(Par  Marot). 


F. F. 


PEU   DE   TELLES. 


F. F. 


Soubz  ce  tumbeau  gist  Françoise  de  Foix, 

De  qui  tout  bien  tout  chascun  souloit  dire  : 

Et  le  disant,  onc  une  seule  voix 
w 
Z         Ne  s'avança  d'y  vouloir  contredire. 

o 

De  grand'  beauté,  de  grâce  qui  attire, 
Q         De  bon  sçavoir,  d'intelligence  prompte, 
p  De  biens,  d'honneurs  et  mieulx  que  ne  raconipte, 

çc         Dieu  éternel  richement  l'estoffa. 

0  Viateur,  pour  t'abreger  le  compte  : 
Cij  gist  un  rien.  là  où  tout  triumpha. 

F. F.  Décéda  le  16  d'Octobre  l'an  1537. 


n 
o 

H 

«5 


F. F. 


(Par  Nicolas  Bourbon  l'Ancien). 

D.    FRANCISCO   FQXEJE,    CASTRI    BRIANTII   DOMINA 
HEROIDIS   INCOMPARÂBILIS. 

TUMULUS. 

Viator,  hoc  saxum  vide,  sta  paululum. 
Frangisga  Fuxea  hic  jacet,  quà  non  fuit. 


DE   l'introduction,  ^^-^ 

Dum  ririt,  altéra  melior,  nec  pulchrior 
In  Galliis  millier,  nec  relUjiosior . 
Ut  cui  Bem  (si  \mquam  alii  Heroidum) 
Naturaque  omnes  prolixe,  et  large  manu, 
Dotes  animique,  corporisque  indulserant. 
Ossa  hic  quideni  cubant,  at  felix  animula, 
Nimc  cum  suis  majoribus,  cumque  inclyto, 
Heroe  fratre  Lautreco  tune  fruitur  Dei 
Prœsentià,  œternisque  deliciis.  Vale, 
Viator  amice,  multuni  oculis  debes  tuis. 
Nugarum  Borbonii,  p  443  de  l'édition  de  1538. 

(Par  François  I.) 

Ici  dessous,  cy  gist,  en  peu  d'espace 
De  fermeté  la  montagne  et  la  masse, 
En  amitié  seul  chef  d' œuvre  parfait! 
Elle  a  souffert  qu'en  son  vivant  l'aimasse  : 
O  quel  record,  que  le  temps  point  n  efface  l 
L'âme  est  en  haut;  du  beau  corps  c'en  est  fait. 
Ici  dessous  ! 

Ahl  triste  pierre!  ains  as-tu  tant  d'audace 
De  m' empêcher  cette  tant  belle  face 
En  me  rendant  malheureux  et  défait  ! 
Car  tant  digne  œuvre  en  rien  n'avoit  méfait 
Qu'on  renfermât  avec  sa  bonne  grâce 
Ici  dessous  l 


100   APPENDICES  ET  PIÈCES  JUSTIF.  DE  l'iXTRODUCÏION. 

C'est  M.  (le  Lescure  qui  a  cité  cx'ttt-  épitaplie,  en  la  taisant 
j)réc(H1er  de  ces  mots  :  «  François  I^'  paya  à  cette  chère  mémoire 
son  j)oétique  et  funéraire  tribut  dans  le  rondeau  suivant.  »  Les 
Amours  de  François  I"',  p.  201. 

Nous  ignorons  d'où  sont  tirés  ces  vers  où  le  roi  affiche  si  nct- 
tciiicnt  son  amour  pour  la  comtesse  de  Chateaubriand  : 

Elle  a  souffert  qu'en  son  vivant  l'aimasse. 

Il  ne  parlait  pas  autrement  dans  toutes  les  pièces  qu'il  lui 
adressait,  d'après  le  Bibliophile  Jacob  et  M.  de  Lescure,  pendant 
sa  captivité.  Ibid.  p.  175-180. 


LE     REGRET 

DHONNEUR  FOEMININ 

et  des  troys  Grâces  fur  le 

trefpas  de  noble   Dame 

Francoyfe  de  Foix  Dame  de  Chafteaubriant 

et  mirouer  de   nobleffe  fœminine. 

Par  Francoys  de  Sagon, 

Secrétaire  de  lAbbe 

de    Saind   Eburoul. 


Le  regret  dhonneur  foeminin 

&  des  troys  Grâces,  fur  le  trefpas  de  noble  Dame 
Francoyfe  de  Foix  Dame  de  Chafteaubriant,  & 
mirouer  de  noblefle  Fœminine.  ParFrancoys  de 
Sagon,  fecretaire  de  lAbbe  de  SaindEburoul.  • 


L'a6leur.  2 

lloNNEURj  plains  toy,  &  voas  francoyfes  grâces, 
Gouurez  de  deuil  voz  gracieufes  faces , 
Pour  veoir  de  cueur  voftre  mirouer  caffe.  3 
Honneur  vaten  par  les  obfcures  traces. 
Grâces ,  fuyez  aux  rommaines  ou  thraces^ 
Rentrer  en  grâce  ainfy  qu'au  temps  pafTe. 
France  a  perdu  fon  reiglet  compaffe,  4 
Qui  conduifoit  nobleffe  fœminine 
loindre  fa  grâce  a  volunte  diuine. 
Ceftoit  Francoife ,  eflyte  perle  &  choys 
De  la  maifon  de  Foix  tant  noble  &  digne 
Que  ie  ne  puis  la  nommer  trop  de  foys. 

Honneur  s'addrefTant  par  ung  dizain 
aux  troys  grâces. 

Grâces  ;,  mes  fœurs,  oyez  la  trifte  voix 

Au  parc  francoys  elpartie  &  femée. 

Par  les  haultz  boys  desconforter  m'en  voys  5 


4 

Si  de  vous  troys  dure  mort  n'efi:  blafmée. 
La  renommée  eft,  qu'une  dame  aymee 
Eft  confommee^  &  que  mort  veult  tirer 
Sans  empirer  le  mirouer  ou  mirer  e 
Deubft  afpirer  lœil  de  l'honnefte  femme. 
Ce  tort  infâme,  a  deuil  fait  attirer 
Et  foufpirer  honneur  dung  tel  diffame. 

Pafythea  première  grâce.  7 

Mirouer  d'amour,  par  trop  mirer 
Honneur,  vertu  &  bonne  grâce , 
Faid  la  perfonne  foufpirer, 
Quant  par  la  mort  le  mirouer  calTe. 
Mais  puifqu'un  tel  miroer  de  glace 
Debuoit  ung  iour  eftre  rompu  ! 
Railon  n'eft  que  merueille  on  face 
Dung  corruptible  corrompu,  s 

La  mefmes  grâce  foy  repnant. 

Hal  quay  ie  dict?  iay  honneur  offense 
Non  d'auoir  di6t_,  mais  feullement  penfe 
Que  mort  eu6t  loy  de  corrompre  la  dame. 

Honneur  par  droict  ton  deuil  efl  commence. 
Fors  que  le  coup  par  la  mort  auance  9 
Au  gré  des  dieux  peult  eftre  fai6l  fans  blalme, 
Penfans  la  terre  indigne  de  telle  ame, 
Veu  que  pour  vray  les  dieux  auoient  taille 
Son  hault  efprit,  &  aux  humains  baille 
Pour  leur  feruir  d'exemple  bon  à  fuyure 
Ou  pour  auoir  longuement  trauaille 
En  seur  repos,  mort  au  ciel  le  faid  viure. 


5 

Egiale  féconde  grâce.  lo 

Honneur,  toute  femme  eft  mortelle, 

Cefte  loy  n'a  exception  , 

Mais  grâce  la  rend  immortelle. 

Quand  mort  fai6l  par  corruption 

D'ame  &  corps  féparation, 

Le  corps  retourne  en  pourriture 

Dont  l'ame  ayant  exemption 

Reprend  immortelle  nature. 

Icelle  grâce  changeant  propos. 
Ce  n'efl  pas  là,  gracieules  Francoyfes, 
Le  vray  moien  de  vous  refconforter , 
Aprez  la  mort  d'une  des  plus  courtoifes 
Q'uon  veit  iamais  noftre  France  porter. 
Sa  mort  eft  grefue  autant  a  fupporter 
Comme  par  grâce  elle  euft  bon-brui6l  en  vie 
Qui  régnera  fur  mort,  &  fon  enuie 
Tandys  qu'en  France  on  fera  cas  d'honneur,  ii 
Or  penfez  donc  qu'aprez  vie  aftbuuye 
Elle  eft  rauye  au  ciel  fans  defhonneur. 
Euphrofme  tierce  grâce. 
De  quoy  luy  fert  que  ciel  luy  fut  donneur 
D'une  influence,  &  regard  de  bonheur 
Pour  en  auoir  fi  courte  ioyflfance? 
Ceft  le  vouloir  du  cœlefte  ordcnneur. 
Et  le  plaifir  du  iufte  guerdonneur  12 
Qui  monftre  auoir  fur  nature  puiflance , 
S'il  en  faicl  tort?  i3  c'eft  au  climat  de  France 
Ou  cefte  dame  auoit  aquis  le  nom, 
L'eftime  &  bruiél  de  dame  de  renom , 
S'il  n'en  fai£l  tort?  si  ont  Francovs  triftelle. 


6 

Quant  ils  n'ont  plus  de  la  dame  finon 
Vng  fouuenir  de  grâce  &  de  noblefïe. 

La  mefmes  grâce.  i4 

Mes  fœurs,  la  mort  de  la  dame  nous  bleffe 
Quant  auec  elle  honneur  fœminin  (  mort) 
En  deuilj  en  peine,  &  en  foucy  nous  lailïe 
De  conformer  par  gracieux  accord 
Le  différent  &  maint  trouble  &  difcordis 
Qu'on  veoit  mouuoir  pour  la  grâce  des  dames  le 
Le  Dieu  Momus  ^^  qui  reprend  &  qui  mord 
En  cefte  mort  faindra  mefditz  &  blafmes.  is 

Honneur. 

Or  plorez  donc  filles  &  femmes, 

Qui  fur  tout  craignez  vos  diffames , 

Car  mort  voftre  exemplaire  a  pris,  19 

Ceftoit  une  dame  de  prix^ 

Qui  portoit  comme  la  première 

Des  autres  dames  la  lumière. 

Celfoit  une  dame  de  Foix 

A  qui  honneur  donnoit  la  voix 

Elire  des  autres  port'enfeigne , 

Le  dueil  des  troys  Grâces  lenfeigne. 

Ceffoit  vne  perle  d'honneur 

Qui  defïioit  tout  blafonneur,  20 

Ceftoit  une  francoife  dame. 

Qui  ne  receuft  onc  aucun  blafme , 

Sans  lui  eftre  a  tort  impofe 

Par  quelque  enuieux  trop  aofCj  21 


7 

Ceftoit  vne  Laodamie  22 
Vne  dame  non  endormie 
Au  fai£l  de  lamour  coniugal 
Rendant  l'autre  amour  inégal  ; 
Ceftoit  foubz  amytié  diuine 
Vne  Lucrèce,  vne  sabine; 
Cefloit  Pénélope  ou  r>ido 
Sous  l'eftendard  de  cUpido; 
Ceftoit  portia  la  rommaineas 
En  grâce  courtoife  &  humaine 
Veu  qu'en  la  forte  a  fceu  aymer 
Que  fi  d'amour  euft  frui£l  amer 
Elle  y  goufta  foubz  pacience 
Doulceur  de  nette  conscience.  2^^ 

Bref,  elle  eut  en  humanité 
Toute  louenge  &  dignité 
Que  la  vertu  de  corps  &  d'ame 
Peult  donner  a  honnefte  dame; 
Si  ie  la  plains  donc  aprez  mort  ! 
Ceft  fon  amour  qui  me  remord  25 
Ou  encor  mieulx  le  fien  mérite 
Qui  fai<5l  que  des  cielz  elle  hérite. 


La  première  grâce  en  balade. 


O, 


R  eft  donc  morte  cefte  dame 
Qu'Honneur  auec  folemnite 
A  conduite  en  terreftre  lame,  2c 
Prifon  de  toute  humanité. 
Les  dieux  d'immenfe  éternité 
Pour  veoir  au  ciel  lung  lautre  en  face 


8 

Ont  rauy  en  diuinite 

Le  miroer  dhonneur  &  de  grâce. 

La  féconde  grâce. 

Mes  Ibeurs  j  portons  luy  rofe  &  balfme  ,  27 

Chaiïans  d'air  la  malignité 

Faifons  que  fon  fepulcre  embafme, 

Meurte  &  cyprez  d'amœnite  :  as 

Noftre  eftat  de  virginité 

Ne  peut  trop  enrichir  la  place 

Du  corps  qui  fut  par  dignité 

Le  miroer  d'honneur  &  de  grâce. 

La  tierce  grâce. 

Puifque  ce  corps  qu'honneur  réclame  ^ 

Ayant  defprit  communite 

Eft  defparty  fans  vie  ou  blafme 

De  fragile  mondanité  29 

Et  qu'il  euft  par  infinité 

De  nos  dons  qu'efprit  feul  embrafle; 

Je  le  nomme  en  voftre  vnite  30 

Le  miroer  d'honneur  &  de  grâce. 

;Envoi  par  Honneur. 

Grâces  _,  mes  fœurs  en  trinite. 

Ce  corps  par  inhumanité 

De  mort,  rendu  froid  comme  glace. 

Ayant  à  nous  fraternité , 

Fut  dit_,  par  nom  d'afïinite, 

Le  miroer  d'honneur  &  de  grâce. 


Lafleur. 

Ôr  veoyez  donc ,  damoyfelles  de  France 
Le  dueil,  l'ennuy,  le  regret  &  fouffrance 
De  toute  grâce  &  d'honneur  foeminin^ 
Veoyez  comment,  la  mort  par  fon  venin 
A  corrompu  de  ce  miroer  la  glace 
Qui  remonftroit  a  tout  œil  toute  grâce, 
Côgnoiffiez  vous  celle  qu'on  va  cryant 
Et  lamentant  dedens  Chafteaubriant ,  si 
Ou  en  viuant  portoit  tiltre  de  dame,  32 
Oyez  vous  point  honneur  qui  la   reclame 
Et  fans  arreft  auec  triftefle  court 
Dire  la  perte  aux  dames  de  la  court? 
Refonne  pas  en  vallée  &  montaigne 
Le  dueil  qui  fort  de  galloyfe  sretaigne  33 
Pour  cefte  dame  expofée  à  la  mort. 
O!  cueurs  francoys,  fi  pitié  vous  remord 
Par  vng  inftinct  de  nature  bénigne 
Tyrez  au  but  de  grâce  fœminine. 
Quelque  regret  qui  monftre  a  laduenir, 
Que  vous  ayez  la  dame  en  souuenir. 

Diray  ie  ung  mot  aprez  mort  temporelle 
D'honneur,  de  gloire  &  louenge  pour  elle  ? 
Droid  s'y  confent,  &  la  raifon  le  veult, 
Puis,  fon  amour  commander  me  le  peult 
Veu  qu'en  viuant,  me  donna  de  bon  zelle 
Faueur,  tefmoing  Sepeaux  la  damoyselle,  34 
Qui  peuft  bien  veoir,  qu'ung  moys  auant  la  mort 
En  fa  doulceur  me  donna  grant  confort 

b 


10 

Contre  leftbrt  de  marotins  alarmes  35 

Dont  fon  remors  enuoye  a  mes  yeulx  larmes  ss  bis 

Autant  de  fois  qu'en  l'efprit  me  reuient. 

Mais  j  puifqu'attaindre  a  son  honeur  conuient  se 
(  l'entendz  attaindre  en  mode  couftumière 
D'honneur  qu'on  me6l  aprez  mort  en  lumière  ) 

Peult  on  pas  dire  en  vérité , 

Que  celle  dame  a  mérite 

Toutes  les   louenges  du  monde  ? 

Premier,  elle  auoit  le  cueur  munde,  37 

Et  lefprit  tant  bien  mys  au  corps , 

Qu'il  eftoit  maiftre  en  tous  difcordz. 

Fut  ce  donc  pas  vng  grant  dômage 

Que  d'ung  tel  corps ,  mort  euft  l'hommage  ? 

Quant  vng  efprit  qu'il  eut  tant  beau 

L'abandonna  mort  au  tumbeau  ? 

Certes  fi  fut.  Or  donc  francoyies 

Dames,  damoyfelles,  bourgeoifes, 

Qui  auez  le  cueur  tant  discret 

Plorez  en  public  ou  lecret , 

En  voftre  logis,  ou  au  temple. 

Celle  qui  eftoit  votre  exemple  , 

Et  vous  ferez  apparceuoir  sa 

L'acquit  d'amyable  debuoir. 

Vne  des  grâces  parle  à  l'acteur 
en  luy  couppant  le  propos. 

L'efprit  au  long  propos  f'oppofe 
Afleur,  lailTe  au  corps  qui  repose 
Meurte,  oliuier,  rofe  &  cyprez, 


II 

Et  viens  à  l'efprit  tout  exprez. 
Ceft  luy,  qui  mérite  louenge  , 
Et  non  le  corps  qui  n'eft  que  fenge. 

Laétcur. 

Grâce,  tu  as  grâce  &  bon  droifl. 
De  me  reprendre  en  cefl:  endroifl. 
Ou  ie  m'arrefte  &  examine 
Vng  corps  pafiure  à  la  vermine. 
Mais  puis  que  i'ay  à  toy  recours. 
Et  que  tu  me  promedlz  fecours  ; 
le  vueil  foubz  tienne  couuerture, 
De  fon  efprit  faire  ouuerture 
Et  auec  d'autres  par  raifon 
L'aprocher  en  comparailbn. 

Ayant  donc  loy  de  faire  exemple 
l2  n'euz  onc  matière  li  ample 
A  prouuer  defcript  ancien , 
le  prendray  en  politien  39 
L'efprit  de  cafïandre  fidèle  ,  40 
Pour  louer  l'efprit  &  le  zèle 
Que  cefte  morte  eut  en  viuant, 
L'une,  alloit  d'efprit  efcripuant. 
Et  lautre,  aussi  vsa  dung  fdlle , 
Au  lieu  d'une  efguille  fubtille  , 
La  plume  d'oaye,  ou  d'autre  oyfeau  4i 
Lui  feit  office  de  fuzeau. 
Et  pour  la  layne  ou  foye  a  tyftre  42 
Auoit  ung  liure  &  ung  pulpitre. 
Sur  lequel  quant  elle  viuoit  43 


12 

Epiftre  ou  miffiue  efcripuoit.  44 
Si  lune  ainfy  feit  en  fa  vie 
L'autre  l'enfuyuit  par  enuie. 
Parquoi  donc  fi  politien 
Ou  croniqueur  vénitien , 
Euft  en  la  faifon  ancienne 
Pour  caflfandre  venicienne 
Aucun  droid  de  mefltre  en  efcript 
La  louenge  d'vng  cler  efprit?45 
Lafteur  francoys  d'une  francoyse, 
Et  l'elcolToys  d'une  efcoffoyfe. 
Au  droiél  doibt  eftre  couftumierj 
Vêla  mon  exemple  premier. 

Les  trois  Grâces  à  l'adeur. 

Acteur  francoys  très  loyal  Sagontin,  le 
Laifle  parler  politien  latin 
De  cafïandra  fidèle,  par  toy  mife_, 
Celle  francoyfe  auoit  part  au  butin 
D'efpritz  plongez  au  ruilfeau  argentin.  47 
Et  fi  eftoit  forte  côme  Arthemife, 
Ta  liberté  eft  encores  permife 
De  la  louer  &  d'efprit  &  de  corps. 
Honneur  &  nous  ioindrons  a  tes  accordz. 
Car  puis  que  mort  la  dame  a  confommee  ? 
Tu  ne  peulx  moins  qu'en  rôpant  tous  difcordz 
Semer  par  tout  fon  bruid  &  renômee. 


i3 

Honneur  a  l'adeur. 

Veulx  tu  paffer  en  filence 
De  fon  genre  l'excellence. 
Et  de  Foix  noble  maifon 
Tous  fes  parens  d'apparence. 
Que  mortelle  violence 
Tient  foubz  terre  en  garnifon  ? 
A£leur  tu  as  bien  raifon 
En  carme  &  en  oraifon  ^s 
Ce  poin6l  me£lre  en  euidence. 
Si  tu  as  donques  faifon  49 
D'en  faire  comparailon? 
Faidz  le  tumber  en  cadence. 

L'adteur. 

Le  pied  vacille  a  commencer  la  dance 
Surtout  lefprit  qui  veult  trop  hault  monter , 
L'efpoir  de  grâce  enclos  d'oultre  cuidance 
Ne  peult  icy  ma  honte  lurmonter. 
Aultre  que  moy  (honneur)  pourra  côpter 
Et  defchiffrer  de  trop  meilleure  grâce 
L'antiquité,  la  nobleffe  de  race. 
Et  de  vertuz ,  fans  la  mettre  en  oubly,   j 
Dont  la  maifon  de  Foix,  par  longue  efpace, 
A  mainte  femme  &  home  ennobly,  so 

Honneur, 

A<Seur,  tu  as  honnefte  cueur,  • 
On  le  cognoift  a  ton  excufe, 


H 

LaifTe  donc  faire  au  croniqueur 
Ce  poin£l  que  ta  honte  reffufe. 
Employé  encor  icy  ta  mufe^ 
Et  déclare  en  flille  beningsi 
Par  grâce,  en  ton  efprit  infufe. 
Le  miroer  d'honneur  fœminin.  52 

L'aéleur  expofant  la  matière 
du  miroer. 

Ce  miroer  faict  de  table  entière  83 
Eftoit,  de  tant  nette  matière 
Qu'il  n'euft  tache  ou  erreur  maling, 
Nom  plus  qu'vng  miroer  criftallin , 
Dont  n'est  poffible  qu'on  mefdie, 
S'il  eft  de  façon  de  l'Yndie  ^  s* 
Puifqu'ung  tel  miroer,  par  raifon 
D'autre  ne  craingt  comparailon. 
Vecy  que  ie  dy  donc  pour  elle  55 
Qu'elle  auoit  maffe  corporelle 
Ou  le  ciel  meill  efprit  vital 
Comme  il  engendre  ung  blanc  criftal, 
D'efcume  en  eau  de  nefge  faide, 
Ainfy  fut  la  dame  parfai6le, 
Qui  eut  le  corps  humain  plaifant, 
Comme  vng  criftallin  reluifant. 
Si  le  miroer  eftoit  de  verre  ? 
Son  corps  eftoit  limon  de  terre , 
L'ung  corruptible  &  l'aultre  aufly. 
Comme  la  mort  demonftre  icy. 
Mais  quel  verre  aura  ce  bonheur 


i5 
D'auoir  comparaifon  d'honneur 
Au  corps  de  cefte  noble  dame? 
Sera  ce  vng  verre,  que  brui61:  clame, 
(Mais  ie  croy  que  le  brui£l  en  ment) 
Qu'on  le  pouuoit  bien,  fans  nuifance 
Tourner  &  tailler  a  plailance. 
Par  artifice,  &  par  art  gent 
Ainfy  qu'on  faid  lor  &  largent?  b« 

Cela  aduint  defloubz  Tybere,«7 
l'entendz,  û  cela  Peft:  peu  faire. 
S'il  feft  peu  faire,  &  i'il  l'eft  fai6l  ? 
Pareillement  ce  corps  parfaid , 
Des  elementz  eut  telle  grâce 
Que  ce  beau  verre  eut  en  la  glace. 
Le  verre  en  fa  facilite  ^ 
Le  corps  en  fon  humilité,  »s 
Et  û  ce  verre  en  fa  fubflance 
Auoit  au  criftal  reflemblance 
Dont  il  fut  digne  de  louer? 
le  puis  bien  ce  corps  aduouer 
ladis  plus  blanc  par  innocence 
Que  n'eft  criftal  par  relucence.  8» 

Honneur. 

Acteur  francoys.  Honneur  te  certifie 
Que  c'eft  affez,  par  la  philofophie  eo 
Soubz  un  miroer  donne  louenge  au  corps. 
Vien  donc  au  poinft,  qui  lame  glorifie, 
Pren  du  miroer  ce  qui  le  purifie, 


i6 

Et  fi  tu  peulx  ,  mets  le  dedans  dehors  , 
Pour  demonftrer  clerement  les  accordz 
D'vng  vray  miroer  qui  reflecte  &  remonftre 
Obgect  femblable  à  celuy  qu'on  luy  monftre 
Au  cler  miroer  d'une  dame  de  Foix 
Te  promeclant,  fi  ta  mufe  rencontre. 
Que  tu  auras  laurier  a  cefte  fois.  61 

L'afteur. 

Honneur,  par  toy  fuys  philofophe 
Si  i'ouure  ce  mirouer  couuèrt, 
Refte  ung  poin£l  de  plus  hault  eftoffe 
Qu'il  conuient  medre  a  defcouuert, 
le  n'en  ay  que  le  moins  onuert. 
S'il  faut  que  ce  refte  ie  face? 
l'auray  par  honneur  refcouuert 
Laurier  vert  couronne  de  grâce. 

Les  Grâces. 

Si  tu  veulx  croirre  Jamy  bening) 

Le  confeil  dhonneur  fœminin , 

(Auquel  plufieurs  portent  enuie) 

Tu -auras  (fans  gloire  en  ta  vie) 

Sur  Ihumaine  fragilité 

Aprez  mort  immortalité. 

Parquoy  les  immortelles  Grâces  j 

Te  confeillent  que  tu  parfaces 

Le  miroer  dhonneur  fœminin  1 

Qui  n'endure  ou  reçoit  venin. 


17 

L'adeur  déchiffre  le  miroer 
plus  haultement. 

Dame  nature  entre  fes  haultz  effortz 
Feit  vue  grâce  a  tous  miroers  bien  fai6tz 
De  rendre  à  l'œil  toute  ymage  oppofée. 
Or  ay  ie  icy  &  la  charge,  &  le  faiz. 
De  déclarer  en  mes  vers  imparfaiflz. 
Dont  vient  &  fourt  la  grâce  propofee 
Et  ne  defire  aultre  grâce  impofee 
A  mon  trauail  qu'amour  &  loyaulte 
De  toute  femme,  expofant  sa  beaulte 
A  fon  miroer,  fans  cefte  grâce  attendre. 
Ecoutez  donc  dames  en  priuaulte  es 
Et  (i  ie  puis ,  la  vous  ferai  entendre. 

Defcription  naturelle  du  miroer. 

Nature  au  fecret  cabinet 

Fai6l  qu'ung  miroer  cler,  pur,  &  net. 

Exempt  de  macule  &  diffame, 

Reprefente  ou  Ihomme  ou  la  femme, 

Si  en  luy  fe  va  regardant. 

Qui  faift  cela  ?  ung  luftre  ardant 

Du  verre,  ou  clarté  de  matière. 

Rend  l'obge^l  &  figure  entière, 

Par  repercuffion  de  l'air, 

Qui  retourne  a  lœil  vif  &  cler. 

La,  par  vertu,  nature  affemble 

Les  traidz  d'œil,  &  de  verre  enfemble, 

Lobged  ,  l'image,  &  accidentz 

Que  l'œil  penfe  veoir  au  dedens , 

c 


i8 

Ne  font  que  diffufe  lumière 
D'umbre,  de  figure  première, 

Aultrement?  ceft  un  luftre  infuz. 
Et  fi  cela  eft  trop  confuz, 
L'excufe  en  gilt  en  la  matière 
Ou  bref  j  c'eft  vne  efpèce  entière, 
D'vmbrageufe  imperfection 
Qui  rend  la  mefme  obge6lion. 
Ce  font  les  naturelz,  fans  pline, 
Qui  tiennent  cefte  difci pline.  63 
Encor  fault  dire  plus  auant 
De  ce  miroer  dicy  deuant , 
Mon  propos  n'auroit  apparence 
Sans  expofer  la  différence 
De  lobged  reflefte  &  pris. 

Le  miroer  de  macule  efj)ris, 
Ou  de  tache,  ou  de  cralTitude  ci 
Contrefaid  la  fimilitude 
De  face  humaine  offerte  à  luy. 
Purgez  la  table  d'iceluy 
Oftez  en  la  tache,  &  la  greffe 
Il  rendra  nelene  &  Lucrèce 
En  leur  naturelle  beaulte 
Et  vfera  de  loyaulte 
Sans  fard,  tromperie,  ou  cautelle, 
A  monflrer  la  perfonne  telle , 
Qu'elle  eft  iugée  aux  accidentz  , 
Sans  rien  defcouurir  du  dedens 
Si  en  ce  cas  par  aduenture 
Raifon  ne  furraontoit  nature. 


19 

Car  le  miroer  l'œil  tant  decoit 
Qu'il  n'entend  fil  baille  ou  reçoit^ 
Et  Cl  raifon  ne  le  gouuerne  ? 
Il  Tenyure  de  fa  tauerne,  66 
lugeant  vng  droi<5>  tors  ou  trauers 
Comme  en  leaue  vng  bafton  reuers , 
Qui  n'eft  toutesfoys  que  la  faulte 
De  l'œil  priue  de  raifon  haulte.  67 

Encor  que  le  miroer  rien  n'ait, 
Qui  ne  fcit  bien  pur  &  bien  net , 
Il  y  a  grande  diffe'rence 
Quelle  en  foit  la  circonférence 
Puifque  diuerfe  qualité 
Change  la  naturalite 
De  figure  au  miroer  receuej 
Ou  toute  perfonne  eft  deceue , 
Sans  raifonnab'e  iugement 
Qui  fe  doibt  faire  fagement 
D'vng  miroer,  qui  félon  fa  forme 
Rend  lymage,  ou  vraye  ou  difforme , 
Et  enfuyuant  l'art  différent 
Rend  lobgedt  faulx  ou  apparent.  67 

On  veoit  en  vng  miroer  fragile 
Vne  figure  en  rendre  mille 
Ayant  femblable  qualité. 
On  le  fai£t  par  noualitej69 
Grauant  au  miroer  cent  paffages 
S'on  veult  qu'il  y  ait  cent  vifages  , 
Et  toutesfois  n'en  fera  qu'ung 
Qui  fefpartira  par  chafcung. 


20 

On  faid  d'aultres  miroers  horribles 
Ou  Ion  veoit  des  chofes  terribles^ 
L'antiquité  les  a  congnus  , 
Et  offertz  au  temple  a  venus  7o 
(Si  ce  n'efl:  fi(5lion  ou  baue)7i 
On  peult  faire  vn  miroer  concaue,  7a 
Bas,  efleue,  oblique,  ou  droi«5l. 
On  en  feroit,  qui  le  vouldroit 
En  toute  figure  &  manière. 
Mais  il  n'y  a  que  la  lumière 
Ou  lueur  du  verre  &  fubie(5l 
Qui  repretente  au  vray  lobged. 
L'umbre  que  la  clarté  n'endure 
Renuoye  à  l'œil  cefle  figure. 
Comme  ie  fcay,  par  la  leçon 
Des  naturelz,  73  mais  la  façon 
De  tailler,  de  grauer,  &  rompre 
Peult  Ihumain  iugement  corrompre 
Et  rendre  vng  miroer  incertain. 

Honneur,  ce  propos  trop  haultain  74 
Faidl  tomber  de  ma  main  la  plume ^ 
Et  feu  nouueau  du  dueil  mallume  75 
Affin  que  ie  regrette  en  vers 
Ce  miroer  qui  gift  à  lenuers 
Miroer  de  toute  honnefte  femme, 
Miroer  fans  macule  ou  diffame 
Miroer  du  sexe  fœminin  , 
Miroer  exempte  du  venin 
Et  d'imbecilite  humaine 
Rendant  clarté  de  miroer  vaine  , 


21 

Miroer  antique  &  louuerain, 
D'eftain,  entremefle  d'arain,  76 
Miroer  de  matière  argentée 
De  façon  nouuelle  inuentee.  77 

Miroer  plus  beau  a  l'œil  des  clercz  ou  lays 
Que  le  miroer  que  feit  Praxiteles, 
Graueur  expert,  au  temps  du  grand  Pompée,  7» 
Miroer  d'acier,  ou  face  n'eft  trompée, 
Miroer  ardent  que  Sydon  inuenta,  79 
Miroer  qui  onc  fon  luftre  n'efuenta 
Pour  le  regard  de  perfonne  enuieuie, 
Miroer  remply  de  grâce  gracieuse, 
Miroer  d'amour,  tant  charte  et  bien  reigle 
Qu'vng  feul  amant  ne  f'y  eft  aueugle.  so 

Doy  ie  finir  (amour  de  me  complaindre 
De  cefte  mort,  qui  a  voulu  effaindre, 
Rompre,  et  brifer  par  accident  maling 
Ce  beau  miroer  de  luyfant  criflallin, 
Certain  refuge  a  francoyfe  nobleffe  ? 

Grâces,  fi  tant  cefte  perte  vous  bleffe  ? 
Quittez  iardins,  et  voz  iolys  manoirs. 
Venez  en  dueil,  et  en  veftemens  noirs. 
Pour  regretter  cefte  francoyfe  dame, 
Qu'aprez  la  mort  vofîre  miroer  ie  clame. 
Quant  eff  à  moy  ?  qui  tant  en  mon  cueur  lay 
le  vous  requier  contre  mort  faire  vng  lay.  si 


o 


22 

Les  Grâces,  en  lay. 


mort,  tu  as  donc  la  dame, 

Q'honneur  clame, 
Miroer  de  ciuilite. 
Falloit  il,  o  mort  infâme, 

Prendre  femme 
De  tant  noble  qualité? 
Faut  il  que  mortalité 

Villire 
Et  ce  qu'en  nature  on  blafme. 
Rompent  par  fragilité 

Dignité, 
D'ung  corps  fans  blafme  ou  diffame? 

Dieux  haultains  du  celefte  empire 

Quel  mal  pire 
Euft  fceu  par  mort  France  efprouuer  ? 
Fault  il  de  rechef  ce  mal  dire. 

Et  redire 
Pour  fon  dueil  encore  aggrauer? 
Dieux,  vous  auiez  voulu  grauer 

Et  lauer, 
Le  miroer  que  France  foufpire, 
Maint  cueurz  on  en  verra  creuer 

Ou  greuer 
Car  ce  grant  mal  la  France  empire. 

Créature  mainte 
En  fai6l  fa  complainte 
Et  non  fans  raifon, 


23 

Car  la  dame  plainte 
Par  la  mort  eftainte 
Eftoit  de  maifon 
Hors  comparaifon 
Noblement  attainte, 
Qui  faid  que  fans  fainte 
Mortelle  poifon, 
A  France  contrainte 
D'en  faire  orailon.  82 

Laéteur. 
Vêla  cornent  les  troys  Grâces  diuines 
Que  Je  copare  aux  grâces  féminines 
Pour  cel^e  morte  ont  fai(n:  en  temps  fubit 
Change  de  lieu,  &  de  face  &  dhabit. 
Change  du  lieu,  ou  conuerfent  les  Muies,  sô 
Pour  habiter  noz  places  tant  confufes, 
Change  de  face,  &  de  maintien  ioyeux. 
En  regard  trifte,  &  vifage  ennuyeux^ 
Change  d'habit,  &  de  blanche  veflure 
En  noir  de  dueil  fafcheufe  couuerture. 
En  tel  habit  fe  vindrent  tourmenter 
Et  cefte  dame  en  vng  lay  lamenter 
Ce  lay  parfaifl,  fe  font  efvanouyes^ 
Depuis  en  France,  on  ne  les  a  oyes. 
AufTy,  honneur  vng  peu  deuant  Peft  teu. 
Non  pas  qu'en  France  il  n'euft  plus  de  vertu  : 
Mais  pour  mieulx  plaindre  et  regretter  la  dame 
Que  chafcun  plaint  fans  exception  d'ame. 

O  donc  Francoys,  &  vous  dames  francoyfes 
Continuez  voz  pleurs^  voz  plain<5tz_,  vos  noyfes  «* 


24 
Contre  la  mort^  &  contre  haultains  dieux, 
Dames  de  court,  damoyfelles_,  bourgeoifes,  sk 
Plorez  la  mort  dvne  des  plus  courtoifes 
Qu'honneur  francoys  meift  oncques  en  fes  lieux. 
Plore  Bretaine^  &  û  tu  ne  peulx  mieulx 
Faidz  que  par  brui6l  et  grande  renommée 
La  dame  foit  en  ta  terre  nommée, 
Et  lors  chafcun  oyant  ce  bruid  bruyant 
Se  fouuiendra  que  mort  a  confummee 
La  flœur  d'honneur  dedens  challeaubriant. 

O  nobles  cueuis  plains  de  doulceur, 
Monfieur  de  Lautrec^  &  fa  fœur 
Pour  le  prefent  de  Laval  dame,  si 
Ce  mal  de  maint  cueur  aggreffeur 
Vous  touche  il  point?  Oui  :  i'en  fuis  feur  st 
Et  vous  naure  de  corps  et  d'ame, 
Car  celle  qui  gift  foubz  la  lame. 
Eut  iadis  de  vous  deux  ladueu 
D'amour,  de  niepce,  &  de  nepueu,  88 
Qu'elle  a  inftruidz  par  longue  efpace.  S9 
le  n'en  feray  ferment  ne  veu. 
On  le  congnoift  a  voftre  grâce. 

O  gentil  cueur,  de  noble  lang  &  race. 
Verras  tu  d'œil,  fans  dueil  que  mort  terrace 
Vng  corps  extraid  de  tienne  parente  ? 
O  ieune  corps,  ou  lesprit  plain  de  grâce 
Rend  vng  efpoir  de  paternelle  audace 
Sur  qui  tu  as  vouloir,  &  cueur  ente. 
Ton  père  mort,  de  fes  biens  ta  rente 
Tant  feullement  par  faulte  de  ton  aage,  »« 


25 
Mais  cefte  dame  eftant  de  ton  lignage 
T'a  fur  la  race  en  vertu  ennobly, 
Par  quoy,  feras  accomply  perfonnage 
Si  tu  ne  medz  ce  bienfaicl  en  oubly. 
As  tu  lailTe  a  cefte  mort  ta  tante  91 
Dame  d'honneur,  niepce  forte  et  confiante, 
Loyalle  efpoufe  au  feigneur  de  Laual  ? 
Je  crois  que  non_,  &  que  n'eftois  diflante 
D'elle,  quant  mort  aux  humains  fort  nuyfante 
Du  droift  qu'elle  a  tant  a  mont  côme  a  val , 
La  rauifl  hors  de  ce  terreffre  valj 
S'ainfy  eft  donc,  faidz  pour  elle  tes  plaintes 
Puifque  tu  as  par  elle  grâces  maintes 
Et  qu'elle  t'a  fi  bien  nourrie  vng  temps , 
Que  maintenant  tu  as  au  cueur  empraintes 
Mille  vertus,  ainfy  qu'au  vray  ientendz. 
Que  refle  il  plus  ?  que  toute  dame 
Vienne  plorer  fur  cefte  lame. 
Et  que  les  vues  par  leur  crys  , 
Les  aultres,  par  fimples  efcriptz 
En  laiffent  la   mémoire  au  monde. 
De  moy  ?  par  faulte  de  facunde 
le  voys  faire  conclufion,  92 
Pour  euiter  confufion 
Du  trouble  cloz  en  voz  penfees, 
Qui  vous  rend  en  cUeur  offenfees, 
le  vous  pry  donc  pour  l'aduenir, 
Auoir  mémoire  &  fouuenir 
Qu'a  voftre  grant  defauantage 
Cefte  dame  eft  morte  auant  aage  ,  93 
Et  eut  tout  biens  ,  fors,  grande  part 


26 

De  viure,  auant  le  lien  départ 
Que  mort,  ou.  len  ne  remédie 
Luy  hafta  d'une  maladie.  94 
O  !  mort,  mefchante  de  rechef 
Dauoir  par  vng  û  grani  mefchet" 
;Dont  tu  veulx  eftre  coutumiere) 
Eftaind  des  femmes  la  lumière, 
Vne  dame  de  tel  fcauoir 
Qu'on  la  veift  en  noblelTe  auoir 
Toute  la  fcience  en  la  lefie  9s 
Que  pourroit  auoir  dame  honneffe. 

le  puis  bien  efcrire  en  ce  lieu 
Que  du  defir  quelle  euft  a  dieu 
Enfuyuit  par  dodrine  faine 
Vne  Katherine  de  Seine,  oe 
G'eftoit  une  cornelia. 
Ou  vne  doiSle  Loelia,  97 
Pour  adioufter  fans  arrogance 
Au  beau  parler  plus  delegance, 
l'entendz  au  françoys  tant  humain  9s 
Gomme  ces  deux,  a  leur  rommain , 
Encor  ie  faulx,99  veu  qu'il  me  femble 
Qu'elle  auoit  ces  deux  ioindz  enfemble  , 
Vng  moyen  langage  latin, 
A  litalien  de  Laertin,  100 
Et  pour  vng  tiers  &  beau  langage 
Parloit  efpaignol  dauantage,  loi 
Que  tant  bien  fcauoit  annuncer 
Qu'on  n'euft  fceu  mieulx  le  prononcer. 
De  ces  troys  ,  quant  bien  ie  m'aduife 
La  dame  auoit  mainte  deuife  102 


27 

Qu'on  luy  feift  fi  bien  expliquer 
Qu'on  n'y  fcauoit  que  répliquer. 
le  feray  par  expérience 
Tefmoing  de  la  haulte  fcience. 
l'en  puis  bien  dire  a  mon  aduis 
Ce  que  ien  fcay  par  fon  deuis , 
Auquel  trouuay  auec  fortune ^ 
En  fon  viuani  heure  opportune  103 
Tant  que  i'oy  par  plufieurs  foys, 
La  dame  françoyfe  de  poix 
Parler  de  plus  haulte  pratique 
Que  Sapho  en  l'art  poétique  1 04 
Ou  que  la  MOufche_,  qu'on  defcrit 
Auoir  eu  û  gentil  efprit^ 
Qu'entre  poètes  eft  nombree  los 
Ou  ThelefiUe  célébrée 
D'antique  rethoricien  loe 
Qui  di£l,  que  le  pœuple  ancien 
Luv  a  ftatue  couronnée 
Au  temple  de  venus  donnée  , 
Ou  que  la  fage  cafîandra , 
Que  le  roy  troyen   engendra. 
Laquelle  eft  efleuée  en  throne 
Au  temple  de  Lacedemone.  io7 

Bref  ie  craingz  d'eftranger  raifon 
Par  trop  longue  comparaifon,  108 
Qui  fourd  en  l'efprit  tant  plain  d'ire 
Que  plus  ne  fçait  qu'efcryre  ou  dire. 
Sinon,  que  mort  par  vng  feul  coup 
A  fai£l  du  dommage  beaucoup. 
Quant  pour  vne  a  mys  en  fouffrance 


28 
Tout  l'honneur  fœminin  de  France. 

Dixain  de  la  dame  comparé^  au  miroer. 

Cy  gifl:  le  verre^  &  miroer  reluylant 

Ou  mainte  dame  a  fa  grâce  efprouuee 

Vn  luftre  auoit  de  criftallin  plaifant 

Dont  fut  fa  forme,  aux  dieux  digne  trouuee 

Deftre  en  leur  ciel  crifîallin  efleuee. 

Or  prenons  donc^  vng  verre,  pour  vng  corps 

Et  vng  criftal,  pour  efprit  fans  difcordz. 

Le  verre  indigne,  enfuyt  criftal  tant  digne 

Parquoy  ce  corps ,  foubz  cœlefles  accordz  loo 

De  terre  eftant  fuyvra  lame  diulne. 

Autre  dixain  pour  epitaphe  du  dicl 
miroer  des  Dames. 
Soubz  ce  tumbeau  gift  vng  miroer  calïe 
Au  grant  regret  de  maintelionnefte  dame. 
«Jui  corrigea  par  luy  au  temps  palTe 
Mainte  macule  autant  de  corps  que  d'ame. 
Or  maintenant  eft  en  deux  partz  fans  blafme, 
Car  le  corps  tendre,  icy  tumbant  bruyant 
Feit  retentir  lair  de  chausteaubriant 
Quant  mort  fendift  de  ce  miroer  la  glace. 
Et  l'efprit  vif,  pour  le  corps  va  priant 
Qu'au  ciel  reface  aultre  miroer  par  grâce. 

Quatrain, 

Ce  miroer  par  la  mort  call'e 
Euft  clere  fubftance  &  tant  pure 
Quil  ne  cela  onc  vne  ordure 
Tache  ou  macule  au  temps  palle. 


29 

Diftichon  eiufdem  autoris. 

Forma,  hdes,  &.  amor,  muliebris  fplendor  honoris 
Francifca  hoc  tecum  funt  tumulata  loco. 

Traduction  par  luy  mefmes. 

Honneur  de  femme,  amour,  foy  &  taint  beau 
Sont  avec  toy,  Francoyfe,  en  ce  tumbeau. 

Eiufdem  ad  feipfum. 

Fœhcem  fortuna  facit  Francifce  fidelem 
Francifcam_,  faciet  fama  futura  fidem 

Fatales  frangens  forti  fragore  fauillas  Ho 
Fert  lontem  feretro  fœmina  faufta  faui  1 1 1 

Florida  florenti  florefcens  Francia  flore 
Fortiter  hoc  funus  flendaqz  fata  feret. 

Exaftichon  de  eadem  Francilca 
poft  obitum,  per  Hugeriû.  "'- 

iMagnus  Aiexander  fœlicem  dixit  Achillem 
Illum  quem  célèbrent  attica  fcripta  virum,  iin 

Tu  quoqz  pofl:  mortem,  fœlix  Francifca  videris  , 
Ipfa  fagontino  carminé  viua  manens. 

Te  merito  laudat,  virtutum  fumma  tuarum 
Digna  eft  quam  cœlo  fecula  longa  ferant. 

VELA   DE   QUOY,  US 


NOTES 


SUR   LE   TEXTE   DU  POÈME  DE   SAGON. 


NOTES 


SUR  LE  TEXTE  DU  POEME  DE  SAGON. 


'  Par  Francoys  de  Sagon ,  secrétaire  de  labbe  de  Sainct 
Eburoul. 

Une  note,  mise  sur  la  marge  de  la  première  page  du  Manuscrit, 
d'une  autre  écritiire  que  le  reste,  et  manifestement  bien  postérieure, 
est  ainsi  conçue  :  «  Cet  abbé  avoit  nom  Félix  de  Brie,  des  seigneurs 
de  Serrant,  en  Anjou.  Il  étoit  aussy  doyen  de  S.  Julien  du  Mans  ; 
S.  Evroul  est  au   Diocèse   de   Lizieux.  »  (Voir  aussi  l'Introduction, 

p.  «2). 

2.  Ce  mot  Acteur  s'employait  alors  pour  Auteur,  comme  on  le  voit 
constamment  dans  les  Epitres  familières  de  Jean  Bouchet,  ami  et 
contemporain  de  Sagon. 

I?.  Pour  veoir  de  coeur  vostre  mirouer  casse. 

Le  Manuscrit  ne  porte  pas  ici  ni  ailleurs  d'accent  aigu  sur  l'é 
final  de  cassé,  bien  qu'il  ait  «  prolation  masculine  »,  comme  le  di- 
sait, à  cette  époque,  Etienne  Dolet,  dans  la  Pvnctvation  de  ta  langve 
f'rancoyse.  «  La  lettre  appellée,  e,  a  double  son,  et  prolation  en  Fran- 
coys. La  première  est  dicte  masculine  :  et  l'aultre  féminine.  La  mas- 
culine est  nommée  ainsi,  parce  que,  é,  masculin  a  le  son  plus  virile, 
plus  robuste  et  plus  sonnant.  D'aduantage,  il  porte  sur  soy  vue  virgule 
ung  peu  inclinée  a  main  dextre,  comme  est  l'accent  appelle  des  Latins 
aigu,  ainsi,  é.  Exemple.  Il  est  homme  de  grand'  bontO,  priuaulté, 
1 


Z  NOTES. 

familiarité,  etc.»  Dolet  posait,  en  1540,  cette  règle,  que  Sagon  n'a 
point  observée,  en  écrivant  son  poème  vraisemblablement  deux  ou 
trois  ans  auparavant. 

4.  France  a  perda  son  reiglet  compassé. 

Une  règle  sur  laquelle  les  dimensions  ont  été  tracées  à  l'aide  dn 
ompas,  c'est-à-dire  une  règle  exacte  et  invariable. 

5.  Par  les  hanitz  boys  deseonforier  m'en  roys. 

Desconforler  est  pris  dans  le  sens  réfléchi  de  se  déconforter ,  plu? 
usité,  c'est-à-dire  s'affliger  démesurément. 

Quant  à  M'e?i  voys,  rimant  avec  voix,  il  prouve  que  telle  était 
l'ancienne  prononciation  de  voys,  notre  vais  d'aujourd'hui^ 

6.  Sans  empirer  le  miroùer  ou  mirer- 
Denbst  aspirer  l'œil  de  l'honneste  femme. 

Le  sens  est  que  Françoise  de  Foix  est  le  miroir  où  l'œil  de  l'hon- 
nête «  femme  devait  aspirer  à  se  mirer.  »  Où  et  à  n'ont  point  d'ac- 
cent chez  Sagon. 

7.  Pasythea  première  grâce. 

Pasithée,  fille  de  Jupiter  et  d'Eurynome,  était,  selon  quelques 
auteurs,  la  première  des  Grâces.  On  l'appelait  aussi  Aglaé. 

8.  Raison  n'est  qae  merveille  on  face 
D'nn  corruptible  corrompu. 

Cela  veut  dire  :  «  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  de  ce  que  le  corps 
de  cette  dame,  malgré  toutes  ses  perfections,  ait  été  frappé  par  la 
mort,  puisqu'il  était  destiné  à  mourir.  » 

9.  Fors  que  le  coup  par  la  mort  aiiance  (avancé). 

Née  vers  H95,  morte  le  16  octobre  1537,  à  quarante  et  quelques 
années,  Françoise  de  Foix  peut  bien  passer  pour  victime  d'une 
mort  prématurée. 


NOTES.  6 

10.  Egiale   seconde  grâce. 

On  écrivait  habituellement  ^Egiale  ou  /Egialea,  d'après  l'étymo- 
logie,  d'où  Egialée  aujourd'hui. 

11.  Tandysqu'en  France  on  fera  cas  d'honnenr. 

«  Tans-dis  {tantos  dies)  est  un  accusatif  absolu,  comme  tous-jours, 
et  ne  peut  pas  plus  que  toujours  être  suivi  de  que.  Tandis  que  est 
une  absurde  invention  du  tyran  Vaugelas.  Jusqu'à  lui,  personne  ne 
s'était  avisé  de  joindre  que  à  tandis.  »  Des  variations  du  lan- 
gage FRANÇAIS  DEPUIS  LE  xip  SIÈCLE,  par  F.  Génin,  note  2  de  la 
page  2'»l.  —  L'exemple  ci-dessus  le  montre;  l'emploi  du  que  con- 
testé est,  de  plus  d'un  siècle ,  antérieur  à  Vaugelas  ,  et  il  est  lo- 
gique, puisque  la  phrase  complète  serait  en  latin  :  «  Tantos  dies 
quantos,  etc. 

12.  Et  le  plaisir  du  juste  guerdonneur. 

Celui  qui  récompense,  nom  formé  du  mot  guerdon,  et  plus  ancien- 
nement du  mot  guerredon,  récompense.  On  trouve  encore  guerdon- 
ner,  au  xvii*  siècle,  chez  Scaron  et  La  Fontaine. 

13.  S'il  en  faict  tort?...  s'il  n'en  faict  tort? 

L'habitude  de  l'auteur,  ou  de  son  copiste,  était  de  mettre  ainsi  un 
point  d'interrogation  à  la  fin  des  phrases  oîi  figurait  le  mot  si,  quel 
qu'en  fût  le  sens.  —  La  ponctuation  générale  de  ce  passage  n'aido 
guère  à  le  rendre  intelligible.  11  semble  qu'après  les  mots  puissance 
et  renom,  il  faudrait  un  point,  au  lieu  d'une  virgule,  pour  avoir  un 
sens  à  peu  près  plausible. 

14.  La  mesmes  grâce. 

«  Autrefois  le  mot  même,  adverbe  ou  non,  avait  toujours  Vs  à  la 
tin.   Les  poètes,  à  qui  l'on  accordait  tant  de  libertés,  avaient  celle 


4  NOTES. 

de  garder  ou  Je  retrancher  cet  s.  Villon,  dans  une  de  ses  plus  jolies 
ballades,  offre  l'exemple  de  l'une  et  de  l'autre  orthographe.  » 

Des  variations  du  langage  français,  par  F.  Génin,  p.  loi. 

L'auteur  cite  le  refrain  de  la  ballade,  sous  ces  deux  formes  : 

Je  connoy  tout,  fors  que  moy  mesme. . . . 
Je  connoy  tout,  fors  que  inoy  mesines. 

Tel  est  le  texte  des  anciennes  éditions,  suivant  que  mesmes  rime 
avec  un  nom  singulier  ou  pluriel. 

Marot,  donnant  à  Marguerite,  sœur  de  François  1,  qui  fut  depuis  la 
^a  célèbre  reine  de  Navarre,  des  nouvelles  du  camp  d'Altigny  (l52lj, 
dit,  en  parlant  des  beaux  hommes  qui  s'y  trouvaient  : 

Il  semble  que  Nature 
Leur  ait  donné  corpulence,  et  facture 
Anssy  puissante,  avec  le  cuenr  de  mesmes. 
Pour  conquérir  sceptres,  et  diadesmes. 

OEUVRES  DE  Marot,  édition  de  Niort,  1596,  p.  130. 

15.  De  conformer  par  gracieux  accord,  etc. 
Calmer,  apaiser,  arranger  le  différend. 

16.  Le  différent  et  maint  trouble  et  di.scord 
Qu'on  veoit  mounoir  pour  la  grâce  des  dames. 

Il  fait  allusion  à  un  ouvrage  de  Jean  Bouchet,  son  ami  :  Le  liige- 
inent  poeiic  de  l'honneur  féminin  et  seiour  des  illustres  claires  et  lion- 
nestes  Dames  par  le  Trauerseur.  —  Imprimé  à  Poictiers  le  premier 
d'Auril  M.DXXXVIII,  par  Jehan  et  Enguilbert  de  Marnef  frères.  » 
—  Dans  l'Apologie  de  l'auteur,  qui  est  fort  longue,  il  dit  :  «  Je  pro- 
teste en  premier  lieu  ne  vouloir  préférer  l'honneur  des  femmes  à 
celuy  des  hommes  mais,  toute  affection  cessant,  garder  a  chacun 
son  ordre;  et  montrer  que  le  sexe  féminin  est  a  honnourer  en  son 
ordre  et  qualité  comme  le  masculin.  »  Et  pour  le  prourer,  il  cite 
toutes  les  femmes  célèbres  de  l'antiquité,  de  l'Ecriture  sainte  et  de 


NOTES.  5 

tous  les  temps  et  de  tous  les  pays,  en  les  faisant  parler  dans  une 
Epigramme  de  quatorze  à  seize  vers  français. 

Il  y  a  même  ua  chapitre  intitulé  :  «  Des  inconueniens  aduenus  a 
aulcuns  qui  onl  viesprise  les  Dames  et  dctraicte  dicelks.  Ue  plus  on  y 
trouve  une  «  Inuectiiie  contre  ceulx  qui  blessent  l'honneur  des 
dames  ». 

Ce  Rarissime  ouvrage  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale  Y,  4536. 
A.  Réserve  (I  vient  à  la  suite  d'un  autre  du  même  auteur  :  Des 
angoijsses  et  remèdes  damours  du  Trauerseur  en  son  adolescence. 
Imprimé  a  Poictiers  le  huytiesme  iour  de  Janvier  M.DXXXVI  par 
Jehan  et  Enguilbert  de  Marnef  frères.  •>  Un  petit  in-4°. 

17.  Le  diea  Moiniis  qai  reprend  et  qui  mord. 

On  disait  Momus  fils  du  Sommeil  et  de  la  Nuit,  et  dieu  de  la  rail- 
lerie et  de  bons  mots.  Son  nom  venait  du  grec  M«//of ,  moquerie, 
d'où  Momerie,  mascarade,  —  ces  deux  noms,  Momus  et  Momerie, 
étaient  fort  usités  au  XVI*  siècle.  N.  Bourbon,  faisant  l'éloge  des 
œuvres  de  Marot  à  dit  : 

Hic  nihil  est,  qaod  non  sic  eliraaverit  Autor, 
Vt  metuat  Momi  jndicis  ora  nihil. 

Edit.  de  Marot,  1596. 

18.  Le  diea  Momas  qni  reprend  et  qui  mord 
En  ceste  mort  faindra  mesditz  et  blasmes. 

On  a  ici  une  rimebatelée,  propre  aux  vers  de  dix  syllabes,  inventée 
par  Jean  Molinet  de  Valenciennes,  au  xv*  siècle.  Elle  a  lieu,  quand  la 
fin  d'un  vers  rime  avec  la  césure  du  mot  suivant,  mord  et  mort.  On 
la  retrouve  assez  fréquemment  dans  les  poésies  de  Marot. 

Faindra  doit  s'entendre  dans  le  sens  du  latin  Fingel,  imaginera, 
inventera  faussement  calomnies  et  blasphèmes,  à  propos  de  cette 
mort,  non  pas  contre  le  mari,  comme  Varillas  le  fit  cent  cinquante 
ans  plus  tard,  mais  contre  la  morte,  elle-même,  dont  Sagon  va  faire 
l'éloge.  Voir  l'Introduction,  pages  5G-58. 


0  NOTES. 

19.  Car  mort  votre  exemplaire  a  pris. 
Du  latin  exemplar,  type,  modèle. 

20.  Qui  deffîoit  tout   blasonneur. 

«  Blasonneb,  se  disoit  autrefois  pour  signifier,  parler  de  quelqu  un, 
le  décrire  avec  ses  bonnes  ou  mauvaises  qualités,  et  particulièrement 
pour  médire.  »  Dictionnaire  de  Trévoux.  Ici,  il  a  plutôt  le  sens  de 
critique  ou  de  censeur. 

21.  Par  quelque  envieux  trop  aose  (osé). 

Envieux  étant  de  trois  syllabee,  le  vers  serait  faux,  si,  par  diérèse, 
on  en  faisait  également  trois  de  aose.  Au  xvi®  siècle,  quand  cet  a 
figurait  sur  le  papier,  c'était  par  habitude  ;  on  n'en  tenait  pas  compte 
pour  le  nombre  de  syllabes.  «Nous  l'escrivons  encore  en  saoler,aorner, 
là  où  il  n'est  nulle  mémoire  de  Va  en  la  prononciation,  »  Meygret, 
Traité  touchant  le  commun  usage  de  l'Ecriture  française,  1542.  Il 
faut  remarquer  que  le  contraire  est  arrivé  pour  l'o  dans  Laon^ 
paon,  etc. 

22.  Cestoit  une  Laodamie. 

Laodamie  épousa  Protésilas,  roi  d'une  partie  de  la  Thessalie.  Son 
époux  ayant  été  tué  par  Hector,  au  siège  de  Troie,  elle  fit  faire  une 
statue  qui  lui  ressemblait,  afin  de  jouir  au  moins  de  l'image  d'un 
mari  adoré.  Acaste,  son  père,  voulant  lui  épargner  un  spectacle  qui 
alimentait  sa  tristesse,  fit  soustraire  la  statue.  Désespérée  de  cette 
seconde  perte,  elle  se  jeta  dans  le  feu,  et  y  perdit  la  vie. 

23.  Cestoit  Portia  la  rommaine. 

Porcia,  fille  de  Caton  d'Utique,  épouse  en  premières  noces  de 
Bibulus  et  ensuite  de  Brutus,  se  rendit  célèbre  par  son  esprit,  par 
son  courage  et  par  sa  vertu.  Toute  dévouée  à  Brutus,  elle  ne  voulut 
pas  lui  survivre.  Ses  parents  et  ses  amis  lui   ayant  ôté  toutes  les 


NOTES.  7 

armes  capables  de  lui  nuire,  elle  avala  des  charbons  ardens,  dentelle 
mourut,  l'an  42  avant  J.-C. 

24.  Tous  ces  éloges,  donnés  aux  femmes  vertueuses  de  l'antiquité, 
ne  conviennent  pas,  au  même  degré,  à  la  comtesse  de  Chateaubriand, 
que  notre  poète  leur  compare.  La  véridique  histoire  est  là  pour 
démontrer,  une  fois  de  plus,  que  «  Comparaison  n'est  pas  raison.  » 
Voir  l'Introduction,  pages  51-55. 

25.  C'est  son  amoar  qui  me  remord. 

C'est-à-dire  me  cause  du  regret, du  tourment,  me  tient  au  cœur, 
dans  le  sens  où  Virgile  a  dit: 

Qaando  haec  te  cnra  remordet. 
E^ÉÏDE.  I.  265. 

26.  A.  conduite  en  terrestre  lame. 

Du  latin  lamina,  la  plaque  de  métal  destinée  à  recevoir  l'Epi- 
taphe,  et  prise  pour  le  tombeau  lui-même. 

Marot  a  dit,  dans  une  de  ses  Epitres,  en  recommandant  un  petit 
tailleur  à  Anne  de  Montmorency  : 

Mais  son  estât  dessous  la  dure  lame 
Fnt  enterré  avec  la  bonne  Dame. 

27.  Mes  sœurs,  portons  Iny  rose  et  balsme. 

De  balsam,um,  baume.  Marot,  rejetant  la  lettre  étymologique  /,  a 
toujours  écrit  Basme. 

Car  son  alaine  odorant  plus  que  basme, 
Souffloit  le  feu  qu'Amour  m'a  préparé. 

Sagon  l'a  imité  dans  la  rime  embasme,  qui  vient  immédiatement. 

28.  Meurte  et  cyprez  à'amccnite. 

Meurte  vient  du  latin  Myrtus,  myrle.  —  Amœnite,  à  cause  du  latin 
Amû?nus. 


8  NOTES. 

29.  Puisque  ce  corps. ...   est   desparty.... 

De  fragile  mondanité. 

C'est-à-dire,  est  sorti  de  ce  monde,  où  la  fragilité  de  l'homme  est 
exposée  à  tant  de  périls. 

30.  Je  le  nomme  en  votre  imite 

En  me  joignant,  en  munissant  à  vous,  de  façon  que  l'avis  sera 
unanime.  —  Unitas,  tatis,  dans  le  latin  de  l'Ecriture. 

31.  Et  lamentant  dedens  Chatteaubriant. 

Aujourd'hui  Chdteaubrianl,  au  nord  du  dépar'  de  la  Loire-Inférieure, 
chef-lieu  d'arrondissement,  dans  la  Haute-Bretagne.  —  L'orthographe 
Chateaubriand,  pour  désigner  la  personne,  a  prévalu. 

32.  Ou  en  vioant  portait  tiltre  de  dame. 

On  l'appelait  :  Dame  de  Châteaubriant,  comme  on  le  voit  en  tête  de 
ce  poème,  à  cause  de  son  mariage  avec  Jean  de  Laval,  comte  de 
Châteaubriant.  Voir  l'Introduction  p.  39. 

33.  Le  dueil  qui  sort  de  galloise  bretaigne. 

L'Armorique,  plus  tard  Bretagne,  ayant  servi  de  refuge  à  une 
notable  partie  des  Gaulois,  lors  de  l'invasion  romaine,  la  langue  cel- 
tique, la  langue  indigène  des  Gaulois,  s'y  était  conservée,  en  dépit 
de  la  pression  romaine,  et  malgré  l'invasion  germanique  du  v*  siècle. 
C'estdulalinet  de  l'idiome  germanique  que  naquit  le  français.  Mais  le 
français  fut  arrêté,  du  côté  de  l'Armorique  ou  Bretagne,  par  les  popu- 
lations celtiques  qui  conservèrent  le  langage  indigène.  De  là  vient 
l'épithèle  de  galloise,  (galiicus,  gaulois)  appliquée  à  la  Bretagne,  pour 
sa  langue  et  pour  sa  population.  On  sait  que,  <•  les  représentants 
modernes  du  celtique  sont  le  bas-breton  dans  l'Armorique  (Bretagne 
française),  le  gallois  ou  Kimry  dans  le  pays  de  Galles  ou  Angleterre, 
le    gaélique    dans   les   hautes    terres    d'Ecosse   et  de    l'Irlande.   » 


NOTES.  V 

M.  E.Littré,  DiCTiONNAiBE  DE  LA  i,A.\uuE  FKWÇAisE,  Complément 
de  la  préface,  t.  I,  pages  XLVI-XLVIII. 

34.  Tesraoing  Sepeaux  la  damoyselle.  \ 

L'indication  trop  vague  ne  permet  guère  de  désigner  la  dame  de 
cette  famille  que  Sagon  a  en  vue.  On  peut  y  voir  Renée  Le  Roux, 
fille  de  Jean  Le  Roux,  Seigneur  de  Chemans,  et  qui  avait  épousé 
François  de  Soepeaux,  Seigneur  de  Vieilleville  et  futur  maréchal 
de  France,  «  qui  fut  lieutenant  de  la  compagnie  de  gendarmes  de 
Jean  de  Laval,  Seigneur  de  Chateaubriant.  »  Le  P.  Anselme,  Grands 
Officiers  de  la  couro?ine,  t.  VU,  p,  223,  édition  de  1726-1C33.  On  a  vu 
que  Sagon,  en  relation  avec  la  famille  des  Seigneurs  de  Chemans, 
avait  fait  l'éloge  funèbre  d'un  de  ses  membres.  Introduction,  p.  29. 

33.  un  moys  auant  sa  mort 

En  sa  doulceur  me  donna  grant  confort 
Contre  leffort  de  marotins  alarmes. 

C'est  donc  en  septembre  1537  que  la  comtesse  de  Chateaubriand 
soutint  et  consola  Sagon,  au  plus  fort  de  la  lutte  qu'il  avait  impru- 
demment engagée  contre  Marot  et  ses  partisans.  Leurs  attaques 
sans  nombre,  en  français  et  en  latin,  ne  lui  laissaient  guère  de  re- 
lâche à  cette  époque.  Voir  l'Introduction, pages  13-19. 

35  bis.  Dont  son  remars  ennoye  en  mes  yeulx  larmes. 

Du   latin   rememoralio,  le  ressouvenir.  Ainsi  Marot  a  dit  : 

Mais  quand  de  Mort  le  remors  farienx. 

Rondeau,  Edit.  de  1596,  p.  348. 

S'j-  Mais,  paisqn'attaindre  a  son  honneur  convient. 

Encore  un  mot  pris  dans  le  sens  du  latin  allingere,  avec  la  signi- 
lication  de  toucher,  aborder  un  sujet,  comme  le  poète  s'empresse  de 
l'expliquer  en  parenthèse,  l'expression  atleindre  à  l'honneur  ayant 
un  sens  fâcheux  qui  n'est  pas  le  sien. 

2 


10  NOTES. 

37.  Premier,  elle  avoit  le  cuear  miinde. 

«.•"esl-à-clire  pur,  du  latin  inundiis,  a,  wn. 

38.  Et  voos  ferez  apparceuoir. 

Ce.  mot  esl  écrit,  comme  on  le  prononçait  alors,  à  la  mode  ila- 
lioniie.  »  Quand  le  vieux  Léonard  de  "Vinci  parut  à  la  cour  de  Fran- 
çois I,  malgré  ses  quatre-vingts  ans,  il  fit  tourner  toutes  les  tètes. 
Tout  fut  à  l'italienne.  On  s'habilla,  on  se  rasa,  on  se  coiffa,  on  dansa, 
on  salua,  on  parla  même  français  à  l'italienne.  Belles  dames,  cour- 
lisans,  filles  dhonneur,  valets  de  chambre,  s'évertuèrent  à  désap- 
prendre le  gentil  parler  de  l'ancienne  France.  On  affectait  de  dire 
alors  clioiise  pour  chos^,j' allons  pour  nous  allons,  Piarre,  Robari  âu 
au  lieu  de  Pierre,  Roberl.  »  La  satire  en  France  au  xvi»  siècle, 
par  C.  Lenienl,  1866,  in-8°,  p.  543.  —  Cette  substitution  de  l'a  à  Ve 
dans  l'écriture,  pour  la  conformer  à  la  prononciaîion,  se  retrouve 
Jjien  plu?  fréquemment  dans  les  œuvres  de  Ral^elais. 

39.  le  prendra  y  en  Poli  tien. 

Ange  Ambrogini,  dit  Poliiien,  parce  qu'il  était  né  à  Monle-Pul- 
liano,  d'où  son  nom  italien  de  Poliziano,  francisé  en  Poliiien,  cé- 
lèbre littérateur  italien,  né  en  1454,  mort  en  1498,  fut  protégé  par 
Laurent  de  Médicis,  dont  il  éleva  deux  fils.  II  parle  de  Gassandre 
ridèle  dans  le  recueil  de  ses  Lettres,  en  douze  livres.  Le  tome  I  de 
l'édition  de  ses  œuvres,  Angeli  Politiani  opéra,  Lvgdvni  apud 
Seb.  GrijpMvm,  1536,  p.  84-8G,  contient  une  lettre  sous  ce  litre: 

ANGELVS  POLITTANVS  CASSANDR;E 

fideli  venetce  piiellce  doctissimee  S.  D. 

Là  se  trouvent,  en  une  prose  latine  élégante,  les  éloges  que  Sagon 
a  versifiés  en  grande  partie,  avec  les  noms  de  trois  ou  quatre 
femmes  célèbres  dans  les  lettres,  dont  il  parlera  plus  loin. 


NOTES. 


11 


40.  L'esprit  de  Cassandre  fidèle. 

Gassandre  Fidèle,  ou  Cassandra  Fidelis,  est  le  nom  d'une  femme, 
des  plus  savantes,  née  à  Venise  vers  1465,  et  fille  d'Angelo  Fidelis. 
Elle  apprit  non-seiîlement  le  grec  et  le  latin,  mais  encore  l'iiisloire, 
la  philosophie  et  la  théologie.  Des  papes,  des  rois,  des  princes  et 
des  savants  lui  prodiguèrent  les  témoignages  de  leur  admiration. 

41.  La  plume  d'oayc  ou  d'autre  oyseau. 

Oayc  se  prononçait  oie.  Marot,  dans  sa   Première  Epilre  du  Coq  à 

l'Asnc.  A  Lyon  lamel  a  dit  de  même  : 

Et  ma  plume  d'oye  on  de  Jars... 
D'escriie  aulourd'liuy  ne  cessa. 

Le  jars,  mâle  de  l'oie,  est  sans  doute  Vautre  oiseau  qui  a  fourni 

une  plume  à  Sagon. 

i'i.  Et  pour  la  layne  ou  .loye  a  tystre. 

Cet  infinitif  présent,  iysire  ou  tisire,  vient  du  latin  lexerc,  lisser, 
faire  une  cloffe. 

Marot,  dans  son  Epitre  au  Roy,  Pour  succède)-  en  l'eslat  de  son 

père,  suppose  que  celui-ci  lui  dit  : 

Par  médecine  on  peut  l'homme  tuer  ; 
Mais  ton  bel  art  ne  peut  tels  coups  mer  : 
Ains  en  sçauras  meilleur  ouvrage  tistre. 
Tu  en  pourras  dicter  Lay,  on  Epistre. 

43.  Sut  lequel  (pupitre)  quant  elle  viuoit. 

Sagon  croyait  que  Cassandre  Fidèle  était  morte,  quand  il  écrivait 
son  Regret,  en  1537  ou  1538.  —  Elle  avait  72  ans  et  ne  mourut  que 
:k)  ans  plus  tard,  à  l'âge  de  102  ans,  vers  1557.  Dictionnaire  d<' 
MM'éri. 

44.  Epistre  on  missiue  escripuoH. 

Il  existe  un  recueil  des  Epislres  de  Cassandre  Fidèle,  et  Pohtieu 
;i  dit  de  cette  correspondance  :  ■<  Scribis  epistolas  Cassaudra  subti- 


12  NOTES. 

les,  acutas,  eleganteis,  Latiaas,  et  quanquam  puellari  quadam,  virgi- 
niali  quadam  simplicilate  dulcissimas,  tamen  eliam  miré  graueis,  et 
cordatas.  »  Ibicl.,  p.  85. 

45.  La  louenge  d'vng  cler  esprit. 

Toute  la  lettre  de  Politien  fait  l'éloge  des  qualités  d'esprit  qui 
distinguaient  Cassandre  Fidèle,  et  Sagon  s'est  borné  à  traduire  sa 
prose  latine.  Le  fond  des  vers  précédents  est  puisé  dans  ce  passage  : 
«  At  uerô  setate  nostra,  qua  pauci  quoq;  uirorum  caput  altius  in  lit- 
teris  extulerunt,  unicam,  te  tamen  existere  puellam,  quae  pro  lana  11- 
brum,  pro  fuso  calamum,  stylum  pro  acu  tractes,  et  quse  non  cutem 
cerusa,  sed  atramento  papyrum  linas.  »  Ibidem. 

46.  Acteur  francoys  très  loyal  Sagontin. 

De  Sagon,  latinisé  en  Sagonlinus,  notre  auteur  a  forgé  Sagontin, 
comme  de  Marolinus  Marot  avait  fait  Marotin,  à  la  fin  de  son  Epitre  : 

A    CEUX    QUI    APRES    L'EpIGRAMME     DU    BEAU    TÉTIN     EN     FEIRENT 

d'autres. 

Et  pour  le  prix,  qui  mieux  faire  sçanra, 
De  verd  laurier  une  couronne  aura. 
Et  un  dixain  de  3Iuse  Marotine, 
Qui  chantera  sa  louange  condigne. 

OEdvbes  de  Mahot,  édit.  de  Niort,  1596,  p.  196. 

kl.  D'espritz  plongez  an  ruisseau  argentin. 

Périphrase  désignant  ceux  qui  se  livrent  aux  travaux  de  l'esprit  et 
surtout  à  la  poésie. 

•18.  En  carme  et  en  oraison. 

En  vers  et  en  prose,  comme  il  a  l'ail  pour  la  généalogie  de  la  Mai- 
son de  Brie  et  comme  il  le  fera  pour  l'Oraison  funèbre  de  Philippe 
de  Chabot,  grand  amiral  de  France  en  1543.  —Voir  Tlntroduction, 
pages  26-28,  et  32-33. 


NOTES.  13 

49.  Si  tu  as  donques  saison. 

Dans  le  sens  de  temps  propice,  moment  favorable,  comme  ôra  chez 
les  Grecs,  ou  bien  h07^a  chez  les  Latins. 

50.  L'antiquité,  la  noblesse   de  race.... 

Donc  la  maison  de  Foix  par  longue  espace 
A  mainte  femme  et  homme  ennobly. 

Pour  s'en  convaincre,  il  n'y  a  qu'à  lire  le  Dictionnaire  de  Moréri, 
où  la  généalogie  de  celte  maison  et  de  ses  diverses  branches,  depuis 
Bernard,  premier  comte  de  Foix,  en  1062,  occupe  huit  colonnes  in- 
l'olio.  Il  suffit  de  citer,  pour  l'illustration  de  la  maison  de  Foix,  les 
trois  frères  de  la  dame  de  Chateaubriand,  célèbres  par  leurs  exploits 
militaires  :  Odet  de  Foix,  seigneur  de  Lautrec,  maréchal  de  France; 
Thomas  de  Foix,  seigneur  de  Lescuu,  dit  le  maréchal  de  Foix,  et 
André  de  Foix,  seigneur  de  Lesparre  ou  d'Asparro,  gouverneur  de 
la  Guyenne  et  chef  de  l'armée  destinée  à  conquérir  la  Navarre.  — 
Kemarquer  qu'espace  était  alors  du  genre  féminin. 

51.  Et  déclare  en  stille  bening. 

Dans  le  sens  du  latin  cleclarare,  rendre  clair,  visible  pour  tous, 

52.  Le  miroer  d'honneur  fœminin. 

«  Miroir  se  dit  figurément  en  morale,  de  ce  qui  nous  représente 
quelque  chose,  ou  qui  la  met  comme  devant  nos  yeux.  Exemplar, 
Spéculum.  C'est  un  miroir  de  vertu,  un  miroir  de  patience,  c'est-à- 
dire  un  modèle  d'une  parfaite  vertu  ou  d'une  patience  h  toute 
épreuve.  »  Dictionnaire  de  Trévoux. 

53.  Ce  miroer  fait  de  table  entière. 

Parce  qu'on  disait  une  table  de  verre  {tabula)  et  qu'un  miroir  fait 
d'une  seule  table,  d'une  seule  pièce  avait  plus  de  prix. 

54.  Nom  plus  qu'vng  miroer  cristalin. . . . 
S'il  est  de  façon  de  VYndie..,, 
D'autre  ne  craingt  comparaison. 


14.  NOTES. 

Le  poète  a  traduit  ce  passage  de  Pline  l'Ancien  :  «  Auctores  sunt 
(vitrum)  in  India  e  crystalio  fracta  fieri,  et  ob  id  nullum  comparari 
indice.  "  Hisloire  naturelle,  édition  de  M.  Littré,  dans  la  collection 
Nisard,  t.  TI,  1.  XXXVI,  c.  66,  p.  530.  —  On  lit  aussi  dans  Rabe- 
lais :  «  Ils  ont,  ou  ie  resue,  l'herbe  de  l'indie.  »  Pantagruel, 
liv.  V,  ch,  38. 

"if».  Vecy  que  ie  dy  donc  pour  elle. 

Je  dy,  pour  rfi,  comme  plus  loin  :  Je  croy,  pour  croi;  je  vous  re- 
quier,  pour  requiers.  Dans  l'ancienne  orthographe  de  notre  langue, 
«  la  première  personne  du  singulier  ne  prend  point  d's,  à  moins 
que  cette  lettre  ne  soit  du  radical  :  Je  voi,  je  vi,  etc.  Ces  formes 
sans  s  sont  restées  dans  notre  versification  à  titre  de  licence  ;  mais, 
bien  loin  d'être  une  licence,  c'est  une  régularité,  car  l's,  conformé- 
ment à  la  conjugaison  latine,  type  de  la  nôtre,  n'appartient  pas  à  la 
première  personne  {video,  vidi),  et  c'est  à  tort  que  de  la  seconde 
personne  dont  elle  est  caractéristique,  on  l'a  étendue  à  la  première.  » 
M.  E.  Littré,  Diclionnaire  de  la  langue  française,  t.  I,  p.  13. 

56.  Par  artifice  et  par  art  gent 

Ainsy  qu'on   faict  l'or  et  Vargent, 

On  voit  ici,  comme  en  quelques  autres  endroits,  un  exemple  de  la 
rime  équivoque  ou  équivoquée,  sorte  de  rime  dans  laquelle  la  der- 
nière ou  les  dernières  syllabes  d'un  vers  étaient  reprises  à  la  fin  du 
suivant,  dans  un  sens  différent.  Marot  a  laissé  une  pièce  de  ce  genre, 
une  Epistre  au  Roy.  Elle  commence  ainsi  : 

En  m'esbatant  ie  faits  Rondeaux  en  Rithme, 
Et  en  rithmant  bien  souvent  ie  m'enrime  ; 
Bref,  c'est  pitié  d'entre  nous  Ritbmaillenrs. 
Car  vous  trouvez  assez  de  rithme  ailleurs.... 

On  trouve  encore  de  ces  vers  dans  les  ouvrages  de  Marot,  comme 
dans  ce  passage  de  Sagon.  Crétin,  devancier  de  Marot,  s'était 
particulièrement  adonné  à  ce  triste  genre  de  versification. 


NOTES.  ,  15 

Pour  le  lait  relaté  dans  ce  passage,  Sagon  a  encore  l'autorité  de 
Pline  :  a  Et  aliud  (vitrum)  flatu  fipuratur,  aliud  torno  teritur,  aliud 
argent!  modo  caelatur.  »  Ibid. 

57.  Cela  aditint  dessous  Tybere. 

«  Ferunt  Tiberio  principe  cxcogitatum  vitri  temperamentum.  » 
Pline,  Ibid. 

;i8.  Que  ce  beau  verre  eut  en  sa  c;lac  e 

Le  verre  en  sa  facilite. 
Le  corps  en  son  huiniliie . . . . 

La  fin  de  cette  longue  comparaison  du  corps  avec  le  verre  aboutit 
à  ce  passage  obscur,  dont  nous  n'osons  hasarder  aucune  interpré- 
tation. 

59.  Que  n'est  cristal  par  relucence. 

Mot  créé  du  latin  relucere,  renvoyer,  r-efléler  la  lumière. 

(JO.  Que  c'est  assez  par  la  'philosophie, 

Sagon  nous  paraît  même  avoir  trop  prodigué  d'élogen  au  corps  de 
la  comtesse  de  Chateaubriand  par  toutes  ces  réflexions  philoso- 
phiques, c'est-à-dire  empruntées  à  la  science,  et  ici  à  la  pliysique. 

6-1.  Te  promectant,  si  ta  muse  rencontre. 

Que  tu  auras  laurier  a  ceste  fois. 

L'Honneur  dit  à  Sagon  que,  «  s'il  est  bien  inspiré  dans  l'éloge 
des  qualités  intellectuelles  et  morales  de  la  comtesse  de  Chateau- 
briand, il  en  sera  récompensé  par  la  couronne  de  laurier,  »  la  plus 
grande  des  distinctions  accordées  à  un  poète.  Ainsi  Marot,  dans  son 
Epitre  :  A  ceux  qui  après  VEpigramme  du  beau  Telin,  en  f cirent 
d'autres,  dit  presque  dans  les  mêmes  termes  : 

Mais  du  sourcil  la  beauté  bien  chantée 
A  tellement  nostre  Court  contentée, 
Qu'a  son  autheur  nostre  Princesse  donne. 
Pour  ceste  fois  de  laurier  la   couronne. 

OEuvnES  DE  Marot,  èdit.  de  1596,  p.  l'J*. 


16  NOTES. 

62.  Ecoutez  donc  dames  en  p?iuaulce. 

Comme  on  dit  pinvalivement,  dans  le  sens  d'exclusivement,  préfé- 
rahlement.  L'étymologie  serait  «  le  latin  fictif,  privalitatem,  de  pri- 
valis,  dérivé  de  privus.  »  M.  Littré,  Dictionnaire  de    la  Langue: 

FRANÇAISE. 

63.  Ce  sont  les  natiirelz,  sans  Pline, 
Qui  tiennent  ceste  discipline. 

Les  Nalurelz  sont  ceux  que  Brantôme  appelait  les  Philosophes 
naturels  (Vie  des  Dames  galaîntes,  Discours  I),  c'est-à-dire  les 
hommes  qui  ont  étudié  et  qui  connaissent  la  nature.  On  les  appelait 
autrefois  Naluriens  et  plus  tard  Naluralistes.  Le  passage  signifierait 
alors  que  :  «  ceux  qui  ont  étudié  la  nature,  même  en  dehors  de  Pline, 
sans  le  compter  ou  sans  recourir  à  son  autorité,  sont  partisans  de 
la  doctrine  exposée  dans  les  explications  de  Sagon.  »  La  catop- 
trique,  la  science  des  miroirs  ou  de  la  vision  réfléchie,  a  été  connue 
des  Anciens.  Euclide  en  a  laissé  deux  livres.  Est-ce  de  lui  ou  bien  de 
ses  successeurs  que  Sagon  veut  parler  ? 

'•4.  Le  niiroer  de  macule  espris. 

Ou  de  tache,  ou  de  crassitude. 

Ce  dernier  mol  est  traduit  de  Pline,  chez  lequel  crassitude,  en 
parlant  des  miroirs  de  métal,  indique  «  une  diminution  de  l'épais- 
seur par  un  fréquent  polissage  ,  d'oîi  résulte  la  concavité  qui 
agrandit  l'image.  »  —  «  Eadem  vi  in  speculis  usu  polita  crassiludine, 
paulumque  propulsa  dilatatur  in  immensum  magnitudo  imaginum.  » 
Histoire  naturelle,  liv.  XXXIII,  ch.  45. 

Le  manuscrit  porte  : 

Qu'il  n'entend  s'il  baille  ou  s'il  reçoit. 

Le  second  s'il  a  été  supprimé  pour  rétablir  le  vers  de  huit  syl- 
labes. 


NOTES.  1  / 

<J(5.  Il  i'enyure  de  sa  Caueriie. 

Variante  de  l'ancien  proverbe  :  S'enivrer  de  sov  citi,  qu'on  ex- 
l>iiiiU3  ainsi  :  «  Oa  dit  proverbialement  qu'un  homme  s'enivre  de  son 
vin,  tant  au  propre,  quand ^il  boit  tout  seul  et  avec  excès;  qu'au 
figuré,  quand  il  a  trop  bonne  opinion  de  lui-même.  »  Dictio\>.viri: 
»€  Trévoux,  verbo,  Enivrer. 

61,  lugeant  ung  droicl  lors  ou  traticrs 

Comme  en  l'eau  ung  baston  teucrs-, 
Qui  n'est  toQslefoys  que  la  faillie 
De  l'oeil  piiae  de  raison  haulte. 

Sagon  inite  ici  un  passage  où  TertuUien,  reprochant  aux  Aca-lé- 
miciensdc  condamner,  avec  trop  dt;.  rigueur,  le  témoignage  dos  ^cus, 
>i  dit:  «  Mer.dacium visui  objicilur,  quod  remos  in  aqua  inilexos  aut 
iiifraclos  adseveret  adver.-us  con?cientiam  integrltatis.  »  L'énergie 
ot  la  beauté  rie  ces  derniers  mots  de  l'auteur  latin  ont  été  à  peinr^ 
senties,  loin  d'avoir  été  rendues  par  l'imitateur  français. 

68.  Rend  l'ojjgecl  fauli  ou  apparent. 

'•'esl-à-dire  tel  qu'il  rst  en  réalité,  suivant  le  vrai  sens  du  liitiii  op- 
ppverc.  —  Dans  toutes  ces  explications  du  Miroir,  Sagon  dit  des 
miroirs  de  verre  à  peu  près  ce  que  Pline  a  dit  des  miroirs  de  métal. 
Voir  Histoire  nnliirelle,  liv.  XXXIII,  cli.  45,  collection  Xisard. 

ri9.  On   le  fait   par  novalite. 

Sovaliié  veut  dire  Nûuveaulé.O'a  trouve  hahituellemenl.dans  l'an- 
cien français  :  Novailé,  Noval'é,  qui  viennent  de  Nuvilos.  —  Si  les 
miroirs  de  cette  espèce  étaient  d'invention  récente,  les  Anciens  ar- 
rivaient au  même  résultat  à  l'aide  de  coupes  taillées  en  fiiceltes 
ionime  autant  de  miroirs.  Pline  le  dit  formellement  :  «  Quin  etinm 
[locuia  ila  figurantur,  exculplis  intus  crebris  ceu  speculis,  ut,  vel 
uno  intuente,  populus  Ictidom  imaginum  Qat.  »  Histoire  r.plurcJle.  liv. 
XXXIII.  cliap.  '.X 


18  NOTE'.^. 

70.  L'antiquité  les  a  connus 

!U  offertz  au  tempie  a  Fénus. 

C'est  d'apn.'r;  Pline  encore  que  Sagon  parle  de  ces  miroir?, 
Ou  l'on  veoit  des  choses  terribles, 

«  Excogitanlur  et  monstrifica,  ut  in  templo  Smyrnae  dicata.  »  Ihhl, 
^lais  V(jnus  avait-elle  un  temple  à  Smyrrio  ? 

71.  (Si  ce  n'est  {iciion  on  banc  . 

liavc,  paroles  imdiks.  «Je  mot  se  retrouve  bien  souvent,  en  ce  sent, 
dans  les  poésies  de  Marot.  Par  exemple,  dans  [  Espilre  qu'il  fienlil 
il  la  londçmnade  conlre  lés  couleurs  d'vnc  ilnmoi/srlle,  on  lii  : 

Si  on  ne  m'cust  troublé  de  taiil  de  bave. 
Vous  eussiez  en  une   Kpisfre  fori  lir.Tve,  etc. 

72.  On  peultjaire  vu  miroei  concaiu-,  etc. 

Tout  ce  qui  suit  rappelle  ce  passage  de  Pline  parlant  des  miiuirs 
■  le  métal  :  «  Plurimum  rel'ert  concaua  sint  et  poculi  modo,  an  parma- 
Threcidicee,  inedia  depressa  an  elata,  transversa  an  obliqua,  supina 
ni  recta,  qv.a!iiate  excipientis  figurœ  torquento  venientes  umuras.  >■ 
Pline,  ibifl. 

73.  ■  otnuie  ic  scay  par  l:i  leçon 
Des  naturels. 

Les  ri-,ii";iis  qui  ont  traité  des  sciences  naturelles  et  Sj'écialcmenl 
de  la  IMysiipîe.  —  Voir  plus  haut,  note  G3. 

74.  Honnenr,  ce  propos  trop  haultain,  etc. 
i'"est-à-diro  >•  traitant  de  sujets  trop  élevés.  » 

75.  Kt  icu  nouueaii  de  deuil  rnallinnc. 

L'emploi  de  ce  mot  mettait  Sagon  à  l'abri  d'une  remarque  l'aitc 
par  l'un  de  ses  adversaires,  dans  sa  guerre  contre  Marot.  La'Huete- 
ric,  ou  Sagon  s'était  servi  du  mot  accense  [acccndcre],  au  lieu  û'dfv- 


NOTES .  1 9 

Dte, .  Ciiarles  Foiilaine,  se  faisant  le  second  de  Fripelippes,  valet  de 
Marot,  dans  une  Epistre  à  Surjon  et  à  La  IJuelerie,  uial  ativibvéc  par 
'i-di.vunt  à  Marot,  le  lui  reprocha  en  ces  termes  : 

L'un  va  rithinant  la  fere  contre  affaire., 
Et  l'autre  aussi  frère  contre  desplaire  : 
L'autre  par  trop  les  oreilles  in'olTeiise, 
Quand  pour  allume  a  voulu  dire,  accense. 

OEiVRKS  Bîî  Makot,  édit.  de.  Niort,  'i59»ï,  p.  U46. 

76.  Miroer  antique  et  souucraiii 
D'est  ai  n  entremeslé  d'arain. 

Chez  les  anciens  Romains,  les  meilleurs  miroirs  en  métal  so  fai- 
ir^aient  à  Brindes  par  !e  mélange  de  ces  deux  matières,  comme  Pline 
!iûus  l'apprend.  «  Optima  (spécula)  apud  majores  fueranl  Brundi- 
sina,  stanno  et  aero  mixtis.  »  HistouïE  naturelle,  ibid. 

77.  Miroer  de  matière  argentée 
De  façon  noituellc  inuentee. 

Celte  raaliirc  argenlie  est  le  tain,  qui  se  fait  en  mellanl  sur  uul' 
j;laco,  placée  horizontalement,  une  feuille  d'élain  qu'on  recouvre  de 
mineure.  L'amalgame  a  la  propriété  d'adhérer  au  verre. 

Voici  ce  que  nous  lisons  sur  ces  miroirs  :  De  façon  nomicik  iii- 
mntce. 

«  Suivant  Lazari  iNulizia  délie  opère  d'arie  e  d'aniiclidù  n'eda  rac- 
rnlla  carrer.  Ycnezia,  1859),  ce  ne  fut  qu'au  quatorzième  siècle  que 
le?  Vénitiens  eurent  l'idée  de  remplacer  les  miroirs  de  métal  poli 
par  des  miroirs  de  verre,  au  revers  desquels  ils  plaçaient  une  fouille 
niélallique.  Vincenzo  Reder  fut  l'auteur  de  celte  innovation  ;  mais 
soit  que  la  routine  la  repoussât  soit  que  le  résultat  obtenu  n'eût  pas 
imiiiédiatement  atteint  le  but  qu'on  espérait,  on  l'abandonna,  et  les 
w.iroirs  e:i  métal  redevinrent  à  la  mode  jusqu'au  moment  où  deux 
Muranéziens,  Andréa  et  Domcnico  d'.\nzolo  dal  Galio,  qui  connais- 
saient ou  qui  peut-être  avaient  découvert,  de  leur  côté,  ;e  mode  do 


•20 


NOTE'S. 


litivail  uaiployé  en  Allem.igne  el  en  Flandre  adressèreni  (lôOJl  au 
Conseil  des  Dix  une  supplique  dans  laquelle  ils  lui  exposaient  «  que, 
•■  possédant  le  secret  de  faire  de  bons  et  parfaits  miroirs  de  verre 
«  cristallin,  chose  précieuse  et  singulière,  et  inconnue  du  monde 
«  entier,  si  l'on  excepte  une  verrerie  d'Allemagne  qui,  associée  à 
'<■  une  maison  flamande,  exerçait  le  monopole  de  cette  fabrication 
"  et  écoulait  ses  produits,  du  levant  au  couchant,  à  des  prix  excès - 
«  sifs,  et  désirant  mettre  Murano  à  même  d'établir  une  concurrence 
«  qui  ne  pouvait  qu'être  profitable  à  la  République,  ils  demandaient 
«  qu'on  voulût  bien  leur  donner  un  privilège  exclusif  dans  tout  le 
«  territoire  de  la  République  pendant  vingt-cinq  an-.  »  Biblio- 
thèque DES  Merveilles.  La  Verrerie  depuis  les  temps  1rs  plus  "h- 
i:  en  s  jusqu'à  nos  jours,  par  A.  Sauzay,  1876,  pages  80-81. 

C'est  à  ces  faits  oe  1503  que  le  passage  du  poème  de  Sagon.  écrit 
.14  ou  35  ans  plus  tard,  paraît  faire  allusion. 

78.  Que  le  miroer  que  feit  Praxiteles 
Graueur  expert  au  temps  du  grand  Pompée. 

Pline,  après  avoir  dit  que  «les  miroirs  d'argent  furent  préférés 
aux  miroirs  d'étain  et  d'airain  mélangés,  .i  ajoute  le  passage  d'où 
Sagon  a  tiré  ses  deux  vers  :  «  Primus  fecit  (argentea  spécula)  Pasi- 
lelesMagni  i'ompeii  aetate.  »  Ibid.  Deux  manuscrits  donnent  Pasile- 
/.■5,  adopté  par  l'éditeur,  M.  Littré,  au  lieu  de  Praxiieles,  qu'on  lit 
habituellement  et  qui  désignerait  plutôt  le  fameux  sculpteur  grec  de 
ce  nom. 

79.  Miroer  a/dent  que  Sydon  inuenta. 

Sagon  tiaduit  encore  ici  Pline,  qui  a  parlé  de  l'invention  des  mi- 
roirs à  Sidon,  mais  non  des  miroirs  ardents  ;  car  il  dit  :  «  Et  aliud 
vvitrum)  ilatu  figuralur,  aiiud  torno  teritur,  aliud  argenli  modo  cse- 
latur,  Sidone  quondam  ils  officiais  nohili  :  siquidem  etiam  spécula 
l'xcogitaverat.  »  Ibid.,  liv.  XXXVI,  ch.  65.  Ailleurs  il  l'appelle  : 
«  Sidon  (trlifcx  vi'ri.  >■  Ibid.,  liv.  v,  ch.  17. 


NOTES.  21 

80.  Mircer  damour  tant  chaste  et  bien  reigté 

Qu'vng  seul  amant  ne  s'y  est  aneuglé. 

C'est  par  un  excès  do  candeur  cl  de  bonne  foi  cjne  Sagon  croit  à  la 
vertu  de  la  dame  de  Chateaubriand  et  l'affirme  aussi  positivement; 
mais  il  est  en  contradiction  formelle  avec  les  témoignages  les  moins 
suspects. 

81,  le  vous  reqaier  contre  mort  faire  vn  lay. 

Nos  vieux  Komanciers  font  de  même  ciianter  des  Lais  à  leurs 
héros. 

82.  Mortelle  poison 

k  France  contrainte 
D'en  faire  oraison. 

Le  poison,  la  violence  de  la  n:ort  a  contraint  la  France  de  prier 
pour  elle. 

Poison  était  alors  du  féminin,  comme  plusieurs  .autres  mots,  dont 
le  genre  a  changé  depuis.  Le  peuple  le  fait  encore  aujourd'hui  du 
l'éniinin,et  Ménage,  dans  la  Requête  des  Dictionnaires,  imprimée  en 
1649,  assure  que  les  puristes  seuls  lui  donnaient  >-p  genre,  nu 
XVII'  siècle. 

Ils  veulent,  malgré  )a  raison, 
Qa'on  dise  anjoard'hni  la  poison. 
Une  cpitaphe,  une  épigramme. 
Une  navire,  une  anagramme. 
Une  reproche,  une  dnché, 
Une  mensonge,  nne  ^esché. 

83.  Change  du  lieo  on  conuersent  les  Ntusps. 
Du  latin  convcrsari,  habiter,  faire sadernruie. 

S4.  Continaez  voz  plears,  voz  plainctz,  voz  rioyses, 

Plainctz,  planctus,  gémissement. — L'emploi  simultané  des  s  et  des 
s  dans  ces  noms  montre  les  deux  systèmes  d'orthographe  usités  pour 
la  formation  ilu  pluriel  des  noms  et  des  adjectifs.  Dans  l'ancienne 
dominait  le  z  ,  dans  la  nouvelle,  1*5  était  préféré.    La  grammaire 


22,  NOTES. 

(le  ce  poème  indique  bien  un  âge  de  trausilion,  comme   le  procédé 
trén'jrai  de  sa  coinjioàilion. 

85.  Dames  de  Court,  da/iioyselles,  bourgeoises. 

Sur  le  passage  d'un  Fabliau  de  Rutebeuf  :  De  la  femme  qui  fil  trois 
jais  le  tour  des  murs  de  l'Eglise,  Le  Grand  d'Anssy  met  cette  note, 
pour  expliquer  ces  mots  :  «  U7ie  Demoiselle  qui  était  la  femme  d'un 
l'i-uyer.  —  Cette  femme,  quoique  mariée,  est  appelée  DexioiseUe, 
parceque  son  mari  n'est  qu'Eouyer.  On  no  donnait  dans  la  rigueur  le 
titre  de  Dame  qu'aux  épouses  des  Souverains,  des  très-grands  Sei- 
gneurs et  des  Chevaliers.  Brantôme,  qui  écrivait  trois  siècles  plus 
tard,  appelle  encore  son  aïeule  la  Sénéchale  de  Poitou,  Mademoiselle 
de  Bourde ille.  »  Fabliaux  el  Gonles  du  XII'  et  du  XIII'  siècle.  Edition 
de  M.DCC.L.XXXl,t.  II.  p.  265. 

86.  Monsieur  de  Lautrec  et  sa  sœur. 
Pour  le  présent  de  Laval  dame. 

»  t'oix,  (Odet  de)  Seigneur  de  Lautrec,  Chjvalier  de  l'ordre  de 
Saint-Michel,  maréchal  de  France,  gouverneur  de  Guyenne,  et  lieu- 
tenant pour  le  roi  en  Italie...,  épousa  Charlotte  d'Albert,  troisième 
fille  de  Jean^  seigneur  d'Orval,  dont  il  eut  Gaston,  François,  Henri, 
morts  jeunes  ;  et  Claude  de  Foix,  mariée  à  Gui  XYI  du  nom,  Comte  de 
Laval.  »  DicTio\:yAiRE  de  Moreri.  —  Ce  Monsieur  de  Lautrec  semble 
être  Henri  de  Foix.  Sa  sœur  était  : 

Pour  le  présent  de  Laval  dame. 

C'est-à-diro  vers  i537  ou  1538,  date  probable  de  la  composition  des 
Ri'grets,  parcequ'en  1535  le  comte  de  Chateaubriand,  son  oncle  par 
alliance  et  tuteur,  l'avait  mariée  au  Jeune  comte  de  Laval. 

87.  Ce  ma!  de  maint  ciieai  aggresseur 
f^ous  touche  il  point?  Oui:  J'en  sviis  seur. 

A  cette  époque,  eu  sonnait  «.  «  Tout  ce  qui  parle  bien  en  France, 
dit  Théodore  de  Bèze,  prononce  hûreux.  »  De  Francicœ  linguœ  recto 


NOTES.  23 

pronuutialione  ]>.  r.o.  I!  en  ost  encore  ainsi,  poui"  ce  dernier  mol, 
mais  à  la  campage.  Voltaire,  usant  de  cette  ]irononcialion  archaïqup, 
disait  encore  auXVIII"  siècle  : 

Près  des  Ijurds  «Je  l'Itoii  et  des  rives  de  X^Eiiie 
Kst  nn  rliamp  fortuné,  l'ainour  de  la  nature. 

[Henriade,  chant  VIFI.) 

Dans  le  cnanl  IX,  Eure  rimera  avec  structure. 

Fous  touche  il  point? 

On  prononçait  le  t  qui  ne  s'écrivait  pas,  snivanl  l'usage  constant 
des  écrivains  antérieurs  au  XVII*  siècle.  ■<  Qui  se  lierait  au  témoignage 
de  cette  écriture  s'abuserait  l'on,  car  on  ne  manquait  pas  de  pronon- 
cer avec  un  t  intermédiaire,  comme  aujourd'hui  nous  écrivons. — 
«  Souvent  aussi,  dit  Jacques  Pelletier,  nous  prononçons  des  lettres. 
•  qui  ne  s'écrivent  pas,  comme  quand  nous  disons  âîne-li  ?  ira~U  ? 
«  lit  écrivions  dine-il?  ira-il?  ce  serait  chose  ridicule  si  nous  i'écri- 
«  vions  selon  qu'ils  se  prononcent.  »  {{"'  livre  d'i  l'Orthographe,  p,  67). 
Cité  par  M.  Génin,  Des  Va}uaïio>s  du  i.  iNGAOi;  fraivçais  olc. 
p.  io7. 

.88.  Edt  iadis  de  vous  deux  l'atlueu 

D'amour,  de  iticpce  et  de  nepueu. 

Monsieur  de  Lautrec  et  ia  dame  de  Laval  étaient  les  enlanls 
d'Odet  de  Foix,  lYère  aîné  do  la  comtesse  de  Cliateaubriand. — Voir  la 
note  80. 

89.  Qtitlle  a  instruiciz  far  longue  etpace. 

Le  maréchal  de  Lautrec,  père  de  Henri  de  Foi:c  ei.  de  Claude  de  Foi.\, 
étant  mort  au  camp  sous  Naples,  le  15  août  l  j'iS,  de  la  maladie 
contagieuse  qui  décima  sou  armée  (Moréri),  «  le  comte  (de  Chaleau- 
Ijfiand)  devint  un  des  cinq  tuteurs  des  enfants  de  Lautrec,  par  le 
testament  que  celui-ci  lit  à  Lyon,  en  io'27,  avant  de  ;;artlr  pour 
1  Italie.    »    Bibliophile  Jacob    (M.    Paul    Lacroix),    CûniosiTÉs    de 


a^  NOTES. 

f/HisTOiRK  DE  Fi'.ANCK,  2*  séi'ie,  Procés  célèbres.  Delahays,  1868, 
]i.  U'o.  La  comtesse  de  Cliateaubriand  se  fit  un  devoir  d'instruire  son 
neveu  et  sa  nièce  mineurs,  de  1528  à  1535,  pendant  la  tutelle  de  son 
mari,  qui  prit  fin,  pour  Claude  de  Foix,  par  son  mariage  avec  le 
comte  de  Lava!.  Voir  note  Sfi. 

9<i.  Ton  père  mort,  de  ses  biens  ta  rente  (rente) 

Tant  scullement  par  fauUc  de  ton  aage. 

Celv.i  des  enfants  de  Laulrec,  que  nous  croyons  être  Henri,  élail 
trop  jeune,  à  la  mort  de  son  père  (i528),  pour  avoir  pu  être  élevé, 
instruit  par  lui.  Il  ne  lui  avait  laissé  que  ses  biens,  et  sa  tante,  la 
comtesse  de  Chateaubriand,  avait  pourvu  a  son  éducation,  en  l'en- 
riciiissant  de  vertus. 

'.U.                       As  tu  laisse  a  ceste  mon  ta  tante  .... 
Loyalle  espouse  au  seigneur  de  Laval? 
Je  croy  que  non  et  que  n'estois  distante 

C'est  une  façon  d'affirmer  que  la  jeune  comtesse  de  Laval  était  au 
chevet  de  sa  tante,  la  comtesse  de  Chateaubriand,  quand  elle  mourut, 
le  IC  octobre  1537,  Sans  cela  le  rappel  d'un  devoir  serait  un  reproche, 
uii  tout  au  moins  une  indiscrétion. 

Di.  Je  y oy s  faire  conclusion, 

Auh-elois  Sagon  disait  coiicJucr.  La  l'orme  nouvelle  employée  pour 
exprimer  cette  idée  montre  qu'il  avait  été  sensible  aux  reproches 
du  valet  Fripelipes,  ou  plutôt  de  Marot  lui-même,  contenus  dans  les 
vers  de  sa  fameuse  Ejntrc  à  Sagon. 

Et  saches  qu'entre  tant  de  cho.ses 
Sottement  en  tes  dits  encloses, 
Le  villain  mot  de  conctuer 
M'a  iaict  d'ahan  le  front  suer. 

yj.  Ceste  dame  est  morte  nuant  aage. 

Dreux  du  Radier  a  dit  :  «  Mademoiselle  de  Foix  naquit  vers  l'an 
i4'.)5.  »  Mémoires  historiques,  eriliques  et  anecdoles  de  France.  Ams- 


NOTES.  25 

lerdani,  m  ucc.lxv,  l.  III,  p.  I46.  Elle  avait  donc  42  ans  environ  à 
sa  mort,  16  octobre  1537  ;  ce  qui  justifie  l'expression  :  axiant  âge. 

94.  Le  sien  départ 
Que  mort,  ou  len  ne  remédie 
Lux  hasta  d'une  maladie. 

Ce  seul  vers  d'un  contemporain  est  la  condamnation  des  bruits 
calomnieux  qui  ont  abouti  à  la  moins  fondée  de  toutes  les  légendes 
sur  la  mort  de  la  dame  de  Chateaubriand,  dont  Varillas  s'est  fait, 
sinon  l'iuventeur,  du  moins  le  trop  crédule  propagateur.  —  Voir  In- 
troduction, p.  56. 

95.  Qa'ou  la  veist  en  nobleise  auoir 
Toute  la  science  en  la  teste. 

L'art  héraldique,  science  à  laquelle  on  attachait  alors  une  grande 
importance. 

9(î.  Vne   Katherine  de  Seine. 

Pour  Siene,  en  italien  Siena.  La  fameuse  sainte  du  xiv»  siècle,  qui 
a  pris  le  nom  de  sa  ville  natale.  Pietro  Aretino  (l'Arétin)  composait, 
vers  cette  époque,  la  Vie  de  sainte  Catherine  de  Sienne,  et  Jean 
Bouchet  l'avait  comprise  dans  le  Icgement  poetic  de  l'honneuk 

FEMININ. 

97  C'estoit  une  Cornélia 

Ou  vne  docte  Loclia. 

Cornelia,  la  mère  das  Gracques,  leur  donna  la  plus  brillante  édu- 
cation et  se  renriit  célèbre  par  sa  vertu.  —  Lœlia,  fille  de  Lelius,  hé- 
rita de  l'éloquence  de  son  père.  Cicéron  en  parle  dans  son  dialogue 
l(?  Pruius. 

98.  l'entendz  en  /rançons  tant  humain. 

Dès  le  xiii'  siècle,   les   étrangers  faisaient   l'éloge  de  notre  vieux 
français  avec  une  préférence  marquée  pour  notre   langue.  Voici  les 
4 


26 


NOTES. 


raisons  qu'en  donne  l'Italien  Brunetto  Latini  :  »  Et  s'auscuns  de- 
mande porquoi  chis  livre  s'est  escris  en  romans  selonc  le  patois  de 
France,  pui&que  nos  somes  Ytaliens,  je  diroe  que  c'est  por  II  raisons  : 
l'une  est  por  ce  que  noz  somes  en  France  ;  l'autre  si  est  por  ce  que 
français  est  plus  delitables  et  plus  communs  que  moult  d'autres.  » 
(Préface  du  Thrésor.)  —  "Voir  l'éloge  de  notre  langue,  quand  l'Ita- 
lien menaçait  de  l'envahir,  dans  la  Precellence  du  langage  francois, 
par  Henri  Estienne  (1579), 

99.  Encor  Je  faulx 

Du  latin  fallor,je  me  trompe,  je  suis  dans  l'erreur. 

100.  Vng  moyen  langage  latin 
A  l'italien  de  Lacrtin. 

Françoise  de  Foix  aurait  joint  une  teinture  tlu  latin  à  la  connais- 
sance de  l'italien. 

Laerlin  doit  être  Laretin  OMlArétin,  fort  à  la  mode  du  temps  de 
François  I,  qui  le  protégea  lui  et  Rabelais.  Dans  le  Rabais  du  caquet 
de  Fripelippes,  etc.,  faict  par  Mathieu  de  Boutigny,  qui  n'est  aulr^ 
que  Sagon,  on  lit  ce  nom  écrit  encore  de  cette  manière  : 

Hnet  monte  en  ton  anertin, 
Macé,  en  ensuyaant  Lertin 
Desploy  icy  de  ta  science. 

1(M.  Et  pour  vng  tiers  et  beau  langage 

Parlait  espagnol  dauantage . 

Brantôme  dit  que  de  son  temps,  un  peu  plus  tard,  «  coustumiere- 
ment  la  pluspart  des  François  aujourd'huy,  au  moins,  ceux  qui  ont 
veu  un  peu  scavent  parler  ou  entendent  ce  langage.  »  (L'italien  ou 
l'espagnol.)  —  Vies  des  Dames  galantes.  Discours  II,  p.  136, 
édit.  Garnier. 

102.  De  ces  troys 

La  dame  auoit  mainte  deuite. 


NOTES.  ^i 

C'était  la  mode  d'en  faire  et  d'en  avoir.  Voir  Pièces  juiiificatives 
de  l'Introduction,  III,  le  rôle  que  les  devises  ont  joué  dans  la  rupture 
de  François  I  et  de  la  comtesse  de  Chateaubriand,  pages  9:i-97. 

103.  Son  dénis 

Auquel  trotiuay  auec  fortune, 
En  son  viauut  heure  opportune. 

Ces  vers  prouvent  bien  que  Sagon  vécut  dans  l'intimité  de  celle 
que  célèbrent  ses  vers. 

104.—  «  Il  eut  tant  de  bonheur  (avec  fortune)  dans  sa  conversation, 
(son  devis)  qu'il  entendit 

Par  plusieurs  toys 
La  dame  Francoyse  de  Foix 
Parler  de  plus  haulte  pratique 
Que  Sapho  en  l'art  poétique. 

Nous  pensons  que  ces  vers  signifient  que  cette  dame  pouvait  par- 
ler de  poésie  avec  plus  d'élévation  que  n'auraient  pu  le  faire  les 
femmes-poètes  de  l'antiquité,  dont  les  noms  vont  suivre.  L'éloge  se- 
rait trop  exagéré,  si  Sagon  mettait  les  vers  de  la  comtesse  de  Cha- 
teaubriand au  dessus  de  ceux  de  Sapho,  de  Myia  et  de  Télésille. 

■    105.  Ou  que  la  Mousche,  qu'on  descrit 

Avoir  eu  si  gentil  esprit. 
Qu'entre  poètes  est  nonibrée. 

Sous  celte  vieille  forme  Mousche  du  mot  français  Mouche,  traduc- 
tion littérale  du  latin  Musca,  se  cache  ici  une  Grecque  nommée 
Mvia  (Mouche),  dont  le  nom  serait  mieux  francisé  par  celui  de  Myia, 
qu'on  rencontre  ordinairement.  Sagon  l'a  déterrée  chez  Lucien,  qui  a 
dit  d'elle  ;  «  Il  y  eut  autrefois  une  femme  du  nom  de  Mouche;  elle 
excellait  dans  la  poésie  et  fut  tout  à  fait  belle  et  sage.  »  Eloge  de  la 
Mouche. 

106.  Ou  Thelesille  célébrée 

D'antique  rcthoricien. 


28  NOTES. 

Télésille,  femme  illustre  et  poétesse  d'Argos,  célèbre  par  son  cou- 
rage et  par  son  génie,  vi*  siècle  avant  Jésus-Christ.  On  a  des  frag- 
ments de  ses  poésies.  —  Cet  antique  rhétoricien  est  Pausanias,  géo- 
graphe-historien grec,  deuxième  siècle  après  Jésus-Christ.  Il  dit,  en 
effet,  que  les  Argiens,  quelque  temps  après  avoir  été  témoins  de  la 
bravoure  de  Télésilla,  lui  élevèrent,  à  Argos,  une  statue  dans  le 
temple  de  Vénus.  Elle  y  était  représentée  ayant  plusieurs  volumes  de 
poésie  à  ses  pieds  et  tenant  dans  ses  mains  un  casque  qu'elle  parais- 
sait vouloir  mettre  sur  sa  tète.  Description  de  la  Grèce,  liv.  II,  ch.  "20. 


107.  Ou  que  la  sage  Catsandra. . ., 

Au  temple  de  Lacedemone. 


Cassandre,  fille  de  Priam  et  d'Hécube.  C'est  encore  Pausanias  qui 
jiarle  de  sa  statue  dans  le  temple  de  Lacédémone.  /6td.,  1,  lis  et  lll,  «9. 

108.  Bref  ie  craingz  A'estranger  raison 
Par  trop  longue  comparaison. 

Faire  que  la  raison  s'en  aille,  la  chasser,  la  bannir.  »  Comparaison 
n'est  pas  raison,  »  dit  l'adage  populaire.  Au  xviii"  siècle,  «  ce  mot 
[eslranger)  est  vieux  et  peu  usité  ;  il  n'y  a  plus  que  le  petit  peuple 
qui  s'en  serve.  ^>  Dictionnaire  de  Trévoux. 

109.  Le  verre  indigne  ensnyt  cristal  tant  digne 
Parquoy  ce  corps,  soubz  cœlestes  accords,  etc. 

Exemple  de  vers  léonins,  quand  la  fin  du  premier  hémistiche  rime 
avec  celle  du  second. 

110.  Fatales  frangens  forti  fragore  fauillas. 

Telle  est  la  leçon  du  Manuscrit;  mais  levers  est  faux,  la  premièrt? 
syllabe  de  fragore  étant  brève.  L'auteur  avait  peut-être  mis  fitlgore, 
mal  lu  par  le  copiste. 


NOTES.  "2^ 

lil.  Fert  roniein  l'eretro  lœmina  lausta  yia«i. 

Voilà  un  vers  d'autant  moins  intelligible  pour  nous  qu'aucun  des 
mots  latins  correspondant  à  faui  ifavi)  n'a  la  quantité  voulue  pour 
laire  un  vers  correct.  Peut-être  Sagon  avait-il  mis  /'«ci,  datif  de  fax^ 
fiieis  (Foix),  qui  aurait  la  quantité  voulue  pour  faire  le  vers.  On  a  vu 
déjà  l'adjectif  fuxea,  Appendice  IV  de  V Introduction,  Le  sens  serait  : 
1  La  femme  favorable  à  Foix  (le  bon  génie  de  Foix  ?)  verse  un  torrent 
sur  le  bûcher.  » 

Cette  pièce,  aussi  défectueuse  que  peu  claire,  est  toute  en  vem 
lettrisés  ou  (autogrammes,  c'est-â-dire  composée  de  mots  commençant 
tous  par  la  même  lettre. 

113.  Kliim  qtiein  celebrenl  alfica  scripta  i-iriim. 

Arrivé  à  Troie,  Alexandre  mit  une  couronne  sur  le  tombeau 
d'Achille,  et  «  le  félicita  d'avoir  eu,  pendant  sa  vie,  un  ami  fidèle 
(Patroele),  et  après  sa  mort,  un  chantre  sublime  de  ses  exploits.  >. 
;Homère).  Plutarque,  Vie  d'Alexandre,  ch.  XV. 

112. —  Exasticlion,  plus  ordinairement  Hexastichon,  pièce  de  six 
vers. 

Per  Hugerium  est  le  nom  d'un  ami  de  Sagon  qui  revient  deux  fois 
dans  les  petites  pièces  du  <•  différent.  »  Une  première  fois,  on  lit: 
Joannis  Huguerii  Hexastichon  in  Fripelippum  ;  et  une  seconde  fois,  uue 
réponse  à  un  second  valet  de  Marot,  appelé  Richer,  qui  avait  attaqué 
Sagon.  Œuvres  de  Marot,  édit.  de  Lenglet  Du  Fresnoy,  1731.  t.  IV-, 
p.  416,  471  et  472;. 

Ce  nom  latin  Huguerius  nous  paraît  traduire  De  la  Hugverye  ou 
Huguerie.  Ce  Jean  de  la  Huguerye  devait  être  de  la  famille  de  Michel 
de  la  Huguerye,  de  Chartres,  dont  la  Société  de  l'Histoibe  df 
France  est  en  train  de  publier  les  Mémoires. 

\H.  Vela  de  quoy. 

Le  long  titre  du  Coup  d'Essay  de  François  Sagon  se  terminait  par 
ces  mêmes  mots,  dont  voici  l'explication:  «  Sa  devise  était  Vela   de 


30  NOTES. 

qtioy;  peut-être  parce  qu'il  croyait  que  ses  écrits  contre  Marot  étaient 
(U  quoy  mortifier  ce  poète,  et  lui  ôter  même  sa  réputation.  »  L'abbé 
(iouiei,  Bibliothèque  françoise,  édit.  in-12,  1747,  c.  XI,  p.  98. 
Après  un  Dixain  qui  termine  le  Coup  d'Essay,  on  lit  encore  : 

VKLA   de   QIOY, 

Aliquid  ne  nihil. 

M.  de  Lescure  dit  que  la  même  devise  française  se  trouvait  gravéa 
sur  l'éeritoire  de  Sagon.  Les  Amours  de  François  l .  p.  202. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages. 

AVERTISSEMENT i 

INTRODUCTION  : 

I.  Biographie  de  Sagon I 

II.  Le  Poème  funèbre  de  Sagon 3» 

III.  Bibliographie  des  Œuvres  de  Sagon 76 

Appendices  et  Pièces  justificatives  de  l'Introduction 91 

LE  REGRET  D'HONNEUR  FÉMININ  (texte) , l 

NOTES  SUR  LE  TEXTE  DU  POÈME i 


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University  of  Ottawa 

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^c 


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